Par Oasis Kodila Tedika
Depuis plus d’une décennie, la croissance africaine semble persister. La croissance du PIB y a, il est vrai, ralenti à la suite de la crise financière internationale, passant de 4,9% en 2008 à 1,6% en 2009. Mais, elle est vite revenue à la hausse. Cette annonce positive ne devrait pas détourner l’attention des efforts considérables qu’il reste cependant à faire. Selon les projections, avec un rythme des taux de croissance proches de 10 % et une croissance démographique proche de 2 % l’an, il est envisageable que d’ici à 2050 l’Afrique ait, en moyenne, le même niveau de revenu que les derniers pays entrés dans l’Union européenne. Mais pour cela, il faut améliorer le contexte institutionnel africain.
Des taux de croissance qui réduisent la pauvreté sensiblement sont ceux qui
sont soutenus. Et étant donné la gravité de la pauvreté africaine, il faut
accélérer la croissance. On parle maintenant presque conventionnellement
d’«accélération» lorsque, pour une année donnée, le taux de croissance par
habitant sur cinq ans dépasse d’au moins 2 points celui des cinq années
précédentes et s’il est égal ou supérieur à 2 %, et que, en outre, le revenu
per capita est plus élevé après l’accélération que le meilleur niveau
enregistré auparavant. Pour le cas africain, les économistes s’accordent à
dire que ce continent reste loin de son potentiel. Ce qui, d’une certaine
manière, est une bonne nouvelle.
En effet, à titre illustratif, Simon Johnson, Jonathan D. Ostry et Arvind
Subramanian rapportaient déjà en 2007 que la qualité moyenne des
institutions économiques, mesurée par le risque d’investissement, pour le
groupe des pays à résultats prometteurs africains (PRPA) – Burkina Faso,
Éthiopie, Ghana, Mali, Mozambique, Ouganda, Sénégal et Tanzanie – s’élèvait
à 7,9, soit déjà supérieure à celle des pays qui ont connu une croissance
soutenable (PCS) au milieu des années 80 dont la moyenne était de 6,4.
L’Afrique sub-saharienne et même ses pays prometteurs font mieux en termes
de contraintes à l’exécutif que les PCS, en dépit du fait que leur note soit
inférieure à celle du monde en développement. L’Afrique a d’autres atouts.
Comme on le sait maintenant, il n’y a pas de soutenabilité de la croissance
sans une amélioration des institutions. Catherine Pattillo, Sanjeev Gupta et
Kevin Carey écrivent : « En fait, l’indice de l’évaluation de la politique
et des institutions nationales, de la Banque mondiale, qui apprécie de
manière générale l’orientation de la politique économique, est resté stable
ou s’est amélioré durant les périodes d’accélération ». Donc, autrement dit,
l’Afrique ne peut guère échapper à cette loi d’airain. C’est ainsi par
exemple que l’Afrique sub-saharienne devra porter une attention particulière
au coût de création d’une entreprise, qui est deux fois supérieur à celui du
monde en développement et sept fois supérieur à celui des PCS. La situation
des PRPA est encore pire : dix fois supérieur aux PCS.
Il faut donc un tissu institutionnel permettant de dynamiser
l’entrepreneuriat. L’Afrique doit impérativement améliorer le climat des
affaires, mettre en place un environnement plus propice afin que les
entreprises puissent s’établir et prospérer. Ce qui permettra d’encourager
l’investissement privé, sans lequel la viabilité de la croissance reste
discutable.
Au-delà de l’amélioration des institutions, des études récentes ont mis à
jour d’autres éléments qui font de pair avec la soutenabilité de la
croissance. Parmi ces éléments, on compte une gestion macroéconomique
prudente ou saine. S’il est vrai que l’Afrique a relativement réussi à
réduire l’inflation, la question de sa volatilité n’est guère résolue
complètement. Le solde budgétaire devrait aussi préoccuper les autorités. Là
où le bât blesse encore davantage, c’est au niveau du taux de change. Simon
Johnson, Jonathan D. Ostry et Arvind Subramanian estiment que la monnaie
serait réellement surévaluée de 17,4%, alors que les pays en développement
hors Afrique vivraient avec une sous-évaluation (-6,1%).
Ces études mettent aussi en évidence le rôle majeur du commerce comme moteur
important de ces accélérations. Cela se concrétise par une hausse des
exportations et d’une libéralisation des échanges. Or, le ratio
exportations/PIB demeure faible en Afrique, surtout si l’on considère les
exportations de produits manufacturés, relativement aux autres nations en
développement. C’est à ce niveau que l’Afrique devra gagner le pari de la
diversification, afin de stimuler les exportations de produits manufacturés.
Car celles-ci nécessitent une forte intensité de main-d’œuvre (réduction du
chômage garanti, etc.), bénéficient à un grand nombre, placent l’économie
dans un cercle « vertueux » et favorisent même l’amélioration des
institutions. Le rôle de la croissance de l’agriculture, surtout de sa
productivité, est indéniable, étant donnés les effets d’entraînement de
longue durée qu’elle exerce sur l’économie.
L’autre levier sur lequel s’appuyer est l’éducation. Le taux de
scolarisation reste encore très faible, comparativement à ce qui se passe
dans le monde en développement. La situation est rendue encore plus complexe
quand on aborde la qualité de cette éducation, qui est fortement affectée
par la corruption discrète.
En somme, il existe une gamme de politiques qui devront être mises en place
par les gouvernements africains pour permettre à l’Afrique de faire
complètement usage de son potentiel, et donc d’accélérer sa croissance, en
dépit de son côté partiellement imprévisible, et améliorer les conditions de
vie des africains.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org