La candidature à la présidence d'Haïti de Wyclef Jean est loin de faire l'unanimité à Port-au-Prince, certains dirigeants politiques criant à l'aventurisme, alors que dans la rue, les démunis rêvent de voir la star du hip-hop au Palais national.
«Ce qui se passe en ce moment c'est une réaction très émotionnelle. Avec Wyclef, c'est de l'improvisation, une aventure», réagit Evans Paul, dirigeant d'un parti d'opposition, à propos de l'effervescence suscitée dans l'île par la présence éventuelle du musicien dans la course à la présidence.
M. Jean, 40 ans, né dans la banlieue de la capitale surpeuplée d'où il a émigré pour les Etats-Unis à l'âge de neuf ans, s'est présenté jeudi devant le Conseil électoral pour s'enregistrer officiellement. Il était accompagné de sa femme et de sa fille et entouré de nombreux partisans, principalement des jeunes.
Dans les rues de Port-au-Prince, les jeunes sont majoritairement séduits par l'idée de sa candidature, même si beaucoup ne veulent pas le voir abandonner la musique.
Réunis à un coin de rue à Pétion-ville, banlieue de l'est de la capitale, des petits commerçants ambulants et quelques chômeurs disent vouloir soutenir «Wyclef». «Ah oui! Il a montré qu'il peut faire quelque chose pour le pays avec sa fondation. Oui, nous voterons pour lui», affirment-ils en choeur.
L'ex-membre des Fugees est intervenu à plusieurs reprises après le séisme du 12 janvier, qui a fait plus de 250 000 morts et jeté à la rue environ 1,5 million d'Haïtiens, pour distribuer à ses compatriotes démunis, avec sa fondation Yéle Haïti, des tentes, de la nourriture ou de l'eau.
«Je vais voter à une condition: si Wyclef est dans la course», dit Emmanuelle, 21 ans, interrogée avant que la candidature du chanteur ne soit confirmée.
«Il n'y a rien de rationnel dans tout ça», tonne à l'inverse Evans Paul, l'un des chefs du Parti «Alternative», jugeant que Wyclef Jean ne va pas faire avancer la cause du peuple, ni celle de la démocratie en Haïti.
«Cela me surprend d'entendre Wyclef se présenter à une campagne électorale. Je ne vois pas en lui un leader politique», tranche Jimmy, un étudiant.
De même, Maguy, une restauratrice, refuse de voir un artiste au pouvoir. «Qu'il reste là où il travaille si bien. La politique ce n'est pas son affaire.»
«Je suis préoccupé», confie Serge Gilles, chef d'un parti de gauche. «On est en train de mélanger deux choses: la politique et l'art. Cela peut donner des résultats négatifs», prévient cet ancien candidat à la présidence, aujourd'hui opposé à la tenue des élections.
«La politique doit rester aux politiques», ajoute M. Gilles. Pour lui, l'arrivée de Wyclef Jean en politique est la conséquence de trois facteurs: la confiscation du pouvoir par la dictature des Duvalier (1957-1986), la recherche d'un messie (élection en 1990 du prêtre Jean-Bertrand Aristide) et «l'anarcho-populisme» instauré par le président Préval qui a, selon lui, affaibli les institutions du pays, dont les partis.
Plus de 70 partis, regroupements ou groupements de partis sont néanmoins admis à participer aux prochaines joutes, législatives et présidentielle, prévues le 28 novembre.
Le Conseil électoral provisoire haïtien (CEP) a ouvert jusqu'au 7 août la période d'inscription des candidatures à la présidence et avait déjà reçu cinq candidatures avant celle du chanteur. - AFP