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La Guinée malade de son armée et de sa classe politique

Nov 07, 2009

Par Professeur Boubacar BARRY, Université Cheikh Anta Diop, Dakar

J’ai eu le privilège de vivre, dans l’euphorie, le 28 septembre 1958 qui a consacré le vote massif du peuple de Guinée pour l’indépendance. Je suis aujourd’hui triste et consterné de vivre ce massacre du 28 septembre 2009 de manifestants pacifiques en faveur des libertés démocratiques en Guinée. Entre les deux événements, il y a hélas l’histoire tragique du peuple de Guinée qui a connu près d’un demi-siècle de dictature dans un contexte économique difficile. Il est pénible pour nous de témoigner personnellement de ce demi-siècle d’espoir, souvent déçu de ne pas voir la fin de cette machine infernale de répression des libertés fondamentales en Guinée dans l’indifférence de la communauté internationale. En 2008, à l’occasion d’un séminaire organisé par la Codesria sur les libertés académiques en Guinée, je me suis retrouvé pour la première fois, depuis près d’un demi-siècle, à Conakry dans la même salle avec mes deux collègues historiens d’origine guinéenne : les professeurs Lansiné Kaba de l’université de Chicago et Thierno Mouctar Bah de l’université de Yaoundé. Nous sommes tous les trois aujourd’hui à la retraite, après avoir fait toute notre carrière d’enseignant au plus haut niveau à l’extérieur de la Guinée.

Ce paradoxe s’explique par la fracture que la Guinée a vécue dès 1961 entre le parti au pouvoir, le Pdg, et son intelligentsia autour du syndicat des enseignants. Pour avoir revendiqué le respect de leurs droits syndicaux dans un mémorandum envoyé au gouvernement, les membres du bureau du syndicat ont été tous condamnés à l’occasion d’un procès sommaire à 10 ans de prison au moins. Les élèves et les étudiants de tous les établissements en Guinée et à l’extérieur ont alors organisé une grève générale qui fut vivement réprimée par l’armée accompagnée par les milices de la Jrda. Nous fûmes alors enfermés au camp Alfa Yaya et soumis, menottes aux poignets, à l’intimidation du peloton d’exécution en pleine nuit sur un terrain vague de Sonfonia, à 20 km de Conakry. Nous avions à peine 17 ans. Je vis encore personnellement les affres de ce moment de répression aveugle soutenue par un mensonge d’Etat du complot permanent qui va désormais jalonner l’histoire de la Guinée jusqu'à nos jours. C’est contre cette répression continue et cette peur tapie dans tous les cœurs de plusieurs générations de Guinéens que les manifestants du 28 septembre 2009 ont voulu braver pour mettre fin à l’arbitraire et à l’impunité d’un Etat qui a fini par prendre au piège tout le peuple de Guinée.

Mais, il faut remonter à l’histoire mouvementée et souvent tragique de ce demi-siècle d’histoire post-coloniale pour comprendre les impasses actuelles et les nombreux défis à relever pour remettre la Guinée sur le chemin de l’Etat de droit.

La République de Guinée en un demi-siècle d’indépendance n’a connu que deux régimes et deux présidents qui ont mené le peuple à une paupérisation intolérable par rapport aux potentialités énormes dont la nature à doté ce pays. Le premier régime d’Ahmed Sékou Touré à instauré, en vingt-six ans de règne sans partage, la dictature du parti unique sous l’égide du Pdg qui a massacré des milliers de citoyens dans les prisons et camp de concentration comme le camp Boiro de triste mémoire. Il a aussi obligé des milliers de Guinéens à l’exil forcé dans les pays voisins et en particulier au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Après les événements de 1961 qui annonçaient déjà la nature du despotisme du régime, nous avons quitté la Guinée en 1964 après le bac et nous vivons jusqu'à ce jour au Sénégal notre terre d’accueil. C’est sous ce régime que l’embrigadement et la manipulation idéologique au nom du Parti-Etat ont été utilisés à son plus haut degré pour semer la suspicion, la terreur à toute la population soumise à toutes sortes de privations. On a successivement cultivé la primauté du militantisme sur la compétence, dévalorisé les hiérarchies traditionnelles au sein de la société et de l’Etat, créé les conditions d’un Etat populiste où tout est permis au nom du peuple souverain qui juge et exécute les sentences.

Le régime de Sékou Touré est une suite macabre sans fin de complots étouffés tous dans l’œuf, à l’exception du débarquement des Portugais de novembre 1970. Ce fut tour à tour le complot des enseignants, celui des commerçants, des militaires, des Peuls lorsque la dérive ethnique a pris le dessus sur les conflits de classes et finalement celui des femmes qui ont manifesté publiquement leur colère dans Conakry, obligeant Sékou Touré, pour la première fois, au dialogue et à la libéralisation du commerce.

Hélas, seule la mort de Sékou Touré, en 1984, allait mettre fin à cette dictature sanglante qui avait fini par prendre l’allure d’un pouvoir clanique aux antipodes des intérêts d’une population sans voix ou en exil massif dans les pays voisins de la Guinée. En effet, l’isolement de la Guinée a été le fondement de cette dictature qui a réussi à créer la division entre Guinéens de l’intérieur, défenseurs de la révolution et Guinéens de l’extérieur, vendus à l’impérialisme.

