De l'élite ghanéenne, à laquelle il a réservé ses interventions, à l'homme de la rue, tout un peuple s'est reconnu dans les critiques et les encouragements du premier président américain de couleur.
Barbe blanche, carrure imposante et voix de stentor, Jerry Rawlins ne cache pas son enthousiasme. «Barack Obama a prononcé un discours très fort, il est allé droit au but.» En ce samedi, les formules du président américain, sur la corruption en Afrique, les guerres tribales et les régimes autoritaires qui, s'abritant derrière les legs du colonialisme, bafouent les libertés, résonnent encore dans l'enceinte du palais des congrès d'Accra. Jerry Rawlins, l'ancien président qui, après un coup d'État au début des années 1980, a remis, à compter de 1992, date de la nouvelle Constitution, le Ghana sur une voie démocratique dont il n'a plus dévié depuis, est toujours sous le charme. «Je suis très heureux qu'un homme comme Obama ait été élu, il va apporter un peu de moralité dans la politique internationale.» «À nous de prendre en main notre destin» Plus que d'autres, Samia Nkrumah, vêtue d'un boubou traditionnel aux couleurs chatoyantes, a quelques raisons de laisser libre cours à son émotion. Samia, aujourd'hui députée du parti du président John Atta Mills, n'est autre que la fille du «père de la nation» ghanéenne, Kwame Nkrumah. La mémoire du grand homme, qui a fait du Ghana la première nation indépendante d'Afrique noire en 1957, avant de lancer les fondations du panafricanisme, vient d'être chaleureusement saluée par le président des États-Unis. Dans son premier grand discours aux peuples d'Afrique, Barack Obama a établi un parallèle historique entre l'époque des indépendances africaines et celle qui s'ouvre aujourd'hui. À nouveau, a-t-il promis, «c'est un moment porteur de grandes promesses» pour le continent noir. Samia Nkrumah a été personnellement touchée. «C'est vrai, l'indépendance n'était pas une fin en soi. C'est à nous maintenant de prendre en main notre destin, le changement ne peut venir que de nous.» Barack Obama, en reprenant le slogan de sa campagne victorieuse - «Yes, you can» -, était venu adresser ce message de volonté et d'espoir au continent noir dont il est, par son père, issu. Mêlant, comme souvent à l'étranger, sa propre histoire à celle du pays hôte, le premier président américain de couleur a multiplié les références à sa famille paternelle, puis à celle de son épouse, lors de leur visite privée au fort de Cape Coast, d'où partirent tant d'esclaves vers les États-Unis. Si tant d'Afro-Américains et de nombreux immigrés venus plus récemment d'Afrique ont prospéré en Amérique, pourquoi, a-t-il demandé, les enfants de ce continent n'y parviendraient-ils pas chez eux ? «L'avenir de l'Afrique appartient aux Africains eux-mêmes», mais il ne sera prometteur que si ceux-ci réalisent que «le développement dépend de la bonne gouvernance». «L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais d'institutions fortes», des élections véritablement démocratiques, une justice indépendante, une police intègre. Voilà ce qu'a martelé le président américain. Cette conviction, qu'il avait déjà eu l'occasion d'exprimer, ne diffère guère de celle, similaire, énoncée par de nombreux chefs d'États occidentaux depuis des dizaines d'années. Barack Obama a inscrit son action dans la continuité de la politique définie en Afrique par George W. Bush, auquel il a rendu hommage. Mais, évidemment, le fils de Kenyan a bénéficié de la reconnaissance que lui procurent sa couleur de peau et son propre vécu. Le citoyen pris à témoin Ses interlocuteurs, fiers de le considérer comme un enfant du pays, étaient par avance conquis. «Yes, together we can», proclamait la banderole déployée dans le palais des congrès, où se côtoyaient les adversaires politiques ghanéens, signe, relevé par le président américain, d'une démocratie adulte et apaisée. Plus qu'une communion physique avec la foule ghanéenne, qui n'eut jamais lieu - les impératifs sécuritaires imposés au président américain ne sont pas compatibles avec l'exubérance africaine -, c'est au travers de ce discours que Barack Obama entendait prendre à témoin l'homme africain, et fixer le cadre des relations que sa présidence veut instituer avec les États subsahariens. La brièveté de cette visite d'un jour n'aura malheureusement pas laissé le temps à Barack Obama de dialoguer avec la jeunesse du pays, exercice dont pourtant il raffole. Sans doute une erreur de communication. Car dans ce palais des congrès d'Accra, devant une assistance où la moyenne d'âge devait tourner autour de la cinquantaine, c'est la jeunesse africaine que le président américain a exhortée à entreprendre et à se dépasser. «S'il vient au Ghana, c'est pour saluer notre démocratie qui est meilleure que dans les pays voisins, commentait Patrick, qui venait de suivre le discours à la télévision. Mais nous, nous voulons une vraie démocratie, comme aux États-Unis.» Au moins, se satisfaisait son ami Jeffrey, également étudiant, «en venant au Ghana, il a prouvé aux compagnies étrangères que le pays est sûr et qu'elles peuvent investir». – Le Figaro