«La CENI, à date, ne nous parait pas capable d’organiser les élections selon le chronogramme qu’elle a publié », a constaté le Ministre de l’Administration du Territoire.
«Je vais demander à la CENI de tenir compte des préoccupations des partis qui veulent réellement aller aux élections», a déclaré le Président Alpha Condé.
Il ne fait plus l’ombre de doute que la date du 8 juillet 2012 n’est plus tenable. Le pessimisme du Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation en tournée pour s’enquérir de l’état d’avancement des préparatifs au niveau des démembrements de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) vient de se concrétiser par la sortie du Président de la République.
Après avoir rencontré les CEPI (Préfecture), CECI(Commune) et CESPI (Sous-préfecture) de Coyah, Forécariah et Dubréka, le constat de Dr Alhassane Condé est qu’il n’est pas possible d’organiser les élections législatives à la date avancée par la CENI. A savoir le 8 juillet 2012. Les différents membres de ces structures étaient sur la même longueur d’onde que ceux de la base, c’est-à-dire de la CENI. Ils ont, sans ambages, dit ouvertement au Ministre l’impossibilité de tenir la date indiquée. Et pour cause. Jusqu’au passage du Ministre Condé, le 26 avril, des problèmes se posent comme l’absence de chronogramme en vue de l’enrôlement des électeurs, absence des opérateurs de saisis sur les lieux: «On avait dit que ça [la révision ou le recensement, c’est selon, ndlr] devait durer 45 jours. Puis, nous avons appris que ce sont deux mois. Supposons que le recensement commence le 2 mai, avec les deux mois annoncés pour l’enrôlement, nous serons au 30 juin. Cela voudrait dire qu’il ne restera qu’une semaine pour aller aux élections. Ce qui est impossible !», a déclaré un membre de la CEPI de Dubréka.
Après avoir pris le pouls de la réalité, à la base à Conakry ainsi que constaté la matérialité rien que dans ces trois préfectures, le Ministre de l’Administration du Territoire a laissé parler son cœur: «Hier j’étais avec le Président de la CENI qui, dans son discours, m’a donné beaucoup d’assurance. Mais malheureusement, au même moment, d’autres Commissaires m’ont parlé de problèmes notamment du retard dans le travail. Le chronogramme est en retard d’au moins trois à quatre semaines.»
Et ce constat est évident partout où il est passé: «J’ai effectué ce déplacement, effectivement, c’était pour voir comment la situation se présentait sur le terrain. J’ai rencontré les CEPI, les CECI, les CESPI de Coyah, Forécariah et Dubréka, honnêtement, je ne suis pas rassuré. Les résultats qui m’ont été donnés, c’est qu’ils ne sont pas prêts. C’est vrai, ils sont reçu les kits, mais ils disent qu’ils n’ont pas de chronogramme. Ils ne savent pas par quoi commencer et il semblerait que le recensement aurait dû commencer le 26 mars, ça fait un mois de retard. Donc, à ce niveau-là, nous n’avons pas la certitude que les élections législatives puissent se tenir dans les délais».
D’où la décision suivante: «Nous pouvons, peut-être, attirer l’attention du gouvernement sur le fait que la CENI, à date, ne nous parait pas capable d’organiser les élections selon le chronogramme qu’elle a publié. Ça c’est notre devoir en que Ministère en charge des questions électorales.»
C’est au regard de ce constat pessimiste de son Ministre que le Chef de l’Etat a rencontré les ambassadeurs et représentants d’institutions internationales concernées par le processus électoral ce vendredi, 27 avril. Le Prof. Alpha Condé n’est pas passé par quatre chemins pour faire savoir sa pensée quant à la tenue ou pas des législatives, le 8 juillet, date annoncée en son temps par le Président de la CENI: «je vais rencontrer la CENI pour lui demander de tenir compte des préoccupations des partis qui veulent réellement aller aux élections et que les gens aient toutes les garanties de transparence et de capacités techniques de la tenue des élections. Donc, je ne fixerai pas la date qu’ils doivent revoir, faire un chronogramme qui tienne compte de tout cela et qui soit sûr. A partir de ce moment-là, je prendrai le décret pour convoquer [le corps électoral, ndlr].
Donc, je ne convoquerai pas demain [28 avril, comme prévu dans le chronogramme de la CENI, ndlr].
Comme pour assurer de sa bonne foi, le Président de la République a affirmé à ses interlocuteurs qu’il ne s’est pas battu pendant des décennies durant pour la démocratie, et qu’il se permette d’organiser des élections non crédibles et bâclées: «moi, je ne peux pas me permettre, après avoir mené tant d’années de combat, que sous ma présidence, des élections ne soient pas transparentes, démocratiques et crédibles. Ça c’est clair.»
Toutefois, le Professeur Alpha Condé d’avancer d’autres exigences: «Avant que je ne fixe la date, non seulement, il faut que je connaisse combien Waymark peut enregistrer [enrôler, ndlr] par jour, deuxièmement, que je dispose sur un support les données de la Sagem. A partir de ce moment-là, si on me donne un chronogramme, je sais que c’est un chronogramme qui peut être respecté.
