Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, dont le régime est confronté à une révolte populaire sans précédent, est intervenu mardi à la télévision pour brandir la menace d'une répression comparable à celle de la place Tienanmen à Pékin.
Promettant de se battre "jusqu'à la dernière goutte" de son sang, il a appelé la police et l'armée à reprendre en main la situation, menaçant tout manifestant armé de la "peine de mort".
Drapé dans une tunique marron, le colonel Kadhafi tenait à la main son Livre vert, recueil de ses pensées publié dans les années 1970 et s'exprimait devant sa maison bombardée en avril 1986 par les Américains et laissée depuis en l'état.
"Mouammar Kadhafi n'a pas de poste officiel pour qu'il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu'à la fin des jours. C'est mon pays, celui de mes parents et des ancêtres", a-t-il affirmé dans un discours enflammé de plus d'une heure.
Arrivé au pouvoir en 1969, après avoir renversé le roi Idriss, le colonel Kadhafi avait proclamé en 1977 la "Jamahiriya", qu'il définit comme un "Etat des masses" gouvernant par le biais de comités populaires élus. Il s'est attribué le seul titre de "Guide de la révolution".
"Tous les jeunes doivent créer demain les comités de défense de la révolution: ils protègeront les routes, les ponts, les aéroports (...). Le peuple libyen doit prendre le contrôle de la Libye, nous allons leur montrer ce qu'est une révolution populaire", a-t-il dit, en lisant un texte dans un discours parfois ponctué de silences et de bégaiements.
"Aucun fou ne pourra couper notre pays en morceaux", a-t-il ajouté, menaçant de "purger (le pays) maison par maison".
"Rendez vos armes immédiatement, sinon il y aura des boucheries", a-t-il lancé aux manifestants, évoquant une riposte "similaire à Tienanmen", en référence à la répression militaire du "Printemps de Pékin" en juin 1989 qui avait fait des centaines, voire des milliers de morts, selon les sources.
D'après l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW), la répression a déjà fait "au moins 62" morts dans la capitale Tripoli depuis dimanche.
Lundi matin, HRW avait annoncé un bilan d'au moins 233 morts depuis le début du mouvement de contestation le 15 février, sans faire état de victimes à Tripoli. La Fédération internationale des Ligues de droits de l'Homme (FIDH) avait avancé le chiffre de "300 à 400" morts dans le pays.
Les violences meurtrières d'abord concentrées à Benghazi, deuxième ville du pays à 1.000 km à l'est de Tripoli, ont touché la capitale dimanche soir, alors que le calme est revenu à Benghazi lundi soir, d'après des témoignages.
Selon la présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen, les violences se poursuivaient dans la matinée à Tripoli.
"Les milices, les forces de sécurité fidèles à Kadhafi sévissent de façon terrible, cassent les portes, pillent", a-t-elle indiqué. "Il est impossible de retirer les corps dans les rues, on se fait tirer dessus", a-t-elle rapporté.
Lundi soir, des témoins contactés par l'AFP ont fait état de violents affrontements dans les quartiers de Fachloum et Tajoura, dans la banlieue est de Tripoli, l'un d'eux parlant de "massacres".
"Nous avons vu des Land Cruisers, plein d'hommes masqués en tenue militaire, équipés d'armes lourdes, se rendre vers les lieux des rassemblements dans le centre-ville. Des hommes en civil nous tiraient dessous", a raconté un protestataire à HRW.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a indiqué avoir reçu des "appels de détresse" et contacté les autorités libyennes à Genève pour proposer de l'aide humanitaire d'urgence. Selon le chef de la diplomatie égyptienne, Ahmad Aboul Gheit, les pistes de l'aéroport de Benghazi ont été bombardées.
A Tripoli, beaucoup d'étrangers restaient confinés chez eux. L'aéroport était bondé, des centaines d'expatriés cherchant à quitter le pays. L'Italie, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l'Ukraine ont annoncé mardi l'envoi d'avions pour procéder à des évacuations de ressortissants.
Une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée aux violences en Libye a commencé à New York, l'ambassadeur d'Allemagne Peter Wittig appelant à une action "rapide et claire".
La haut commissaire des Nations unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay a exigé l'ouverture d'une "enquête internationale indépendante" sur les violences, évoquant la possibilité de "crimes contre l'humanité". De nombreuses capitales internationales ont condamné les violences.
Plusieurs dirigeants libyens ont fait défection à l'instar du ministre de la Justice Moustapha Abdel Jalil pour protester contre les violences contre les manifestants, de même que des diplomates en poste à l'étranger.
Sur le plan économique, l'escalade meurtrière en Libye, important producteur mondial d'or noir, a entraîné une hausse des prix du pétrole à des niveaux inédits depuis 2008. L'Opep s'est dit prête à réagir si besoin, l'Arabie saoudite assurant qu'elle pourrait augmenter sa production en cas de besoin.
En fin d'après-midi, le groupe pétrolier et gazier italien ENI a annoncé que la fourniture de gaz libyen via le gazoduc Greenstream, qui relie la Libye à l'Italie, était suspendue en raison des violences. - AFP