Récemment, le gouvernement a décidé d’interdire le cambisme non agréé en Guinée. La mesure est appréciée chez les cambistes qui ont émis des mises au point à l’endroit de l’équipe gouvernementale et du Président de la République Alpha Condé. D’ailleurs des sources non officielles, proches de la Banque centrale de Guinée, indiquent que des personnalités du secteur économique guinéen se sont empressées à déposer des cautions pour obtenir les agréments prévus. Nous avons rencontré Amadou Tidiane Koula Diallo, le président de l’Association des cambistes de Guinée pour recueillir les mots des cambistes sur la question du cambisme en Guinée.
AfricaLog.com : Le gouvernement envisage de supprimer le cambisme n’ont agréé. Qu’en pensez-vous?
Amadou Tidiane Koula Diallo: La mesure est bonne, mais ce n’est pas le fait d’agréer quelqu’un ou non qui est l’essentiel. L’essentiel est de savoir qui doit être agréé et qui ne devrait pas l’être. Il faut connaître ceux qui doivent faire la profession de cambiste. Lorsqu’on parle d’agrément, il y a plusieurs personnes qui les cherchent il faut connaître ces demandeurs. On ne doit pas mettre dans le même panier un commerçant, un fonctionnaire, un tablier. Chacun doit faire son travail. Si on donne l’agrément à tous ceux-là qui en manifestent le désire, on dévalorisera davantage le franc guinéen. Il ne faut pas donner les agréments aux opérateurs économiques. Si on donne l’agrément à un importateur, nécessairement les devises vont monter, parce qu’il ne voudra qu’avoir de la devise, pour augmenter ses intérêts. Puisque les prix des marchandises ne sont pas contrôlés, il va augmenter la valeur des devises qui l’intéressent, pour acheter sa marchandise. Si quelqu’un lui soumet des devises en échange de sa marchandise, l’opérateur économique est prêt à l’accepter. Il faut donc limiter l’octroie d’agrément.
AfricaLog.com : M. Diallo, comment devient-on cambiste?
Pour être cambiste il faut d’abord avoir la confiance. Ce n’est pas le fait d’avoir de l’argent, il faut avoir la maîtrise, la formation, l’expérience.
AfricaLog.com : Qui augmente le taux des devises sur le marché?
Le gouvernement n’est pas informé. Les gens qui augmentent le taux des devises, ce sont les mêmes qu’il appelle pour leur demander comment ça se passe. Ce ne sont pas les cambistes de la rue qui augmentent la valeur du taux des devises. Ce sont les commerçants qui vont envoyer leurs marchandises et les revendre sans un contrôle des prix. Quand un commerçant envoie sa marchandise et qu’il trouve qu’elle est rare sur le marché, s’il a l’habitude de gagner 5 000 FG sur un carton, il augmente le prix pour avoir 10 000 ou 15 000 FG d’intérêt. Ce qui va lui donner l’occasion d’augmenter un certain montant pour avoir les devises. Parce que si ce commerçant trouve le dollar à 7 000 sur le marché, lui, après avoir vendu deux ou trois cartons, s’il a la valeur d’un billet de 100 dollar, il peut revendre le même carton à 60 000 FG, sur quoi il peut ajouter 10 000 pour avoir un billet de 100 dollars. Le problème n’est pas d’agréer, mais il faut limiter ceux-là qui doivent être et les identifiés avant d’être agréés. Il n’y a qu’à voir, les cambistes qui étaient-là au temps de Dadis ou au temps de Konaté, sont les mêmes au temps du Pr Alpha Condé. Il faut les rencontrer pour définir les nouveaux cadres de collaboration. C’est la Banque centrale qui devait normalement fixer le taux des devises dans le pays, en faisant un marché avec l’opérateur. Mais chez nous ici, cela ne se fait pas. Par ailleurs, avec mes 25 ans d’expérience, je ne condamne pas trop la Banque. Nous ne trouvons pas de devises à la Banque centrale. Pourtant elle est obligée de faire respecter les mesures en ce domaine. Elle ne doit pas écouter les banques privées.