Mais, si on me donne un chronogramme en disant que la révision [de la liste électorale, ndlr] va durer 45 jours, mais que je ne sais pas quand est-ce la Sagem va mettre ça à ma disposition, évidemment que ce serait une erreur. Donc, je ne suis pas prêt à fixer une date tant que je n’ai pas la certitude sur ces données. Donc je rencontre la CENI cet après-midi pour leur dire ma position.»
Espérant que la CENI va tenir compte du désidérata des différentes parties (communauté internationale, bailleurs de fonds, partis politiques et autres), le Président Alpha Condé a abordé le sujet concernant le fichier électoral établi par la Sagem et qu’elle a gardé par devers elle.
C’est son Chef de cabinet, Kiridi Bangoura qui prendra d’abord la parole pour expliquer le mécanisme d’intervention de la Sagem en faisant le parallèle avec le Mali. A peine, a-t-il fini, que le Chef de l’Etat a renchéri : «Il y a une chose que tu n’as pas ajoutée. Au Mali, la Sagem avait pris des opérateurs maliens. Donc tous les ingénieurs étaient maliens. Ici, ça n’a pas été le cas. Dans le choix de la Sagem ici, il y a eu beaucoup de problèmes.
D’abord, le PNUD a fait un appel d’offres sans tenir compte des opérateurs africains. Il a fallu que les gens protestent pour qu’il fasse un deuxième appel d’offres. Donc, les conditions dans lesquelles la Sagem a été recrutée ne sont pas transparentes. Mais, nous ne pouvions rien. Et ils n’ont permis à aucun cabinet africain d’y participer.
Mais, comme c’est l’Union Européenne qui payait, ils ont travaillé sans des opérateurs guinéens.»
Le Président de la République a tout de même invité ses interlocuteurs à continuer à apporter leur soutien à la Guinée. Il les a rassurés que la CENI va communiquer comme ils le relèvent: «nous souhaitons que vous puissiez nous accompagner, mais pour cela, il faut que la CENI fasse un effort. Et vous avez demandé que la CENI communique. Cela veut dire qu’elle ne communique pas suffisamment avec vous.
Donc, cet après-midi, quand je vais les [Commissaires de la CENI, ndlr] rencontrer, je vais exiger qu’ils vous informent au moins une fois par semaine, pas nécessairement qu’il y ait une réunion, mais qu’ils vous informent et qu’ils vous rencontrent peut-être deux fois par mois. Il faut qu’ils fassent régulièrement le point ; que l’on sache qu’est-ce qu’on peut demander à chacun d’entre vous, quel apport vous pouvez nous faire. Mais cela suppose que vous soyez régulièrement informés.»
Les diplomates et les représentants d’institutions internationales ont apprécié la tenue de cette rencontre et ont salué la démarche préconisée par le Président Alpha Condé. Toutes choses qui dénotent la volonté de transparence de leur hôte dans tout le processus de préparation et de tenue des élections législatives.
Dans l’après midi de ce vendredi 27 avril, le Chef de l’Etat a conféré avec les 24 Commissaires de la CENI. Il s’agissait pour le Professeur Président de s’assurer que toutes les conditions pour la tenue des prochaines législatives qu’il veut «transparentes, crédibles et acceptées par tous», sont réunies. Il est finalement ressorti des débats que les conditions techniques actuelles ne militent pas en faveur de la tenue des élections législatives le 8 juillet 2012, telles que souhaitées par l’élu du 7 novembre 2010: «j’ai pris l’engament devant la communauté internationale que je m’assurerai qu’il n’y ait aucun problème technique.
Comme la date limite, c’est demain [samedi, 28 avril 2012, ndlr], pour savoir si les élections pourraient avoir lieu ou pas, j’ai envoyé des gens sur le terrain, j’ai discuté avec les gens, j’ai rencontré Cellou [Dalein Diallo de l’UFDG, le 25 avril, ndlr], j’ai rencontré les autres, pour écouter.»
Alpha Condé a rappelé les raisons de sa réticence face à la tenue d’élections non crédibles: «Je me suis battu pendant longtemps pour la démocratie, je n’entends pas que des élections soient organisées sous moi, sans qu’elles ne soient transparentes et crédibles. Donc, il faut que je m’assure qu’effectivement, les conditions sont remplies. Donc j’ai rencontré l’ensemble des diplomates ce matin, j’ai écrit au PNUD pour que la Sagem transfère sur un support que nous allons proposer, le fichier. Parce que le fichier appartient à la Guinée.»
Faisant le point de ses entretiens avec les diplomates par rapport aux démarches qui ont abouti au choix de la Sagem, le Président de la République a souligné: «comme c’est l’Union Européenne qui a payé, on s’est arrangé pour que la Sagem ait le contrat. C’est pourquoi j’ai demandé à l’Union Européenne et aussi PNUD qu’il faut que la Sagem vienne faire le transfert de l’ensemble des données alphanumériques et biométriques sur un support. Il est évident que ça s’est fait au Mali, au Nigeria sans aucun problème.
