Henriette Ekwe est une figure de la société civile camerounaise. Lauréate en 2011 du prix du courage féminin décerné par le gouvernement américain, elle a refusé de siéger à Elecam (Elections Cameroon, organe électoral) en raison de la faiblesse des pouvoirs qui lui sont attribués pour réaliser des élections libres et transparentes au Cameroun.
Henriette Ekwe, recevant le prix du courage féminin à Washington, le 8 mars 2011.
AfricaLog.com: Comment qualifierez-vous la situation politique actuelle au Cameroun?
Henrietter Ekwe: Je crois que le régime est moribond. Il ne convainc plus. Il est davantage revenu à la menace qui succède aux promesses comme s’il n’avait pas ce bilan catastrophique. Comment peut-il faire des promesses sociales et économiques alors que le tissu industriel est détruit par les crises économiques ? C’est la question qu’on se pose. Il y a de nombreux cerveaux à Yaoundé mais nous n’avons toujours pas résolu le problème.
Chaque fois que l’on parle de recrutements c’est la police, la fonction publique. Le président [Paul Biya, Ndlr] a donc peur du printemps arabe et un jour, ses menaces ne pourront plus rien y faire. Il faut se souvenir que le matériel de répression est arrivé dans ce pays dans les années 1980, en prévision des réactions aux Programmes d’ajustement structurel. Cela n’a pas empêché la révolte des années 1990.
Pour le président Biya, la paix et la stabilité doivent être préservés à tout prix. Il a prévenu ceux qui veulent descendre dans la rue qu’il sera intraitable...
Présenter la paix comme un bilan est un peu court. Pareil pour l’unité du pays. L’hégémonie de l’ethnie présidentielle est sans partage. Plusieurs rapports de chancelleries occidentales en sont arrivés à le relever. Le président a peur de confier certains postes à des ressortissants de régions ou à des membres d’ethnies différentes de la sienne. La situation est donc bloquée. Paul Biya refuse toute ouverture. Face aux problèmes posés, il répond par la répression. Aucune attente n’est comblée. Le pays demeure enclavé, beaucoup de personnes sont sans emploi. Ce n’est pas à la veille de ses 30 ans de pouvoir qu’il va s’en sortir.
Le chef de l’Etat qui a fait un discours au congrès de son parti les 15 et 16 septembre a également lancé un avertissement face à la conjoncture internationale. Le Cameroun ne veut pas d’intervention étrangère dans ses affaires...
Vis-à-vis de la communauté internationale cela pourrait être comparé à de la rigolade. Le président est absent des sommets de la Cemac (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) ou de l’Union africaine. Mais quand il sait qu’il pourra rencontrer Barack Obama ou Nicolas Sarkozy dans un sommet, il y va. Il sait qu’il tient son pouvoir des puissances occidentales. Il a du mépris pour les rencontres régionales. Ce n’est donc pas la peine de contester la communauté internationale dans une telle posture. En réalité, il en parle parce que aux yeux de la France et des Etats-Unis, il n’est plus crédible.
Comment pourrait-il réagir à la longue si l’occident lui met la pression?
Il va certainement se raidir. Déjà, il a refusé le débat au sein de son parti en organisant un congrès Tgv sans discussions, ni évocation du bilan. Il va se raidir en frappant sur toute contestation interne. Pour que le ministre de la Communication en arrive à demander que les télévisions et radios privées n’organisent pas de débat, il faut en effet que le bilan soit mauvais.
Que peut faire l’opposition?
L’opposition doit redescendre dans la rue. Elle n’a pas le choix. Il lui faut attirer l’attention sur ce qui se passe. La voie des urnes en effet a été verrouillée. En vingt ans, elle n’a rien donné. Le pouvoir consent à laisser quelques mairies périphériques mais pas le pouvoir central qui décide du changement.
Interview réalisée Jean Baptiste Ketchateng