L’ex-Médiateur de la République sort de sa réserve: «le Président a violé la Constitution». Il n’est pas dans l’habitude des "victimes des décrets" de réagir aux différents actes présidentiels, en leur défaveur. Cela est souvent mis au compte du «pouvoir discrétionnaire» que confère la constitution à ses auteurs.
Naturellement, on passe souvent par les médias pour dénoncer l’acte. Tout en faisant semblant que l’on n’en est pour rien. On se montre stoïque.
Contrairement à cette habitude que d’aucuns qualifieraient d’hypocrite, le ci-devant Médiateur de la République, Dr Sékou Koureissy Condé vient de sortir de sa réserve. Et cela, contre toute attente, alors qu’il était annoncé dans des causeries et autres discussions que l’intéressé devait être «nommé à d’autres fonctions» par le Président Alpha Condé.
Ballon d’essai ou simple rumeur, toujours est-il que l’attente commençait à être longue pour Dr Koureissy, spécialiste en criminologie.
C’est ainsi qu’au courant de la semaine qui vient de s’écouler l’ex-Ministre de la Sécurité sous le Président Lansana Conté a réagi à son limogeage par le Président Alpha Condé, le 07 janvier 2011. Il avait été nommé à ces hautes fonctions par le Président de la transition, Général Sékouba Konaté le 23 octobre 2010.
De l’acte présidentiel le révoquant, Dr Sékou Koureissy Condé se montre légaliste, a priori: « En ce qui concerne l’acte présidentiel remplaçant le Médiateur de la République, je commence par reconnaître que le Président de la République, au terme de l’article 46 de la Constitution, dispose du pouvoir réglementaire qu’il exerce par décret. »
Dr Koureissy de préciser: «Le Président de la République donc, peut, selon ses compétences et délégations, et décrets, remplacer un haut fonctionnaire. Ceci dit, en ce qui concerne l’institution Médiateur, il y a des dispositions qui imposent au Président de la République, le respect du mandat des sept ans. Et la Constitution va plus loin. Elle renvoie à une loi organique qui, celle-là, donne des possibilités au Président de la République, de remplacer, au besoin, le Médiateur de la République. Donc, les portes ne sont pas fermées! »
Selon l’ex-Médiateur de la République, « … le Président de la République peut proposer au Médiateur, et selon son consentement, une fonction incompatible avec la fonction de Médiateur et avec son consentement, il le remplace. Donc, comme vous le voyez, il y a un champ juridique qui est ouvert, mais qui n’a pas été entretenu…»
Comme si Dr Koureissy voulait accuser: «Les Présidents de la République, d’une manière générale, sont assistés par des structures que l’on appelle "l’aide à la décision". Vous savez un Chef de l’Etat est un être humain. J’en ai côtoyés et pratiqué plusieurs. Chacun peut se tromper. Il faudrait donc des structures d’aide à la décision pour lui remonter plus vite que possible, même contre son tempérament, souvent. Ça arrive aux Chefs d’Etat. J’en ai eu des expériences, pour dire : ce n’est pas comme ça, c’est comme ça …»
C’est donc, comme si cette structure de veille n’avait pas fonctionné. Toutefois, reconnaît-il les prérogatives dévolues au Chef de l’Etat: «Le Président, oui, peut utiliser le décret pour remplacer…»
Mais, par rapport à son limogeage, Dr Sékou Koureissy Condé regrette et s’épanche: «Dans le bloc de constitutionnalité, dans la hiérarchie des normes, la loi est au-dessus du règlement. Ceci nous emmène à dire que, dans cette situation-là, le Président a violé la Constitution. Ce n’est pas une injure, ce n’est pas une insulte. C’est comme ça que ça s’appelle. C’est ça la qualification. Ce n’est pas une provocation. On ne peut pas le dire autrement. Ça, c’est au plan juridique.»
Il faut rappeler qu’au terme de l’Article 129 de la Constitution, « Le Médiateur de la République est nommé par le Président de la République pour un mandat de sept (7) ans non renouvelable, par Décret pris en Conseil des Ministres parmi les hauts fonctionnaires retraités ou non, ayant au moins trente ans de service. Il ne peut être démis de ses fonctions qu’en cas d’empêchement définitif ou de faute grave constatés par la Cour Suprême.»
Tout en souhaitant que le Chef de l’Etat le considère «comme son défunt frère, Malick Condé», Koureissy estime avoir dit ce qu’il pense: «Donc, dans ce cas précis, c’est une violation de la Constitution. Et j’ai été heureux, que les populations guinéennes, les intellectuels et les cadres, aient constaté cela. Ce qui est une première dans l’histoire de la République de Guinée. » Pour lui, « ce n’est pas une oppression mais, une alerte.»
