Selon les analystes de l’Afrique de l’Ouest, le président Blaise Compaoré est de plus en plus acculé et doit adopter une série de réformes urgentes afin d’éviter de nouvelles vagues d’agitation dans le pays.
Lors du dernier soulèvement, les 27 et 28 avril, la police a tiré des coups de feu en l’air dans la capitale, Ouagadougou, et dans la deuxième plus grande ville, Bobo-Dioulasso, à l’ouest du pays. Elle demandait l’application du nouveau régime de salaires approuvé cette année par le Parlement. Le 27 avril, les gérants de magasins de Koudougou, dans le centre-ouest, ont manifesté et mis le feu à la maison du maire, à une partie du marché local et au siège de l’armée. Plus tôt ce mois-ci, des soldats de la capitale ont manifesté contre l’inégalité salariale.
Des spécialistes ont dit à IRIN qu’ils n’étaient pas surpris par les violences, étant donné que le mécontentement croissant des habitants était resté sans réponse.
« Il fallait s’attendre à une crise », a dit Alexander Ouedraogo, secrétaire permanent du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA) au Burkina Faso. « Nous avons été témoins d’impunité et de détournements de fonds et nous avons vu les officiers supérieurs s’en mettre plein les poches alors que le reste de la population souffre. Mais le gouvernement n’a pas écouté », a-t-il dit.
M. Compaoré, qui s’est autoproclamé ministre de la Défense, s’est engagé à satisfaire les demandes d’augmentation salariale des officiers de l’armée et à essayer de trouver une solution aux problèmes soulevés par les syndicats révoltés par le coût élevé de la vie. Il se réunit cette semaine avec des officiers et des représentants des syndicats.
Idiatou Bah, directrice de recherche sur la gouvernance politique à l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) à Dakar, a dit que c’était la première fois que M. Compaoré semblait « ébranlé ».
« [M.] Compaoré a toujours été le médiateur et le pacificateur de l’Afrique de l’Ouest, mais son image est ternie et il ne semble plus aussi fort qu’avant, tant dans son pays que dans l’ensemble de la région », a-t-elle dit à IRIN.
La « dangereuse initiative » qu’il a prise en s’autoproclamant chef de la défense le 21 avril dernier prouve son malaise, a-t-elle ajouté.
Contexte
Les 14 et 15 avril, les militaires de la garde présidentielle ont ouvert le feu dans le palais présidentiel situé à Ouagadougou. Deux autres régiments se sont ensuite joints à eux. Ils sont descendus dans la rue et ont tiré sur les maisons des officiers supérieurs, et notamment sur celles de l’ancien chef de l’armée et du ministre de la Défense de l’époque.
Les soldats demandaient une augmentation de leur indemnité journalière de 1 300 francs CFA (2,60 dollars) à 1 500 francs CFA (3 dollars) et le démantèlement de la hiérarchie militaire.
Le président a alors décidé de remanier son gouvernement. Le 18 avril, il a nommé un nouveau premier ministre, Luc-Adolphe Tiao, qui s’est engagé à répondre aux revendications des soldats dans les limites du budget actuel.
Depuis que les soldats ont pris les armes, les 22 et 23 mars 2011, les divisions entre les échelons supérieurs et inférieurs de l’armée se sont creusées, car les officiers subalternes ont l’impression d’avoir obtenu moins de bénéfices que leurs supérieurs, a dit Marius Ibriga, professeur de droit à l’université de Ouagadougou.
Les gérants de magasins et les propriétaires d’entreprises de Ouagadougou ont à leur tour exprimé leur colère suite au pillage et à la destruction de leurs propriétés. Le gouvernement s’est engagé à allouer des fonds à la réparation de ces propriétés.
Une coalition, menée par Tollé Sagnon, a été formée il y a quelques années pour combattre la montée des prix. Le 8 avril, des milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Ouagadougou pour réclamer une amélioration de leurs conditions de vie et la fin de l’impunité.
Le coût de la vie a nettement augmenté en 2008 et n’a pas diminué depuis. Selon M. Sagnon, un litre d’huile coûtait auparavant 1,77 dollar et s’élève maintenant à 2,77 dollars ; le kilo de riz coûtait 44 cents en 2007 et s’élève maintenant à 94 cents. « Nos préoccupations ont atteint un point critique et nous l’avons expliqué à [M.] Compaoré », a dit M. Sagnon à IRIN.
La coalition a également demandé que les arriérés de salaires correspondant aux promotions de 2006 soient acquittés et que les frais de consultation médicale soient réduits. En 2011, le gouvernement a augmenté les frais de consultation des hôpitaux publics de quatre à six dollars. Selon la Banque mondiale, le revenu moyen est de 1,41 dollar par jour.
Marge de manœuvre
Selon M. Ouedraogo, du CESA, le président dispose toujours d’une certaine marge de manœuvre, à condition qu’il mette fin à l’impunité et s’attèle aux problèmes économiques du pays. Les six principaux partis d’opposition, qui ne s’accordent pas sur les messages à faire passer et les politiques à suivre, ne représentent pas une concurrence sérieuse pour le gouvernement.
Mais d’après Mme Bah, de l’OSIWA, M. Compaoré doit entreprendre une réforme plus profonde du secteur de la sécurité. « Le pays a besoin d’une réforme profonde du secteur de la sécurité — de son armée, de sa gendarmerie et de sa police. Ce secteur est trop lourd et s’il était réduit, le gouvernement pourrait libérer des fonds pour régler d’autres problèmes sociaux ».
Plutôt que d’essayer de consolider davantage son pouvoir, le président devrait passer la main en 2015, a dit Mme Bah. L’opposition craint que M. Compaoré amende la constitution pour pouvoir se représenter en 2015.
Les analystes estiment que le gouvernement doit également régler les problèmes d’impunité. En février, des étudiants ont manifesté contre la mort de leur camarade Justin Zongo dans des circonstances obscures à Koudougou, dans le centre-ouest du pays. Si les autorités disent qu’il est décédé d’une méningite alors qu’il était en détention, les étudiants estiment pour leur part qu’il est mort à la suite de mauvais traitements. Deux policiers ont été incarcérés dans le cadre de cette affaire. Les étudiants sont de nouveau descendus dans la rue début avril et ont mis le feu à la maison du premier ministre sortant et au siège du parti au pouvoir à Koudougou.
Il est déjà arrivé qu’un soulèvement populaire renverse un président. En 1966, Maurice Yameogo a été forcé de démissionner suite à des manifestations des syndicats ayant conduit à un coup d’État militaire. – IRIN