En 1984, le coup d’Etat militaire inaugure le deuxième régime sous la présidence du Général Lansana Conté jusqu’à sa mort le 22 décembre 2008. Lansana Conté, dans la suite logique du régime de Sékou Touré, a instauré progressivement sa propre dictature, en s’appuyant sur l’armée qui lui permit, pendant 24 ans, de conserver le pouvoir dans un contexte de liberté sous contrôle. Malgré les efforts d’ouverture démocratique, de libre circulation des hommes et des biens qui ont permis le retour de milliers de Guinéens, le pouvoir est resté attaché aux méthodes de pression de l’ancien régime avec lequel la rupture n’a pas été faite ni symboliquement, ni formellement.

A défaut d’une conférence de réconciliation nationale pour éradiquer les démons de la haine, de la peur, de l’incompréhension, le régime militaire a fui le débat politique pour s’attaquer à des réformes sectorielles sur l’éducation, la santé, la justice, en fait tous les aspects techniques qui exigent avant tout un choix de société après l’échec de la révolution aux mille facettes qui avait pour objet de créer un homme nouveau en Guinée. Le résultat a été un immobilisme contraignant de l’ensemble d’une société prise au piège par un pouvoir autocratique partagé entre un laisser-faire sur le plan économique et un despotisme d’une autre époque sur le plan politique. Le régime a maintenu cet adage qu’on n’a le pouvoir que par la volonté de Dieu et surtout qu’on n’a pas besoin du savoir pour avoir le pouvoir ou la richesse. C’est ce qui explique l’asservissement, dans des conditions indignes, des travailleurs et surtout des fonctionnaires qui sont obligés de se mettre au service des gens au pouvoir ou des gens riches pour se partager les prébendes de l’Etat.

Toutes les manifestations des travailleurs ont été réprimées dans le sang jusqu’aux événements graves de janvier-février 2007 qui ont révélé au grand jour le dysfonctionnement même de l’armée qui subit de plein fouet la mal gouvernance générale de l’Etat aux mains du Général. Tout annonce alors la fin d’un régime dont le pilote, de plus en plus malade et impotent, ne contrôle plus rien, comptant uniquement sur la force de la répression de son armée et plus particulièrement de son Bata qui n’hésite pas à tirer à bout portant sur des milliers de manifestants aux mains nues.

A l’époque, malgré les condamnations de la Cedeao et de la communauté internationale, on s’est contenté de demi-mesures en faisant nommer par Lansana Conté un Premier ministre parmi les trois noms proposés par la société civile et les syndicats. Lansana Kouyaté, formé au moule du Pdg et redevable de Lansana Conté pour ses postes diplomatiques, malgré son expérience, se révéla un Premier ministre sans pouvoir. Lansana Conté n’a eu aucun problème à se débarrasser de son Premier ministre en l’absence d’un soutien politique des forces vives pour garantir et accompagner une véritable transition politique.

Une fois encore, le peuple de Guinée a attendu passivement la longue agonie de son président dont la mort, le 22 décembre 2008, a préparé la voie à l’avènement du Cndd. Le coup d’Etat de Dadis Camara écarte à nouveau toute succession constitutionnelle en Guinée.

Il faut dire que les déclarations rassurantes de Dadis sur une transition vers un régime civil et surtout le serment fait de n’être pas un éventuel candidat a endormi la vigilance des partis politiques, de toutes les forces vives et même de la communauté internationale, malgré les condamnations de principe de la Cedeao et de l’Union africaine. Tout le monde était soulagé par le caractère pacifique du coup d’Etat qui n’avait pas donné lieu à un bain de sang. Mais pour aller vite, les tergiversations sur la durée de la transition, sur la date des élections libres et transparentes, sur le rôle du Cndd pour conduire cette transition, et surtout le flou entretenu sciemment sur la candidature ou non de Dadis Camara lui-même ont fini par semer le doute et par exaspérer les forces vives et le groupe de contact de la communauté internationale.

Cette situation qui a conduit inexorablement au massacre des manifestants et au viol des femmes le 28 septembre 2009 dans un stade fermé à ciel ouvert, met à nu, aujourd’hui, toutes les contradictions au sein de la société guinéenne, dans la continuité des régimes de Sékou Touré et de Lansana Conté.

Dadis Camara, chef de la junte militaire, est l’héritier direct des pratiques de despotisme, avec un accent populiste de justicier des maux accumulés par les deux régimes dont il se réclame avec compassion. Ce n’est pas la faute de Sékou Touré ni celle de Lansana Conté mais celle des cadres apatrides qui ont détourné à leur profit les deniers publics. Hélas, en plus de la faillite économique, il hérite malheureusement de toutes les tares accumulées par la mal gouvernance des deux régimes, à savoir le népotisme, la corruption et l’absence de dialogue politique. A cela s’ajoute aujourd’hui la déstructuration de l’armée accélérée par le coup d’Etat qui a mis à la retraite ou à genoux tous les officiers supérieurs laissant Dadis Camara seul face à des hommes de troupe qu’il ne contrôle pas dans sa totalité.

Dans ces conditions, les massacres du 28 septembre 2009 étaient prévisibles dans la mesure où le Cndd ne laisse aucun choix aux forces vives de manifester leur colère même de façon pacifique. Ce qui est arrivé, est ainsi arrivé.

C’est inadmissible et rien ne peut justifier l’atrocité des actes perpétrés contre les citoyens et surtout le viol en public des femmes. Cette barbarie rend encore difficile une sortie de crise qui ne porte plus sur la candidature de Dadis, mais sur sa capacité à assurer désormais une transition pacifique. Nous sommes devant une impasse dont l’issue dépendra des rapports de force internes entre l’armée et le peuple sans armes et aussi du poids de la communauté ouest africaine et africaine appuyée ou non par la communauté internationale. (A suivre)

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