Les banques privées en Guinée elles ont des valeurs plus que la Banque centrale. Elles font ce qu’elles veulent. On ne les contrôle pas. Leur taux est souvent plus cher que dans les marchés parallèles. Les banques privées ne reculent pas. Elles se comportent comme si elles sont supérieures à l’Etat. Je ne sais pas si c’est une faiblesse de l’Etat ou quoi. Sinon dans le monde entier, les banques privées ne doivent pas augmenter le taux des devises. Or en Guinée chaque matin, les banques privées appellent dans les marchés parallèles pour demander le taux de change. Et directement elles s’écrivent pour dire : aujourd’hui le taux de change entre telle monnaie et telle autre c’est ça, ça, ce n’est pas normal. Dès qu’il y a aussi une petite rareté des devises, ces mêmes banques augmentent le taux des devises à leur guise.
Je prie Dieu que la Banque centrale prenne contact avec nous. Nous qui sommes sur le terrain, nous savons ce qui se passe. Elle a toujours pris contact avec les opérateurs économiques, les banques privées, qui viennent tous dire ce qu’ils veulent qu’on fasse à leur avantage. On peut demander les devises, mais les banques privées n’amènent pas les devises. Leur avantage c’est quand les marchés augmentent. La Banque centrale doit savoir qui aime la Guinée et qui ne cherche que son intérêt. Celui qui a payé son billet d’avion de son pays pour venir travailler en Guinée, ne se souci que de ses recettes hein!
AfricaLog.com: Peut-on avoir une idée sur le nombre de cambistes en Guinée?
Je ne peux pas définir le nombre de cambistes. Parce que quand on dit il faut agréer, il y a des gens d’en haut qui se lèvent et cherchent à avoir leur agrément. Il y a des hauts fonctionnaires de la Banque centrale qui sont des cambistes. Il y a des opérateurs libanais qui sont des cambistes, des sociétés évoluant en Guinée qui sont également des cambistes. C’est en Guinée seulement qu’on voit un vendeur, ou un commerçant avec des devises. Au Sénégal, il y a des vendeurs qui ne savent pas la valeur des devises par rapport au Franc CFA et qui refusent de faire le cambisme dans leurs lieux de vente. S’ils le savent, ils vous conduisent dans les bureaux agréés. Mais en Guinée, il n’y a pas ça. Si tu vas même dans un bureau, tu présentes une monnaie étrangère, on est prêt à la prendre. Au marché, le vendeur de piment dès qu’il te voit avec 100 dollar, il te dira donne-moi ça ! C’est en Guinée que l’on voit un opérateur économique, importateur de grandes marchandises, qui a un bureau de change à côté de lui. Ce n’est pas bon ! Ce qui fait augmenter le taux des devises.
Les gens n’ont plus confiance au Franc Guinéen. Le métier de cambiste est devenu source de revenu pour les gens. Parce que si quelqu’un a 100 dollars aujourd’hui, demain il peut avoir 10 000 francs d’intérêt et ainsi de suite, ça, ce n’est pas normal. Le gouvernement doit rencontrer les gens qui connaissent ce métier. Je ne dis pas moi, parce que je ne suis pas bien cravaté, on ne peut pas m’écouter. Mais il ne doit pas seulement rencontrer l’opérateur économique, parce qu’il est un ami d’un ministre, ou d’un haut cadre de la Banque centrale, ou d’un colonel de l’armée ; ce n’est pas bien. Seule en Guinée, qu’on peut voir un étranger qui a un bureau de change. Aucun Guinéen résident ailleurs n’a un bureau de change. Quelqu’un qui est venu chercher de l’argent pour le rapatrier chez lui qui a un bureau de change. Le gouvernement doit revoir cela d’abord pour maîtriser l’inflation. Même à Banjul, en Gambie, les étrangers qui ont des bureaux de change ont d’abord cherché la nationalité avant qu’ils ne soient agréés. Mais en Guinée, l’étranger est plus valeureux que le Guinéen. Le gouvernement doit comprendre cela. Mais ce n’est pas à un seul niveau. Parce que par exemple, si le Gouverneur de la Banque centrale veut prendre une mesure, il y a peut être un ministre, ou un de ses amis, qui fera des lettres de recommandations pour un tel ami, un tel protégé, cela doit cesser. Ça ne peut pas faire avancer la Guinée. Il faut aller avec la loi.