Sur un autre plan, l’ex premier policier guinéen conseille: «après 45 années de lutte pour la démocratie, après 45 années d’investissements, cet homme [NDLR AfricaLog : Alpha Condé] a atteint un résultat. Et ce résultat, c’est que la Guinée a un Chef de l’Etat à la tête de notre nation pour cinq années. Alors dans ce contexte, puisque je connais d’une certaine manière ce pays, ce que je suis en train de dire ne plaira pas certainement, mais je dirais : attention, en Guinée, l’exercice du pouvoir emmène l’entourage ou les entourages à mal orienter le Chef de l’Etat parce que les conditions de vie étant ce qu’elles sont, la situation des cadres étant ce qu’elle est, les gens n’ont toujours pas le courage de dire la vérité au Chef…»
Koureissy, toujours fidèle à la République: « … chaque fois qu’il s’est agi de défendre l’intérêt national, Monsieur Alpha Condé sait qu’il m’a toujours trouvé auprès de lui. Il sait très bien que dans tous les combats que nous avons menés, peut-être dans des camps et dans des positions différents, moi, je suis fier aujourd’hui, que la Guinée ait un Chef de l’Etat civil. Et nous allons l’aider à faire fonctionner l’Etat dans le sens du respect de la Constitution.»
Par rapport à ceux qui voudraient que le Médiateur de la République soit un fonctionnaire de l’Etat (Article 129 de la Constitution) et que lui, Sékou Koureissy Condé ne l’a jamais été, il balaie plutôt du revers de la main cette argumentation: «J’ai été étonné d’entendre ça. Moi, je suis un haut fonctionnaire de l’Etat. Moi, je suis de la catégorie des gens que l’on appelle les grands commis de l’Etat guinéen. Depuis ma sortie de l’université en 1979 jusqu’à aujourd’hui, j’ai eu sept décrets. Et on ne peut pas avoir un décret si on n’est pas automatiquement fonctionnaire, après. Pour la petite histoire, mon numéro matricule à la fonction publique, c’est le 191711X, professeur de sociologie. C’est clair et cela peut être vérifié ! Je trouve vraiment cette argumentation ridicule.»
Celui que beaucoup qualifie finalement de «victime d’une certaine rancune», fait des révélations. Mais avant, « je dis rappelle ce que j’ai dit plus haut. Nous sommes dans un pays où ce sont les Chefs d’Etat qui sont victimes d’abord. Je vous en donne deux exemples : Premièrement, El hadj Mamadou Cellou Dalein Diallo était dans le même gouvernement que moi. Et lorsque le Professeur Alpha Condé a été malencontreusement arrêté, jugé et condamné, El hadj Mamadou Cellou Dalein Diallo, à l’époque avec les Ibrahima Kassory Fofana, Zaïnoul Abidine Sanoussi, d’autres et moi-même, étions de ceux qui se sont opposés à cette forme de traitement. Deuxièmement, les cortèges d’accueil à l’aéroport de Conakry, c’est Koureissy Condé, Ministre de la Sécurité qui a autorisé ceux-ci ici en 1997. Lorsque j’étais Ministre de la Sécurité, même le cortège présidentiel pouvait s’arrêter à Matam [NDLR AfricaLog : une des cinq communes de Conakry], lorsque le RPG [NDLR AfricaLog : le parti d’Alpha Condé] montait le drapeau. Je disais «bougez pas».
Koureissy de poursuivre: «Il faut demander à Malick Sankhon, aujourd’hui, Directeur général de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale qui était Directeur du protocole [NDLR AfricaLog: d’Etat] à l’époque. C’est moi qui ai demandé au cortège présidentiel, … le Président a été obligé d’emprunter l’hélicoptère pour ne pas déranger les manifestants …»
Dr Sékou Koureissy Condé de conclure: «Le Président de la République est un homme comme un autre... Nous sommes tous de l’entourage du Professeur Alpha Condé. Ce n’est pas un militaire. Ce n’est pas un militaire qui a pris le pouvoir par les armes, par un coup d’Etat. Il s’est battu toute sa vie pour les causes et les valeurs que nous incarnons avec lui, et qu’il incarne au plus haut niveau. Alors, le traitement que l’on va lui faire faire, le traitement qu’il va faire de ses adversaires, restera dans l’histoire. Moi, je n’ai aucun intérêt, je n’ai aucun intérêt, par mon nom, par mon prénom, aucun intérêt, de par mon tempérament politique et intellectuel, de voir un Président de la République, aller dans le mauvais sens !»
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