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Comment Tandja a été renversé

Mar 03, 2010

Tandja est tombé sans que personne ne s’en émeuve véritablement. Lui, le bien aimé du peuple nigérien qui déclarait à ses visiteurs qu’il vivait une expérience inédite dans la vie d’un président de la république. Il aurait tellement bien travaillé que le peuple nigérien lui impose de rester encore à la tête du pays. Le problème, c’est qu’à force de répéter ce mensonge à ses interlocuteurs, il avait fini par y croire lui-même. Sur un mensonge devenu vérité officielle, Tandja a entrepris son règne à vie. Arrivé au pouvoir par la démocratie, il s’est alors échiné à démanteler le système qui l’a fait roi. Il y a dans cette tragédie un entêtement et un aveuglement jamais égalés. Pendant toute l’année 2009 et de façon méthodique, Tandja a déconstruit la démocratie nigérienne qui était sans aucun doute la mieux pensée des Etats francophones d’Afrique.

Mais le processus avait Ă©tĂ© si bien fait que l’entreprise suicidaire de Tandja ne pouvait pas s’accomplir sans attirer l’opprobre sur son auteur. C’est ce qui a fini par arriver. Finalement, il aura fait son parjure pour juste un minable bonus de 57 jours de pouvoir en plus Ă  la tĂŞte du pays, alors qu’il en escomptait 1095 jours, puis devait s’ouvrir devant lui un règne Ă  vie. Maigre bĂ©nĂ©fice pour une si grande forfaiture. S’il Ă©tait parti le 22 dĂ©cembre 2009, il serait aujourd’hui le hĂ©ros vivant de son pays. Il a prĂ©fĂ©rĂ© le dĂ©shonneur du coup d’Etat. Il ferait depuis son arrestation une grève de la faim. Mais qui s’en prĂ©occupe ? Nous avons passĂ© 72 heures Ă  Niamey dans l’ambiance du putsch.

OĂą sont passĂ©s ceux qui ont massivement votĂ© la 6e rĂ©publique le 4 aoĂ»t dernier au Niger ? En 30 minutes, le chef d’escadron Salou Djibo a balayĂ© la RĂ©publique de Tandja, sans rencontrer de rĂ©sistance. La tragi-comĂ©die tazartchiste s’est tristement achevĂ©e. Pour un grand dessein espĂ©rĂ©, Tandja a rĂ©coltĂ© le dĂ©shonneur d’une dĂ©fĂ©nestration du pouvoir.

C’est une journĂ©e banale, ce 18 fĂ©vrier qui allait changer le cours de l’histoire dans ce qui Ă©tait entrain de devenir inexorablement la "rĂ©publique de Tandja". Une rĂ©union des plus ordinaires des chefs militaires de la zone de dĂ©fense de la rĂ©gion de Niamey se tient dans les bureaux du commandant de la zone, le colonel Djibrila Hima dit PĂ©lĂ©. Le chef d’escadron, Salou Djibo, commandant de la compagnie d’appui est prĂ©sent, mais personne ne sait que dans quelques heures, ce sera lui le prĂ©sident du Niger. Rien ne donne l’impression que quelque chose de capital est en prĂ©paration. MĂŞme le commandant de la zone n’en est pas informĂ©. La chose a Ă©tĂ© Ă©troitement prĂ©parĂ©e par deux hommes et pas plus : le chef d’escadron Salou Djibo et le jeune capitaine des para commando Djibril Adamou Arouna. Vers 11h 45, la rĂ©union informelle s’achève et Salou Djibo retourne tranquillement Ă  sa base.

Le compte à rebours est désormais en marche. Il sait qu’il lui reste exactement 1h15 mn avant le début du premier coup de feu qui allait donner le signal du raid. L’opération est parfaitement orchestrée. Trois véhicules légers dont deux équipés de 12/7 et un autre en système LRM quittent incognito le camp du CA et prennent la direction du palais présidentiel qu’ils sont chargés d’attaquer de front. La section commando de Djibril Adamou prend d’assaut par derrière la présidence en longeant la corniche. La jonction est prévue dans l’enceinte de la présidence après le coup de feu "top départ" et la progression des commandos couverte par un déluge de l’artillerie. La violence et la rapidité de l’attaque ont surpris et neutralisé les éléments de la garde présidentielle restés fidèles.

