La junte militaire, qui a pris le contrôle du pays quelques heures seulement après le décès du Président Conté le 23 décembre 2008, a depuis renforcé son emprise sur le pouvoir. Le président auto-proclamé, Moussa Dadis Camara, et le groupe de jeunes officiers qui l’entourent et se sont eux-mêmes désignés Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), montrent peu d’empressement à organiser, comme promis, des élections avant la fin de l’année 2009.
Alors qu’une situation économique difficile contribue à saper le soutien populaire, la junte, sans expérience du pouvoir politique, pourrait être tentée d’avoir recours à des mesures autoritaires pour faire face à l’opposition. Le risque d’un contre-coup étant toujours présent, la transition démocratique sera, dans le meilleur des cas, un processus long et difficile. Il est urgent que des pressions nationales et internationales s’exercent, de façon concertée, pour permettre le retour à un régime civil, avant même des élections, surtout si la junte tente de temporiser. Conté a laissé en héritage des forces de sécurité connues pour leur brutalité, une économie en lambeaux et un manque de cohésion au sein de la société civile et des partis politiques qui ne cessent de se quereller. En dépit d’une histoire tourmentée avec l’armée, de nombreux Guinéens ont accueilli la junte comme la moins pire des solutions à la succession de Lansana Conté. La société civile et les partis politiques soulignent que la constitution fut tellement manipulée sous Conté qu’elle ne pouvait pas offrir une solution à la crise qu’il a laissée derrière lui. Les dirigeants de la junte n’ont aucune expérience du pouvoir civil. Si certains d’entre eux sont sans aucun doute sincères quand ils déclarent vouloir mettre fin à la corruption des années Conté, d’autres ont déjà été accusés de graves violations des droits de l’homme. Bien que la junte ait annoncé qu’elle était prête à remettre le pouvoir à un président civil, elle vient de passer plus de deux mois à renforcer son emprise sur l’Etat en faisant remplacer des dizaines de fonctionnaires par ses propres partisans. La plupart des postes clés du gouvernement nommé le 14 janvier sont tenus par des militaires. Les méthodes de gouvernement de la junte paraissent peu viables, mais l’exercice et les sinécures du pouvoir pourraient s’avérer trop séduisants pour qu’elle accepte d’y renoncer. Les principaux risques pour la transition sont des dissensions au sein de la junte, puis au sein des forces de sécurité dans leur ensemble, à mesure que celles-ci commencent à se disputer le pouvoir et ses privilèges, et éventuellement à se diviser en factions communautaires. La possibilité d’un contre-coup violent est réelle et s’accroit chaque jour que la junte reste au pouvoir. Les débordements de rue dus au mécontentement populaire et à la dégradation continue des conditions de vie, les divisions naissantes entre des mouvements de jeunes nouvellement formés et des partis politiques qui se disputent le soutien des militaires, et des différends irréconciliables sur le processus de transition, ou une combinaison de ces différents risques, pourraient mener à un cycle de violence difficilement contrôlable. La vague d’espoirs suscités par les événements a donné naissance à une prolifération de demandes et de propositions de réformes, mais si les organisations de la société civile et les partis politiques veulent jouer un rôle constructif dans la transition, ils doivent surmonter leurs différends historiques et se concentrer sur les priorités des dix prochains mois. Un calendrier de transition clair et précis doit être établi. Si un Conseil national de transition (CNT), tel que proposé par la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les organisations de la société civile puis approuvé par la junte, est mis en place, son ordre du jour et ses pouvoirs doivent être précisés au plus vite. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour que des élections puissent avoir lieu, et certaines questions, sujettes à controverse, restent à résoudre. Plus les élections seront différées, plus grande sera la capacité de la junte à leur opposer des obstacles supplémentaires qui pourraient aboutir à une impasse dangereuse. Il ne faut pas le permettre. La réunion des 16 et 17 février du Groupe international de contact sur la Guinée a pressé le CNDD, à juste titre, de s’en tenir à un calendrier de transition rapide, mais elle n’est pas allée assez loin. Il n’y a aucune raison pour que la société civile, les partis politiques et la communauté internationale acceptent que le CNDD reste au pouvoir en cas de report des élections. Il faut pousser les militaires à quitter le pouvoir et les empêcher de s’installer durablement au sein de l’administration publique du pays. Si la nomination d’un chef d’état civil de transition peut poser problème, les autres cas de figure pourraient être bien pires. Il convient dès maintenant d’ouvrir un débat sur des modes alternatifs de gouvernance. Le CNDD est dans une position similaire à celle des gouvernements réformistes que la Guinée a connus au cours des dix dernières années. Le soutien populaire initial va sans aucun doute être mis à l’épreuve par une situation économique qui ne cesse de se détériorer. La communauté internationale se verra alors, une fois de plus, appelée à l’aide pour renflouer les caisses de l’état. Il est vital que, cette fois-ci, l’influence des bailleurs de fonds serve à minimiser les risques que représente ce régime militaire pour la Guinée et pour la région. Les mesures suivantes doivent être prises de façon urgente : • Le CNDD doit mettre fin aux abus commis par les forces de sécurité, cesser de concentrer les fonctions étatiques entre ses mains, et permettre au nouveau gouvernement de travailler sans entrave. Les dirigeants du CNDD doivent préciser leur rôle dans le processus de transition, et accepter de façon unanime le principe d’un départ du pouvoir d’ici la fin de l’année 2009, indépendamment du calendrier électoral et en planifiant de façon claire leur retour dans les casernes. • Les partis politiques et la société civile doivent mettre de côté l’euphorie de la fin du mois de décembre, s’accorder le plus rapidement possible sur les règles du jeu de la transition démocratique, qui doivent inclure des options alternatives pour la transition, et exiger du CNDD un calendrier de départ du pouvoir d’ici la fin de l’année 2009, indépendamment du calendrier électoral. • La communauté internationale doit apporter un soutien d’envergure à la transition démocratique, en faisant pression sur la junte pour que des élections aient lieu, en appuyant elle-même les préparatifs électoraux et en fournissant rapidement les moyens d’un programme d’observation électorale, tout en soulignant que la légitimité apparente de ce coup d’état non-violent va rapidement s’estomper si la transition s’éternise. La communauté internationale doit faire pression sur la junte pour que celle-ci permette au gouvernement de travailler sans entrave et renonce à nommer des militaires à des postes de l’administration publique. Avec les Guinéens, elle doit décider d’une date limite à la fin de l’année pour un retour à un régime civil, même si des élections n’ont pas eu lieu. Les mesures prises par les organisations internationales (UA, CEDEAO) et les acteurs bilatéraux (Etats-Unis) au lendemain du coup d’état, y compris la suspension de la Guinée de ces organisations et des restrictions sur l’aide qu’elle reçoit, devraient être maintenues jusqu’à ce que des progrès tangibles vers la transition à un régime civil se fassent sentir et l’armée devrait être avisée que tout acte de violence au sein de la junte ou contre la population civile sera l’objet de sanctions ciblées. – Crisis Group