Donc, je ne peux pas m’amuser à convoquer des élections quand je ne sais même pas quand est-ce que la Sagem va venir pour le transférer les données alphanumériques et biométriques. Ça serait irresponsable.
J’ai pris l’engagement que tous les gens qui sont sur le fichier, qui ont participé à l’élection présidentielle auront une carte d’électeur, sauf les cas de doublons quand on va nettoyer. Maintenant, ceux qui veulent une carte d’identité iront mettre leurs doigts... Mais, c’est facultatif.»
Et le Président Alpha de répéter: «je ne peux pas m’amuser à convoquer les élections sans que j’aie la certitude qu’on aura toutes les données alphanumériques et biométriques des gens qui sont sur la liste de l’élection présidentielle. Et ensuite que tout le monde voit que techniquement, il n’y a aucun problème. C’est-à-dire que les gens voient que le transfert sur le kit de Waymark ne pose aucun problème ; deuxièmement, que l’on sache combien Waymark peut enregistrer par jour.»
Il a invité les 24 Commissaires de la CENI en ces termes: «Comme vous pouvez faire la révision pour inscrire les nouveaux électeurs, vous pouvez commencer la révision. Mais je vous demande de travailler sérieusement pour, après, me proposer un chronogramme réaliste et qui tienne compte des préoccupations des autres.»
Le Chef de l’Etat de marteler: «il y a des gens qui veulent aller à des élections, mais qu’elles soient transparentes.»
Il va faire le rappel suivant aux membres de la CENI: «moi, je n’ai pas désigné votre Président [Lousény Camara, ndlr]. C’est vous qui avez voté. Ensemble, vous avez voté. Il y a un qui a eu 15 voix, l’autre a eu 7 voix. Donc, je n’ai rien à voir dedans. Pourquoi voulez-vous que je me mêle des problèmes d’élection ou de sa composition ? Je n’ai rien à voir dedans. Ce n’est pas moi qui ai nommé la CENI. Elle a été mise en place à la suite de l’adoption d’une loi. Moi, je n’ai qu’un représentant à la CENI, c’est Ibrahima Kalil [Kéita, représentant du RPG originel, ndlr]. Et tout le monde sait que j’étais minoritaire à la CENI. Malheureusement, les gens ne sont pas réalistes ou ils ne comprennent pas la politique.»
Et le Prof. Alpha Condé de rassurer les Commissaires en ces termes: «Donc, je vous ai appelés. La CENI est indépendante, elle travaille. Mais c’est moi qui suis responsable du pays et de la crédibilité des élections. C’est pourquoi la CENI peut proposer une date mais, c’est le Président qui fixe la date. La CENI ne fait que proposer.
Moi, je n’ai pas lutté pendant 50 ans pour la démocratie, pour organiser des élections qui puissent être sujet à caution. Il faut donc que techniquement, toutes les conditions soient remplies pour que les élections se passent de façon parfaite.
Nous avons connu beaucoup de problème pendant les présidentielles, ça c’était le régime militaire d’exception, moi je suis un Président démocratiquement élu, je ne peux pas me permettre d’organiser des élections bâclées ou en tout cas qui peuvent créées des problèmes.»
Le Professeur leur a demandé de travailler consciencieusement pour le bonheur des Guinéens et l’honneur de la CENI: «si la CENI est décrédibilisée, ce n’est pas Lousény, c’est vous tous. Ce n’est pas Lousény qui vous a mis à la CENI, hein ! Vous y avez été envoyés et vous avez prêtez serment. La CENI a été mise en place par une loi et vous avez fait serment. Quand on fait serment, on doit respecter son serment.
Je vous ai appelés pour vous expliquer les raisons pour lesquelles je ne peux pas fixer de date des élections. Et je vous demande de travailler pour réellement réunir toutes les conditions d’une élection transparente. Il y a des choses qui ne dépendent pas de vous. C’est pourquoi j’ai demandé au PNUD et à l’Union Européenne, qu’il faut que la Sagem vienne pour faire le transfert, parce que le fichier appartient à la Guinée. Waymark aussi fera les démonstrations qu’il faut pour que tout le monde soit à l’aise quant à ses capacités d’enregistrement.
J’ai demandé au Ministre de l’Administration du Territoire d’envoyer ses cadres sur le terrain pour voir comment se passe la révision etc. pour avoir l’assurance que quand on va fixer une date, je vais dormir tranquille parce que tous les problèmes techniques seront résolus.
Je ne mets nullement en cause l’indépendance de la CENI ni son pouvoir de faire des propositions», devait conclure le Président de la République.
En attendant, comme on peut le constater, aucune nouvelle date n’est fixée. Les élections législatives annoncées pour le 8 juillet sont reportées sine die.
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