Des tapis d'ordures jonchent les rues et, à la veille de la saison des pluies, la lagune menace d'inonder la basse ville de ses eaux fétides. Mais pour Lomé, l'heure du réveil a sonné. Il était temps : les habitants de la capitale du Togo, longtemps considérée comme la plus agréable des cités d'Afrique de l'Ouest, ont troqué son surnom de "Lomé la belle" pour celui de "Lomé la poubelle".
Les difficultés de la métropole sont celles de la plupart des villes d'Afrique, mais poussées à l'extrême : le pays a été privé d'aide internationale pendant près de quinze ans, au moment où le continent africain affrontait les pièges d'une urbanisation effrénée. Fermé dans les années 1990 pour sanctionner le régime répressif du président Gnassingbé Eyadéma, le robinet de l'aide au développement a commencé à se rouvrir en novembre 2007, après des élections législatives jugées satisfaisantes par la communauté internationale. Entre-temps, la population de Lomé a doublé pour approcher 1,5 million d'habitants. Sans aucun plan d'urbanisme. "La ville se développe à une vitesse vertigineuse et de façon anarchique, reconnaît le ministre de l'urbanisme, Issifou Okoulou-Kantchati. Notre schéma directeur date de 1981, il est totalement dépassé." Avec dans leurs chéquiers des dizaines de millions d'euros de subventions, l'Agence française de développement (AFD), la Commission européenne, la Banque mondiale et la Banque ouest-africaine de développement découvrent une capitale où les services urbains les plus élémentaires sont à reconstruire. "Il y a tant à faire que nous travaillons de manière éclatée, avec le risque de manquer de cohérence,observe Denis Legeay, chargé de programme de la Commission européenne à Lomé. On n'a pas de réflexion globale sur un schéma général d'assainissement ou de développement urbain." Premier signe de la renaissance, des bataillons d'ouvriers écrasés de chaleur posent des pavés sur la terre rouge des rues principales. Des chantiers à "haute intensité de main-d'oeuvre" , qui visent autant à rendre carrossables les voies défoncées et à poser des réseaux d'évacuation des eaux de pluie qu'à distribuer des revenus à la population. "Le besoin le plus urgent, c'est l'assainissement, estime le maire de Lomé, Lodé Aouissi. Le deuxième, c'est le traitement des déchets. Ensuite, il y a les transports en commun et l'éclairage public, pour combattre l'insécurité." On pourrait ajouter l'eau potable, alors que 600 000 habitants de la périphérie ne sont pas connectés à un réseau déjà sous-alimenté. "Les habitants creusent leurs propres puits et développent des réseaux de distribution sauvages, mais sans descendre assez profond : l'eau qu'ils puisent est polluée par les poubelles", s'inquiète Komi Adjivon, à la Togolaise des eaux. La ville est devenue une décharge à ciel ouvert depuis que l'entreprise qui collectait les déchets a jeté l'éponge, en 1996, restant impayée. Armées de charrettes à bras, de nombreuses "associations de quartier" ont pris le relais, déversant les ordures dans des dizaines de dépotoirs sauvages, voire au coin de la rue. C'est pourtant sur ces associations que va s'appuyer la municipalité, qui vient de désigner trente-cinq d'entre elles pour collecter les ordures au nom de la ville - et lui reverser une part de leurs recettes : "Ces structures vont devoir se professionnaliser, respecter un tarif unique et déposer les déchets uniquement dans des conteneurs fermés, que nous allons installer dans la ville et que des camions viendront chercher pour les vider dans une véritable décharge", détaille Guillaume Josse, responsable du projet pour l'Agence française de développement à Paris. "C'est un système qui a fait ses preuves et qui permet de continuer à donner du travail à la population." En l'absence de cadastre, la collecte des déchets est aussi un moyen de faire un relevé d'adresses dans toute la ville, après des années de croissance incontrôlée. Les cahutes de bric et de broc, dénuées de système d'assainissement des eaux usées, s'étendent désormais très au nord de la lagune, y compris dans des zones inondables mal consolidées par des remblais d'ordures. "Cela diminue la capacité d'absorption des sols. Et quand vient la saison des pluies, le ruissellement entraîne toutes sortes de rejets et de déchets dans la lagune, qui déborde à son tour dans la ville basse", explique Yves Picard, directeur du bureau de l'AFD à Lomé, qui finance les travaux de la lagune. Début mars, une barge de dragage a commencé à extraire le sable et la boue du fond des lacs pour augmenter leur capacité de rétention. Resteront à enlever les tonnes de déchets qui disputent la surface aux jacinthes d'eau. Puis à réparer les canalisations qui traversent la ville sur deux kilomètres, jusqu'à sa longue plage paradisiaque - et désespérément vide -, pour évacuer le trop-plein dans l'océan. Avant, peut-être, de pouvoir transformer les abords de la lagune en parc paysager, dotant enfin Lomé du poumon vert qui lui fait défaut. – Le Monde