Dure journée pour Benoît XVI. En recevant vendredi 12 mars, Mgr Robert Zollitsch, président de la conférence épiscopale allemande, le pape a de nouveau été confronté aux révélations d'abus sexuels commis sur des mineurs par des membres du clergé. Mais, après sa rencontre historique avec les évêques irlandais sur ce thème il y a moins d'un mois, une touche personnelle s'est ajoutée cette fois à "l'émotion" éprouvée, selon Mgr Zollitsch, par Benoît XVI lors de leur entrevue.
Les 170 plaintes qui secouent depuis plusieurs semaines le pays natal du pape, concernent des faits survenus dans les années 1970 et 1980, au cœur des diocèses où Joseph Ratzinger exerça ses fonctions de prêtre, professeur et évêque. Dans la soirée,
Süddeutsche Zeitung révélait qu'un prêtre pédophile présumé avait été hébergé en 1980 par l'archevêché de Munich, dirigé entre 1977 et 1982 par l'actuel pape, pour y
"suivre une thérapie".
Le diocèse a confirmé que ce fait était connu de Mgr Ratzinger. En revanche, le vicaire général de l'époque assume seul la responsabilité d'avoir confié un poste d'aumônier au prêtre concerné, en dépit des soupçons qui pesaient sur lui. Le prêtre s'était alors rendu coupable d'autres abus qui lui valurent en 1986 d'être condamné à dix-huit mois de prison avec sursis. Il y a une dizaine de jours, et avant que l'information ne soit publique, c'est le frère de Benoît XVI, Mgr Georg Ratzinger, qui avait informé le pape que des abus sexuels et des châtiments corporels avaient été commis sur des enfants de la chorale de Ratisbonne, qu'il a dirigée durant trente ans.
Dans ce contexte, le pape a apporté son "soutien" à l'Eglise allemande pour la façon dont elle fait face à ces scandales qui touchent deux tiers des 29 diocèses allemands. A l'issue de son entretien avec le pape, Mgr Zollitsch a rappelé qu'un évêque avait été spécifiquement chargé de suivre ces affaires et a renouvelé "ses excuses" envers les victimes. Il a indiqué vouloir faire la lumière sur l'ensemble des affaires, y compris les cas prescrits. Le 8 mars, la ministre de la justice allemande, avait estimé que le Vatican avait mal géré le dossier, évoquant un "mur de silence" dans l'institution catholique.
En quête d'explications et de solutions face à ce phénomène qui, s'il n'est pas limité à l'Eglise catholique, interroge par son caractère récurrent, des voix se sont élevées pour relancer le débat sur le célibat des prêtres. Le théologien suisse Hans Küng a le premier évoqué le sujet, estimant que l'abolition du célibat limiterait les risques de pédophilie. L'archevêque de Vienne, Mgr Christoph Schönborn, a pour sa part expliqué que "sans remettre en cause cette règle", il fallait s'interroger sur "les causes" de la pédophilie au sein du clergé, parmi lesquelles "le célibat". Lui-même a été nommé à son poste en 1995, à la suite d'un scandale d'abus sexuel impliquant son prédécesseur, Mgr Hans Hermann Groër.
Plus explicite l'archevêque de Salzbourg a déclaré vendredi : "Le temps et la société ont changé. L'Eglise doit se demander si elle peut entretenir ce mode de vie et ce qu'elle doit y changer." L'Autriche fait également face depuis quelques jours à une série de révélations d'abus, qui ont entraîné la révocation de plusieurs prêtres Le Vatican, qui sur ce sujet met régulièrement en avant le fait que les auteurs d'actes pédophiles se retrouvent majoritairement au sein des familles, a une nouvelle fois balayé toute évolution de la tradition catholique en la matière. Vendredi, le pape a réaffirmé la "valeur du célibat sacré". "Le célibat est le signe de la consécration tout entière au Seigneur", a-t-il insisté lors d'une rencontre avec la Congrégation du clergé.
Selon des experts, d'autres facteurs expliqueraient l'ampleur de ce phénomène au sein de l'Eglise catholique. La théologienne Marie-Jo Thiel, interrogée par La Croix le 11 mars, évoque une "culture et une philosophie cléricales, avec une conception de l'autorité qui permet de se mettre au-delà de la justice, de la démocratie, de toute transparence". "Longtemps le clergé a considéré la pédophilie comme une faiblesse passagère, au même titre qu'une liaison avec une femme ou un homme, alors que l'on est là face à un acte criminel", estime aussi une juriste qui a travaillé sur ces questions avec l'épiscopat français. "La culture du secret et de l'étouffement est une tradition dans l'Eglise, qui a toujours préféré arranger ses affaires avec sa propre justice, au nom de sa suprématie et de son autonomie", commente Emile Poulat, historien du catholicisme.
Pour un psychanalyste, qui a travaillé avec l'Eglise catholique française, le risque zéro n'existe pas. "Mais dans une institution où la relation duelle est importante il faut, dans ces affaires, mettre en place des procédures générales et un fonctionnement collégial." Sous la pression des opinions publiques, l'Eglise catholique s'est engagée depuis quinze ans dans un processus de reconnaissance, de prévention et de sanctions. Selon Mgr Zollitsch, le Vatican réfléchirait à la mise en place de normes universelles pour traiter ces affaires, dévastatrices pour la crédibilité de l'Eglise.
Le contexte actuel rend d'autant plus urgente la publication de la "Lettre aux Irlandais" promise par Benoît XVI sur ce sujet, "avant Pâques". Elle devrait s'adresser aux fidèles et clergés concernés. S'il voit le jour, ce texte sera à mettre au crédit du pape, mais il ne lèvera pas les interrogations sur ce que le cardinal Ratzinger, préfet pour la congrégation de la doctrine de la foi, durant plus de vingt ans, savait de tous ces scandales. – Le Monde