Les vérités et contrevérités des ministres Cissé et Telliano
Jul 18, 2011
En janvier, le gouvernement du Président Alpha Condé s’est réuni dans un réceptif hôtelier de Conakry pour définir ses stratégies qui ont pour objectif de développer la Guinée, dans les cinq prochaines années. Cinq priorités avaient alors été définies dont l’autosuffisance alimentaire et la lutte contre la corruption.
Dans le cadre de l’autosuffisance alimentaire, le gouvernement a initié la campagne agricole 2011-2012. Des un appels d’offres ont été lancés pour la fourniture des intrants agricoles dont 40 000 tonnes d’engrais et 500 000 litres d’herbicides pour 100 000 ha.
L’objectif est de réduire de moins 100 000 tonnes, l’importation de riz en Guinée estimée à 300 000 tonnes par an pour 125 millions de dollars américains. Mais des surfacturations ont été dénoncées dans la presse portant sur la fourniture des intrants, notamment des herbicides.
Le ministre de l’Agriculture Jean-Marc Telliano et celui du Plan, El Hadj Souleymane Cissé, qui est également le Président de la commission interministérielle chargée d’appuyer le ministère de l’Agriculture, ont été cités dans l’affaire.
Le 13 juillet, dans une conférence de presse qu’il a tenue à son département, le ministre du Plan, a déclaré que son collègue de l’Agriculture a importé 20 mille tonnes, alors que le pays n’en importait qu’au maximum « 5 mille tonnes d’engrais», par an. Le constat a révélé qu’à «Kankan, 40 camions transportant ces engrais, étaient en souffrance. Il n’y avait pas de magasins de stockage. C’est ainsi que le conseil des ministres saisi de cette situation, a mis en place une commission interministérielle d’appui au secteur agricole le 5 avril 2011.»
Le ministre dit sortir de sa réserve, suite à l’accusation portée contre lui par la presse dans la corruption qui aurait caractérisé ladite campagne. Surtout qu’il est le Président de la commission interministérielle chargée de « soumettre au conseil des ministres des propositions concrètes et rapides visant au recentrage du programme vers des objectifs réalistes en tenant compte à la fois du cadrage budgétaire 2011 et de la nécessité de la mise en place d’un cadre institutionnel approprié pour la gestion efficace de tout le processus de la campagne. »
Le 21 avril, à la tête d’une équipe de cadres, il s’est rendu à Kankan pour dispatcher 12 500 tonnes d’engrais dans toutes les préfectures, en deux semaines. « De façon générale une commission interministérielle est une commission dont la mission est limitée dans le temps », a-t dit El hadj Souleymane Cissé. C’est là-que s’arrête sa mission. En tous les cas, il déclare que la Commission n’est responsable de quoi ce soit dans l’affaire des engrais ou des herbicides. « Comment une commission mise en place le 5 avril peut-elle interférer sur un processus engagé depuis le mois de mars ? », s’est-il interrogé. Cette Commission dirigée par le ministre du Plan, était aussi composée du ministre de l’Élevage, le Général Korka Diallo, du ministre du Budget, Mohamed Diaré et du ministre délégué chargé des Transports, Ahmed Tidiane Traoré.
Alpha Condé mécontent
L’affaire de la prétendue surfacturation a fâché le Président Alpha Condé qui a dit, la semaine dernière, lors de sa tournée en Basse Côte : «Dans la campagne agricole que nous venons de lancer, certains ministres et cadres ont profité pour surfacturer le prix des herbicides. Un litre d’herbicide coûte normalement 40.000 FG. Mais certains l’ont surfacturé à 90.000 FG » Il dit avoir passé « ces six mois à observer avec patience les hommes. Aujourd’hui, avait-il dit, je sais désormais qui est qui. Il y a des cadres qui ne veulent pas que les choses changent. C’est pourquoi j’ai décidé de prendre mes dispositions, » avait avertit Alpha Condé. Mais face à cette colère du président de la République, le ministre du Plan, El Hadj Souleyamne Cissé avait dit qu’il n’a pas de commentaires à faire sur les propos d’Alpha Condé, qui pense que ses ministres l’ont trompé en surfacturant des intrants pour la campagne agricole 2011. Jean-Marc Telliano, son ministre de l’Agriculture a, lui, quelque chose à dire.
Jean-Marc Telliano dément
Le 15 juillet, soit deux jours après la sortie de son collègue du Plan, le ministre de l’Agriculture, très attendu, est sorti pour ne presque rien dire : « Aucune surfacturation n’a eu lieu sur quelque intrant que ce soit. Les passations ont été faites dans les règles de l’art par l’institution habilitée à cet effet (la Commission nationale des Marchés Publics). » M. Telliano donne des chiffres par rapport aux besoins en intrants et équipements agricoles. Il paraît que sa réalisation nécessiterait: 1 500 tonnes de semences améliorées de riz, 20 000 tonnes d’engrais, 500 000 litres d’herbicides, 500 000 litres d’insecticides et 150 tracteurs.