AfricaLog.com: Comment diminuer les prix sur les marchés?
Pour diminuer les prix sur le marché, il faut diminuer le nombre de «cambistes». L’Etat pense que ce sont les cambistes de la rue qui font que les prix des denrées augmentent sur les marchés. Non! Ce sont les gens qui se cachent dans les grands magasins, qui échangent leurs marchandises contre les devises, qui font augmenter les prix. Les opérateurs économiques donnaient de l’argent avant aux cambistes pour les changes. Maintenant, l’opérateur économique appelle ses partenaires de l’extérieur pour leur dire: envoyez-moi le dollar.
Allez à Madina, les opérateurs qui envoient leurs marchandises à N’Zérékoré, à Koundra, à Labé ou à Kankan, comme ce sont des zones proches de la zone CFA, dès que ces marchandises arrivent, ils leur disent : vous m’amenez le CFA ! Tel billet de CFA pour un carton de tel. C’est ça le problème. Les commerçants sont devenus des cambistes. Tant que le commerçant n’est pas interdit de faire le cambisme, les prix ne baisseront pas. Tant qu’on viendra à la banque pour verser des devises, sans cause, sans papier, les devises seront des diamants, le Franc guinéen sera foutu.
Il faut que l’Etat voie qui doit manipuler le dollar et qui ne devait pas le manipuler. Mais si tout le monde manipule le dollar, le Franc guinéen sera dévalorisé. Les grands commerçants ne versent pas leur argent à la Banque. Quand ils vendent, dès midi, ils cherchent à avoir le dollar. Mais quand on dit ça à l’Etat, si le commerçant est bien cravaté, il a des relations, nous qui sommes sur la rue, on nous prend comme des gens qui ne connaissent rien, comme des lâches, on ne nous écoute même pas. Si on dit il faut arrêter le cambisme, le policier chargé de nous chasser est pressé de venir nous frapper ou de prendre 50 000 Fg ou 100 000 Fg avec nous.
L’Etat doit nous associer, il y a des hommes d’expérience parmi nous. Il y a des gens parmi nous qui font ce métier depuis le temps de Sékou Touré. Mais quand il y a des mesures à prendre, on ne nous écoute pas, on prend un commerçant qui vient de grandir, ou un gouverneur de la banque qui vient de prendre fonction, des gens qui ne connaissent pas bien comment ça se passe sur le terrain. Je sais que c’est l’autorité qui a la compétence, mais le pratiquant aussi connaît quelque chose.
AfricaLog.com: Autre chose à dire ?
Je demande au gouvernement de s’informer si ce sont les cambistes qui sont la cause de l’augmentation des prix sur le marché, de les écarter; si c’est un autre aussi, de l’écarter. La monnaie c’est la confiance. Mais l’Etat doit rassurer l’opérateur. Parce qu’il ne faut pas oublier aussi que les devises qu’on gagne en Guinée, proviennent des mains des mêmes opérateurs, la Banque n’en a pas. On doit rassurer l’opérateur qui doit payer à l’Etat ce qu’il le doit. Je suis d’accord qu’on demande aux opérateurs de payer à l’Etat ce qu’il le doit, mais l’Etat doit féliciter les opérateurs. Parce que depuis quatre ou cinq ans, ce sont les opérateurs qui donnent des devises à l’Etat, ce ne sont pas les banques qui leur donnent. Ce sont eux qui savent comment ils gagnent ces devises. Mais si l’opérateur est menacé ce n’est pas bon. Les devises sont en Guinée, il suffit de la confiance pour les faire sortir là où elles se trouvent. Le Pr Alpha Condé est élu démocratiquement, il doit voir autour de lui pour que son entourage fasse revenir la confiance au sein des populations. Mais l’information et la communication manquent ici.
Interview réalisée par Mamadou Siré Diallo