Par Aissatou Barry, Néné Aye
Mon frère, mon ami et mon compagnon de lutte syndicale, toi que j’appelais affectueusement mon général, j’écris ce texte pour les vivants, puisque tu dors déjà, paisiblement, jusqu'au grand jour de Dieu qui dans sa mémoire infaillible réclamera les morts des tombes, des eaux, des feux… Il a le pouvoir de résurrection.
Mon Général, mes yeux en larmes rappellent à ma mémoire ta longue et harassante lutte sur le chemin caillouteux de l’histoire syndicale. Nous sommes en 1993 où la mauvaise gouvernance mène le pays dans une anarchie institutionnalisée et instrumentée par un groupuscule d’intérêts au pouvoir. Le pays est en perpétuelle ébullition, j’adhère au syndicat ou’ par ta confiance, je deviens membre de ton bureau exécutif à l’USTG, rejoignant ainsi ta dynamique équipe de longue date, composée de Maurice Dopavogui, Nanfadima, Dienabou, Taibou, Penda, Louis M’bemba, Bella..., pour ne citer que ceux là.
Tu guideras mes pas, moi « la bleue » de l’équipe, dans les méandres des techniques syndicales jusqu’au BIT ou aux Nations Unis. Sous la houlette de Maurice, nous piloterons le projet PADEP, participation démocratique des travailleurs au développement. Sa stratégie était la formation des travailleurs à leur participations aux prises de décisions concernant leur épanouissements dans leur lieu de travail, dans leur relations sociales et professionnelles. En homme rompu au syndicalisme, Maurice m’apprendra les techniques de négociations collectives dans l’art desquelles vous étiez passé maître.
Négociations! Tu en fis ton cheval de bataille. Et te voila partis, honorablement, à l’œuvre. Maintes manœuvres, discussions et débats se sont ainsi succédés dans ta vie syndicale, sans que jamais ne soit atteint le résultat espéré. Dépôt de proposition de loi, dépôt d’amendement… Rien n’avait réussi à faire plier le pouvoir exécutif et à mobiliser une majorité à ta cause.
A chaque fois, à chaque négociation, c’est un sentiment d’échec qui me dominait et, impulsive, je réagissais vivement, pas même une fois, tu ne me fis le moindre reproche, tu riais plutôt de mes gaffes.
Ma mémoire fait le trie et lance une anecdote. Le pays une fois de plus traverse une forte crise. Le peuple est à bout et menace de sortir dans la rue. Le ministre de la fonction publique convoque une réunion urgente pour bâcler encore un semblant de solution, comme à l’accoutumé. Dienabou, toi et moi répondons à l’appel. Le Ministre responsable des travailleurs d'une part, le porte-parole du pouvoir de l'autre, tiraillé entre deux camps adverses, il tient des propos ahurissants: " Sensibilisez le peuple, Dr Fofana, demandez-lui de serrer la ceinture car le moment est grave, sinon nous serrons obligés de faire recours à la planche à billet et ce n’est pas bien pour le pays " dit-il.
Mon général, je te revois donc essayant de négocier avec un pouvoir qui n’entend pas raison, avec tact tu essaies d’expliquer au Ministre la nécessité de créer des emplois, de redistribuer équitablement les ressources de l’état, de revoir les salaires de misère qui doivent être des salaires d’existence et non de subsistance, afin de mettre fin à la débrouillardise, au chômage et à la pauvreté …
Lassée par les frasques d’une minorité profiteuse, lassée par des promesses non tenues des politiques, lassée des cahiers de doléances annuelles succédant les cahiers de doléances annuelles rangés dans des tiroirs, mon sang ne fit un tour et coupant court à une plaidoirie stérile, je t’interrompis en ces termes: " Général, qu’attendez-vous pour dire à ce pouvoir les quatre vérités. Comment celui qui possède des greniers remplis de riz peut nous demander de sensibiliser celui qui compte ses graines dans une paume de main et de serrer la ceinture ? Non et non, c’est vous-le pouvoir qui avez besoin d’être sensibilisé, c’est vous qui devez dégraisser vos parcs de véhicules, vos comptes bancaires, vos soins gratuits ici et ailleurs ". Tu continuas néanmoins à parler au Ministre. A la restitution à huit clos, entre membres du bureau, tu ne fis rire de mon emportement et des yeux exorbitants du Ministre.