Les premières livraisons ont commencé par les engrais à Kankan, le mercredi 7 avril, quand « les premières pluies commençaient déjà à menacer.» Aussi, « 20 000 tonnes d’engrais livrés à Kankan et à Conakry respectivement en triple 17 (NPK) et en urée technique avec la situation suivante : A Kankan, 15 000 tonnes de triple 17 et 15 ont été réceptionnées. A date, il ne reste que 600 tonnes à transporter vers les préfectures. A Conakry, 5 000 tonnes d’urée technique ont été reçues. A date, il ne reste qu’environ 810,7 tonnes à transporter vers les préfectures dont 400 tonnes sont allouées au Projet de développement de la filière coton (en cours de livraison) », selon la déclaration du ministre Jean-Marc Telliano.
Parlant des herbicides dont le prix fait monter le taux d’adrénaline du Président de la République, Jean-Marc Telliano indique que pour le compte de la société AMAT-Sarl, la quantité d’herbicide réceptionnée à Kankan en provenance de Conakry et de Bamako se chiffre à 224 744 litres dont 121 616 ont été jugés recevables par la Commission nationale de réception basée à Kankan. 103 128 litres sont « considérés non conformes », suite à l’absence des spécifications techniques : date de fabrication et de péremption.
Rappelons de passage que selon les documents des appels d’offre des sociétés qui ont soumissionné pour la fourniture des intrants en faveur de la campagne agricole 2011-2012, AMAT Sarl avait proposé le prix du litre d’herbicide à 95 000 Francs guinéens.
SOGUICOM préoccupée
Pour le compte de SOGUICOM (Société guinéenne de commerce international) 43 870 litres d’herbicide ont été « livrés et transportés dans cinq préfectures de la région forestière. » Mais dès cette annonce, le PDG de SOGUICOM, El Hadj Mohamed Camara, qui se trouvait dans la salle, a démenti. Il a été pincé par un des Directeurs du ministère de l’Agriculture, qui lui a dit : El Hadj, calmez-vous ! C’est peut-être une erreur. El Hadj Mohamed Camara a démenti qu’il lui a été dit de livrer la marchandise dans les différentes préfectures. Dans le « Contrat de fourniture et transport d’herbicide », signé entre SOGUICOM et le Ministère de l’Agriculture, l’article IV stipule : « Les quantités d’herbicides suscitées doivent être livrées dans les Magasins indiqués par la direction nationale de l’Agriculture à Conakry.»
Mais la colère du PDG de SOGUICOM est surtout liée à la quantité d’herbicides qu’il a livrée au ministère de l’Agriculture, après la signature du contrat le 20 avril. Un procès verbal de réception du lot des herbicides dressé au compte dudit marché portant le No 2011/032/3/2/1/N, indique que le 5 mai 2011, à 10h, sous la présidence de Monsieur Morlaye Touré, Chef de cabinet du ministère de l’Agriculture, «une commission gouvernementale s’est rendue dans les magasins de la société SOGUICOM S.A sis au quartier Yimbay-Bougie ». Et en présence de Me Saïdouba Kissing Kamara, Huissier de justice, la commission a constaté que la quantité et la qualité des produits sont « fournis conformément aux clauses du Cahiers des charges et, vu que les conditions du marché ont été respectées, la commission déclare définitive la réception desdits produits ».
Le contrat porte sur un total de 300 000 litres, pour un coût de 29 487 300 000 francs guinéens. C’est-à-dire : 150 000 litres d’herbicide pré levée à 98 291 FG, le litre et 150 000 autres litres d’herbicides post levée au même prix que la première qualité. « L’acheteur se libérera des sommes dues dans un délai de 90 jours pour compter de la date de réception de la dernière livraison des 300 000 litres », mais selon El Hadj Mohamed Camara, PDG de SOGUICOM, l’Etat ne lui a payé que 9 milliards de francs guinéens. Il a de quoi s’inquiéter des contrevérités du ministre Telliano.
Signalons que les ministres n’ont pas voulu trop parler sur la signature des contrats avec les sociétés devant fournir à l’Etat les intrants de la campagne agricole 2011-2012. Parmi les cinq premières sociétés ou entreprises sélectionnées à l’ouverture des offres le 11 mars dernier, pour la fourniture des herbicides, deux d’entre elles ont été sélectionnées alors que les prix qu’elles avaient proposés à l’Etat étaient de 95 000 FG et plus de 98 000 FG.
On attend de voir le Président Alpha Condé sanctionner ceux de ses ministres qui seront accusés et reconnus coupables de la malgouvernance et de la corruption, d’autant que le 9 juillet dernier à Dubréka il a promis qu’à « partir de maintenant », il avertit « tout le monde » qu’il va « frapper, tous les cadres qui sabotent, tous les cadres qui font que la Guinée n’avance pas. Que ça plaise ou pas ! »
AfricaLog.com