L’opĂ©ration montĂ©e comme un raid commando avait un objectif principal ; se saisir du prĂ©sident Tandja Mamadou et le sĂ©questrer au camp de la compagnie et maintenant faire face aux Ă©ventuelles rĂ©sistances dans la zone militaire de Niamey et peut-ĂŞtre aussi de certaines garnisons de l’intĂ©rieur dont la fameuse unitĂ© PSI ( Plan Sahel Initiative) formĂ©e par les AmĂ©ricains dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le blitzkrieg de Salou Djibo n’aura laissĂ© aucune chance Ă  une Ă©ventuelle riposte. Un blindĂ© de la garde prĂ©sidentielle s’aventure Ă  faire de la rĂ©sistance dans les alentours du rond point de l’hĂ´pital national, mal lui en a pris. Son toit est dĂ©truit par un obus dĂ©chiquetant du mĂŞme coup, les quatre soldats qui l’occupaient. C’est la seule vraie tentative de rĂ©sistance.

Le patron de la zone, le colonel Pélé, mis devant le fait accompli, se range et avec lui un autre colonel important de la place d’arme de Niamey, le colonel Abdoulaye Adamou Harouna, qui n’est autre que le frère aîné du jeune capitaine para commando qui a mené le blitzkrieg. Un autre colonel, le commandant de la base aérienne, aurait, dit-on, aussi joué un rôle important. Il s’agit du colonel Mossi que l’on voit d’ailleurs sur les premières images de la junte, au moment de la lecture de leur première déclaration, à la gauche immédiate de Salou Djibo. A sa droite se trouve le jeune capitaine Djibril. Le colonel Hima dit Pélé est au premier rang, mais pas très proche de l’homme fort. Après l’audience avec la délégation conjointe CEDEAO-UA-ONU, le colonel Mossi sera le seul avec Salou Djibo à poser pour les photos. Contrairement donc aux premières informations qui ont circulé, le trio qui a fait le coup le 18 février est composé de Salou Djibo dont la compagnie a dirigé le putsch, du capitaine Djibril qui a entraîné avec lui sa section dans le raid et le colonel Mossi de l’armée de l’air qui a couvert en arrière plan l’attaque. La disposition des protagonistes sur la première photo de la junte est suffisamment éloquente sur les rôles des uns et des autres.

Pourquoi ce 18 fĂ©vrier ?

Maintenant que le putsch a eu lieu, tout le monde croit savoir qu’il Ă©tait dans l’ordre des choses. Il Ă©tait prĂ©visible certes, mais depuis ce temps que les tracts circulent Ă  Niamey, on avait fini par ne plus y croire. Au lendemain du rĂ©fĂ©rendum contestĂ©, des tracts avaient inondĂ© Niamey indiquant le mĂ©contentement des officiers. En son temps, le mĂŞme colonel Goukoy, prĂ©sentement porte-parole de la junte, avait fait une sortie sur les mĂ©dias publics pour expliquer que les militaires s’en tenaient Ă  leur rĂ´le traditionnel. Une sortie qui avait ragaillardi les tazerchistes et peinĂ© les forces de l’opposition. Le tort est rĂ©parĂ© depuis la soirĂ©e du 18 fĂ©vrier. Pourquoi les putschistes ont-ils agi le 18 fĂ©vrier ? Il semble qu’il y avait une opportunitĂ© stratĂ©gique, notamment la prĂ©paration d’un tournoi de ballon militaire. Le chef d’escadron en a profitĂ© pour infiltrer les compĂ©titeurs arrivĂ©s sans armes dans les alentours de la prĂ©sidence de la rĂ©publique. Ces Ă©lĂ©ments auraient jouĂ© un rĂ´le important dans la neutralisation de la garde prĂ©sidentielle dont le gros de l’armement avait Ă©tĂ© sabotĂ©.

