Un couvre-feu nocturne a été décrété vendredi dans toute la Tunisie, après plusieurs jours d'une contestation sociale inédite par son ampleur et sa durée depuis la révolution de 2011.
Cinq ans après le renversement du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, les manifestations contre la misère et pour la justice sociale sont parties de la région défavorisée de Kasserine (centre) à la suite du décès samedi d'un jeune chômeur.
Le mouvement s'est propagé à de nombreuses autres villes et a notamment été marqué par des violences dans le Grand Tunis.
Vendredi matin à Kasserine, des centaines de personnes se sont rassemblées comme les jours précédents devant le gouvernorat pour demander une réponse à leurs revendications, sans incidents.
Un calme précaire régnait non loin de là à Sidi Bouzid, où des heurts avaient opposé le matin policiers et manifestants -des chômeurs ainsi que des écoliers et lycéens.
C'est à Sidi Bouzid que le vendeur ambulant Mohammed Bouazizi s'est immolé par le feu fin 2010, un geste qui a déclenché la révolution.
De Paris, où il a rencontré le président François Hollande, le premier ministre Habib Essid a affirmé que la situation était «actuellement maîtrisée». Il doit présider un conseil des ministres exceptionnel samedi.
De son côté, M. Hollande a annoncé un plan de soutien à la Tunisie d'un milliard d'euros sur les cinq prochaines années, visant notamment «à aider les régions défavorisées et la jeunesse, en mettant l'accent sur l'emploi».
Vendredi soir, dans une allocution télévisée, le président Béji Caïd Essebsi a jugé la contestation «naturelle» et appelé le gouvernement à élaborer un plan contre le chômage car «il n'y a pas de dignité sans emploi».
Mais il a mis en garde contre sa récupération par «des mains malveillantes», évoquant des partis politiques sans les nommer ainsi que le groupe Etat islamique (EI).
«La nouveauté, c'est qu'il a semblé à Daech (un acronyme arabe de l'EI), qui est présent en Libye, presque à nos frontières maintenant, que la situation lui permettait de fourrer son nez dans cette opération», a-t-il soutenu.
Les tensions sociales ont débuté samedi à Kasserine, ville de 80 000 habitants, lorsqu'un chômeur de 28 ans, Ridha Yahyaoui, est mort électrocuté après être monté sur un poteau. Il protestait avec d'autres contre son retrait d'une liste d'embauches dans la fonction publique.
La contestation s'est rapidement propagée, témoignant de la persistance de l'exclusion sociale dans un pays qui fait figure de rescapé du «Printemps arabe», mais ne parvient pas à s'extirper du marasme économique.
«Il s'agit de la crise sociale la plus grave depuis 2011», a déclaré l'analyste indépendant Selim Kharrat.
Le premier ministre tunisien a dit sur France 24 «comprendre» le mouvement, mais a tenu à préciser: «Nous n'avons pas de baguette magique pour donner de l'emploi à tout le monde en même temps».
Plusieurs organisations, dont la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) et Oxfam, ont appelé «à l'adoption d'un modèle économique (...) pour la réduction des disparités régionales et des inégalités sociales», en disant leur «déception» face à l'inaction des différents gouvernements.
Le couvre-feu a été décrété de 20 h à 5 h «au vu des atteintes contre les propriétés publiques et privées et de ce que la poursuite de ces actes représente comme danger pour la sécurité de la patrie et des citoyens», selon le ministère de l'Intérieur.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, des actes de «pillages» et de «saccages» ont été enregistrés à Cité Ettadhamen, un quartier populaire du Grand Tunis, et 16 personnes ont été arrêtées d'après les autorités.
Deux magasins ainsi qu'une agence bancaire ont été saccagés.
Le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Walid Louguini, a dénoncé une «tentative de la part de criminels de profiter de la situation». «Les violences contre les biens publics et privés seront sévèrement punies», a-t-il prévenu.
A l'échelle nationale, au moins «trois postes de police ont été attaqués» et 42 membres des forces de l'ordre blessés au cours des dernières 24 heures, a ajouté M. Louguini.
Le porte-parole du ministère de la Défense, Belhassen Oueslati, a indiqué que «des unités supplémentaires» de l'armée avaient été déployées en renfort dans tous les gouvernorats pour assurer «la protection des institutions publiques, mais aussi des institutions privées sensibles». – AfricaLog avec agence