Trois présidents ouest-africains sont venus parler mardi avec Laurent Gbagbo pour le convaincre de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara, sous peine d'intervention militaire, ce qui a entraîné le report d'un grand rassemblement de pro-Gbagbo prévu mercredi à Abidjan.
«Tout s'est bien passé», a simplement déclaré à la presse le président béninois Boni Yayi à l'issue d'une rencontre de deux heures et demi avec Laurent Gbagbo au palais présidentiel d'Abidjan. M. Yayi était accompagné de ses pairs sierra-léonais, Ernest Koroma, et capverdien, Pedro Pires.
Tous trois ont été mandatés par la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO) pour expliquer la menace de cette organisation de renverser militairement M. Gbagbo, s'il ne cédait pas sa place de lui-même à son rival Alassane Ouattara, reconnu président à l'extérieur.
Après leur rencontre avec Gbagbo, précédée d'un bref entretien avec Choi Young-jin, chef de l'Opération de l'ONU en Côte d'Ivoire (ONUCI, 9000 hommes), ils devaient aller rencontrer Ouattara dans le grand hôtel qui lui sert de quartier général.
La visite de ces trois chefs d'État a eu pour effet d'entraîner le report sine die d'un grand rassemblement de «jeunes patriotes», fervents partisans de Gbagbo, initialement prévu mercredi à Abidjan.
«Il y a report pour donner une chance à la diplomatie en marche», a déclaré Charles Blé Goudé, leur leader, ajoutant qu'il ne voulait pas donner à ses adversaires «l'occasion de réussir leur guerre civile».
Pendant plus d'une semaine, M. Blé Goudé avait pourtant mobilisé ses troupes lors d'imposants meetings dans différents quartiers d'Abidjan en vue de ce rassemblement destiné à défendre «la dignité et la souveraineté» de la Côte d'Ivoire.
Une porte-parole de Ouattara, Anne Ouloto, a salué ce report. «Nous nous félicitons de cette sage décision de M. Blé Goudé, mais il faut qu'il aille plus loin et qu'il encourage M. Gbagbo à se retirer de façon pacifique».
Le camp Gbagbo, qui s'était dit prêt à recevoir MM. Yayi, Koroma et Pires «en frères», avait toutefois souligné que la ligne rouge à ne pas franchir était la souveraienté de la Côte d'Ivoire et de sa Constitution.
Le Conseil constitutionnel ivoirien a proclamé Laurent Gbagbo élu à l'issue de la présidentielle du 28 novembre, invalidant les résultats de la Commission électorale indépendante qui venait d'annoncer la victoire d'Alassane Ouattara.
M. Gbagbo, qui prend «au sérieux» les menaces de la CÉDÉAO, a dénoncé un «complot» de l'ex-puissance coloniale française et des Etats-Unis et mis en garde contre un risque de «guerre civile» en cas d'intervention militaire.
La période post-électorale a déjà été particulièrement violente, faisant au moins 173 morts du 16 au 21 décembre, essentiellement des partisans de Ouattara, selon l'ONU, 53 morts depuis fin novembre, selon le camp Gbagbo, dont 14 membres des Forces de défense et de sécurité (FDS, loyales à Gbagbo).
Les pro-Gbagbo ont laissé entendre qu'une opération armée de la CÉDÉAO, accusée d'être manipulée par les Occidentaux, aurait des conséquences pour les millions de ressortissants ouest-africains vivant en Côte d'Ivoire qui reste, malgré une crise politico-militaire de dix ans, une puissance économique régionale.
Le camp Ouattara a pour sa part lancé un appel à la grève générale pour renforcer la pression sur le régime.
Mardi dans plusieurs quartiers d'Abidjan comme dans la grande ville côtière de San Pedro (sud-ouest), premier port d'exportation du cacao au monde, les transports en commun (taxis, mini-cars...) étaient rares, voire inexistants.
Les partisans de M. Ouattara mènent parallèlement une offensive à l'étranger. Ils ont occupé lundi pendant quelques heures l'ambassade de Côte d'Ivoire à Paris, l'une des plus importantes pour ce pays. En attendant l'arrivée d'un nouvel ambassadeur nommé par M. Ouattara, l'ambassade est fermée jusqu'à une date indéterminée.
Les violences et la peur qu'elles ne redoublent d'intensité poussent de plus en plus d'Ivoiriens à fuir au Liberia. Quelque 19 120 l'ont déjà fait, selon l'ONU. - AFP