Deuxième circonstance, l’échec des pourparlers inter-nigériens, consacré par le sommet de la CEDEAO qui s’était achevé la veille à Abuja. La délégation gouvernementale conduite par l’ex-Premier ministre Gamatié est revenue dépitée, avec le dessein de retirer le Niger de la CEDEAO. Le Conseil des ministres de ce jeudi devrait justement prendre cette importante décision. En outre, il y avait, dit-on, en projet un mouvement dans l’armée qui devait affecter à l’intérieur du pays, des commandants peu fiables et mettre carrément à la retraite anticipée les officiers qui se montraient peu sensibles aux opérations de charme de Tandja. Personne apparemment n’aurait refusé les largesses du chef, pour ne pas attirer sur lui inutilement des soupçons. Mais au même moment, un des tracts attribués aux officiers indiquait clairement que "passé la date du 22 décembre, le président Tandja ne serait plus légitime".

Les rédacteurs du tract expliquent justement que "c’est parce que l’armée nigérienne est républicaine qu’elle ne peut reconnaître la légalité du pouvoir actuel au-delà du 22 décembre". Ainsi prévenu, Tandja fait accentuer la surveillance des officiers les plus en vue. Il s’agit d’abord du chef d’Etat-major des armées, le général Moumouni Bouriema dit "Tchanga" (il avait participé au coup d’Etat de Wanké de 1999), de son adjoint Seyni Garba et de deux autres généraux Mamadou Ousseini, chef de l’armée de terre et de Seyni Salou, chef de l’armée de l’air. Vis-à-vis d’eux, Tandja est méfiant et en même temps généreux. Le colonel Pélé est aussi l’un des officiers surveillé. Si les premiers sont directement surveillés par Tandja, le colonel Pélé par contre est sous la surveillance de Tchanga, le chef d’Etat major qui craint qu’il ne le double. C’est pourquoi, explique certaines sources bien introduites, le colonel Pélé ne pouvait pas exécuter le présent coup d’Etat, même s’il y pensait chaque matin en se rasant.

InformĂ© des intentions du gouvernement, le chef d’escadron Salou Djibo, certainement moins surveillĂ© que les autres, dĂ©cide de prendre ses responsabilitĂ©s. Mais la perfection de l’exĂ©cution du putsch indique qu’il avait Ă©tĂ© bien prĂ©parĂ©. Ceux qui sont dans les secrets des dieux pensent que le plan de l’attaque aurait Ă©tĂ© prĂ©parĂ© par le colonel Abdoulaye Adamou Harouna, tellement il rappelle le raid de ce dernier sur le bastion de la rĂ©bellion touareg Ă  Tadek dans les montagnes de l’AĂŻr. MĂŞme s’il a fait le plan, il n’aurait pas jouĂ© les premiers rĂ´les dans l’exĂ©cution du putsch, en tĂ©moigne la hiĂ©rarchie au sein du Conseil suprĂŞme pour la restauration de la dĂ©mocratie (CSRD) qui dirige le Niger depuis le 18 fĂ©vrier dernier. Pour certains, c’est un vrai travail de pros. Salou Djibo a bien conçu et exĂ©cutĂ© sa chose. Il l’a si bien fait qu’il n’a pas jugĂ© utile de fermer immĂ©diatement les frontières, de prendre la radio tĂ©lĂ©vision, de couper le tĂ©lĂ©phone et de suspendre les libertĂ©s publiques. La constitution de la 6e rĂ©publique et les institutions qui en sont issues sont suspendues, mais les partis politiques ne sont pas interdits. La preuve, deux jours après avoir Ă©tĂ© chassĂ© du pourvoir, l’ex parti majoritaire, le MNSD, pouvait donner une confĂ©rence de presse Ă  son siège pour fustiger le putsch et prendre acte de son avènement. Au 20 heures de TĂ©lĂ© Sahel, la tĂ©lĂ©vision nationale, la dĂ©claration est effectivement diffusĂ©e. C’est le signe que la restauration de la dĂ©mocratie est en marche au Niger. Sous la rĂ©publique de Tandja, les mĂ©dias publics Ă©taient interdits Ă  l’opposition. Serait-ce un signe des temps ? On veut bien y croire. - L’Evènement