La Guinée retient son souffle: le pays d'Afrique de l'Ouest vivra demain sa première élection présidentielle libre et démocratique. C'est l'occasion de tourner la page sur 50 ans de dictature et de répression. Mais aussi de régler des comptes.
«On a beaucoup d'espoir. Cette élection-là va amener la paix», affirme Rougui Diallo, étudiante qui cuisine à la belle étoile devant sa maison, comme tous ses voisins du quartier populaire de Kaloum à Conakry. Espoir est un mot qui revient dans la bouche de tous les Guinéens. Il est même imprimé sur le t-shirt de Rougui Diallo, à l'effigie du capitaine Moussa Camara, dit Dadis, chef de la junte militaire.
Vingt-quatre candidats se partagent le bulletin de vote au premier tour de cette élection présidentielle. Quatre candidats se démarquent, mais personne ne peut prédire le vainqueur du scrutin. Les observateurs s'attendent à un résultat serré qui mènera à un deuxième tour.
La République de Guinée n'a connu que deux présidents. Sékou Touré a obtenu l'indépendance de la France en 1958 et a transformé le pays en une dictature sanglante. À sa suite, le général Lansana Conté a assuré tous les pouvoirs de 1984 jusqu'à son décès, en 2008.
Depuis, Dadis et les «Bérets rouges», une unité militaire spéciale, gèrent le pays. L'année 2009 a été marquée par les dérapages de la junte. Elle s'est terminée avec la mort de Dadis: son aide de camp lui a tiré trois balles dans la tête. Depuis l'évacuation du capitaine au Maroc, le général Sékouba Konaté assure la relève.
Une armée à nettoyer
Rapidement, le nouvel homme fort renvoie à la caserne les militaires et annonce la tenue d'une élection pour le 27 juin 2010, coûte que coûte. Il répète n'être que président «par intérim» et nomme un premier ministre civil pour diriger le gouvernement.
Cinquante ans de dictature ont laissé le pays dans un état lamentable. Malgré ses richesses naturelles (voir encadré), la Guinée se maintient aux plus bas échelons de tous les indicateurs socioéconomiques. Tout manque: eau, électricité, essence. Beaucoup de dossiers complexes attendent le futur gouvernement.
Première tâche: réformer l'armée. La CIA estime que 1,7% du PIB est dépensé pour l'armée, ce qui représente le double de son voisin, le Liberia. Malgré tout le budget alloué, l'armée reste désorganisée et chaotique.
Les militaires se servent dans les boutiques. Les chauffeurs de taxi accélèrent pour ne pas les faire monter. Plusieurs soldats sont mêlés au trafic de drogue. Konaté a commencé le nettoyage, mais beaucoup reste à faire pour contenir une armée habituée au pouvoir et à l'argent.
Vote ethnique
«Ici, il y a plein d'ethnies. Cette élection doit être celle où nous vivrons ensemble», explique Amadou Boundara, instituteur de Conakry. Comme plusieurs Guinéens, il craint les violences interethniques. La Guinée n'a pas de groupe ethnique majoritaire parmi ses quatre principaux. Depuis l'indépendance, les gouvernants n'ont pas hésité à instrumentaliser l'ethnicité pour se maintenir au pouvoir.
Le scrutin de demain est la première occasion d'évacuer les tensions. Certains candidats n'hésitent pas à jouer la carte ethnique. Entre autres, des membres de l'ethnie de Dadis voient dans sa chute un complot contre leur ethnie et demandent revanche.
Plusieurs Guinéens sont inquiets: au moins une personne a été tuée dans des violences entre militants de partis politiques, jeudi. Mais Mamadou Bah, fonctionnaire retraité de 83 ans qui boit un café sous un manguier du centre-ville, a confiance. «Nous avons soufferts. La réconciliation sera difficile. Mais j'ai la foi. Dieu est grand!» dit le vieillard souriant, billet de loterie à la main.
Un pays riche en ressources naturelles
La Guinée est riche en ressources naturelles. Elle possède la moitié des réserves mondiales de bauxite connues et le plus grand dépôt de fer inexploité. À cela, il faut ajouter de l'or, du diamant, du pétrole, des fleuves puissants et des terres arables. Plusieurs sociétés exploitent ces ressources: Alcan Rio Tinto, la russe RUSAL, l'australienne BHP Biliton, les américaines Alcoa et Hyperdynamics et, depuis peu, plusieurs entreprises chinoises. Le minerai représente 85% des exportations nationales, mais aussi la principale source de recettes de l'État. Les sociétés minières jouent un rôle-clé dans les destinées du pays. Gilles Yabi, politicologue et spécialiste de la Guinée, souligne l'interdépendance entre le gouvernement guinéen et l'argent des minières, mais nuance: «Pour ne pas perdre pied face à leurs concurrentes, les entreprises composent avec le pouvoir en place, quel qu'il soit. Je ne pense pas que les patrons du secteur minier choisiront le futur président à la place des électeurs.» - La Presse