Depuis des années, combien de fois as-tu tenté de te faire entendre, tant en commission qu’en séance publique où ton plaidoyer était la restitution de la dignité citoyenne qui appelait forcement le gouvernement à assurer la mise en œuvre des mécanismes d’application des conventions ratifiées ? Le gouvernement avait sûrement les moyens, mais pas la volonté d’abolir ni les inégalités, ni les injustices sociales, professionnelles et relationnelles qui atteignaient leur point d’ébullition, encore moins, celle de mettre fin aux tourments de la population.
Combien de fois en plus as-tu été contraint d’user des manœuvres, notamment par le biais du dépôt d’amendement sur le vote des articles pour qu’enfin s’instaure le débat sans cesse promis, mais sans cesse reculé, qui pour toi, contribueraient au développement de notre bien être, en tant qu’êtres humains, sur tous les plans, notamment, culturel, économique, social, sans aucune distinction d’origine géographique, ethnique, raciale, sexuelle ou religieuse.
Oui combien de fois as-tu tenté d’équilibrer les plateaux de la justice et de l’égalité, effort qui tournait souvent court, la réalité du terrain te montra que le partage vraiment équitable des responsabilités et des avantages qui en découlaient n’était pas humain. Dans de tels cas, ta bonne humeur, toujours le sourire, égal à toi-même, ton intelligence, ton intuition et ta sagesse prenaient le dessus et tu redémarrais sur une nouvelle tactique.
Nos chemins divergerons en 2001 quand mes pas me menèrent à un exil forcé. Je voyais tous les jours la face cachée d’un pays qui prêchait haut et fort l’amour de Dieu et du prochain mais qui laissait mourir ses pauvres de faim et de manque de soins. Le mal devenait profond et endémique gangrenant ainsi toutes les couches sociales. Las de tout et de rien, je t’annonce que désormais ma conscience me dictait une autre guerre spirituelle avec des armes symboliques. On ne manipule pas la parole de Dieu pour dépouiller et intimider les pauvres. Elle n’est pas non plus une matraque pour taper et assommer les faibles. Utilisée avec vérité, douceur et profond respect, elle renverse des forteresses. Je t’expliquais que la transformation de l’homme devait s’opérer de l’intérieur et de cela il n y avait que la parole de Dieu qui y arriverait.
Bien que nos démarches différaient, nous continuerons néanmoins a’ partager nos idées, nos attentes qui menaient a’ un même objectif: la paix et la justice sociale. Tu brandissais souvent le droit de l'homme selon la charte des Nations Unis. Je répliquais que l'homme naissait déjà avec des droits, justice, égalité, le droit d'expression, du libre choix... conférés par Dieu.
Ton courage extraordinaire après des années de lutte menée parfois avec âpreté, souvent avec passion mais toujours avec conviction et pour laquelle tant de voix se sont élevées, fait qu’aujourd’hui les syndicalistes savent enfin que leurs efforts et leur constance ne seront pas vains.
Aujourd’hui, pour la première fois, ils entrevoient le bout du tunnel à la suite de ce long combat. Et pour la première fois, ils sont en droit d’espérer qu’enfin, cet arsenal répressif, cette injustice sociale, ces châtiments barbares et indignes de notre société disparaîtront et très bientôt. Aujourd’hui, l’espoir renaît, car, désormais ils savent que les promesses doivent être tenues.
A ta famille biologique et syndicale, à celle de notre camarade Magbé et à celles respectives des deux journalistes, j’adresse de pure et sincere compassion. Je n’entendrai plus ta voix au téléphone me disant: " Néné Aye, c’est ton Général, je suis à Genève ". Je ne pourrais même plus t’accompagner jusqu'à ta dernière demeure, parce que tenue par les vicissitudes de la vie. c’est cela aussi les écueils de l’exil. Alors mon Général, je te dis « Adieu et paix a’ ton ame, patriote d’un temps et de tous les temps.
Aissatou Barry, Néné Aye, Suisse, assaba59@yahoo.fr