"On dort sur de l'or, le ventre creux!", s'indigne un notable de Jacqueville. Les habitants de la zone de production pétrolière de Côte d'Ivoire, à l'ouest d'Abidjan, se mobilisent pour profiter de la manne apportée par l'or noir dont ils se sentent exclus.
La production nationale de pétrole, qui a atteint officiellement 18,5 millions de barils en 2009, en hausse de 12,5% par rapport à l'année précédente, provient des puits situés au large de la cité balnéaire de Jacqueville, à une cinquantaine de km à l'ouest d'Abidjan, entre lagune et océan et exploités par plusieurs compagnies étrangères.
Au cours des derniers mois, les habitants ont manifesté leur frustration par des manifestations, érigeant des barricades à l'entrée des 15 villages de la zone, et bloquant la construction d'un second pipeline, long de 72 kilomètres.
Ce pipeline, qui vise à doubler une production encore modeste et la transporter jusqu'à la raffinerie de Vridi à Abidjan, côtoie certaines habitations et traverse même des cimetières.
"Avec le plan de lotissement à venir, le pipeline se trouvera en plein milieu du village", explique à l'AFP Daniel Djava Neuba, le chef de Sassako Bégnini, plaidant pour une sécurisation.
Surtout, les habitants, comme ceux du village voisin de Mbokrou, demandent à jouir des fruits de l'exploitation pétrolière.
"J'avais à peine deux ans lors de la livraison du premier baril de pétrole", indique l'un d'eux, Emmanuel Degny, 30 ans. "Je continue de voir le pétrole passer sans en tirer un profit", affirme-t-il, pointant du doigt un pipeline au milieu d'une cocoteraie et accusant les compagnies pétrolières et l'Etat.
"Si une solution n'est pas trouvée", lance-t-il, les villageois pourraient être tentés de se procurer le pétrole "en siphonnant le pipeline", au risque d'entraîner la région dans des violences comme celles que connaît le Delta du Niger, au Nigeria.
Torse nu, savourant la brise marine qui tempère une chaleur caniculaire, Gervais Bogui, 30 ans, s'interroge.
"Mon enfant me demandera un jour: +Papa, quand tu étais jeune, il y avait du pétrole dans ton village. Qu'as-tu fait+? Je dirai que je l'ai vu passer sans rien faire", lâche-t-il, l'air sombre.
Les tensions ont contribué à ranimer un "conseil pétrole-gaz", en léthargie depuis sa création en 2008, qui veut "fédérer toutes les revendications, les rendre crédibles et efficaces", explique son président Henri Niava.
Outre les élus de la région, il compte des représentants de tous les villages.
Le conseil réclame d'abord la signature d'une convention avec l'Etat, en attendant une loi de partage des ressources. "Il est urgent que notre département soit doté de structures sanitaires et industrielles permettant de lutter contre le chômage et de développer l'économie locale", insiste le responsable.
En visite sur place mi-avril, le président Laurent Gbagbo a dit vouloir répondre aux "cris du coeur" de Jacqueville. Saluant "le poumon énergétique" du pays, il a annoncé la mise à disposition d'une somme de 600 millions de FCFA (environ 900.000 euros) pour le Conseil pétrole-gaz.
Après cette "bonne nouvelle", le conseil reste toutefois "en éveil" et souhaite, au-delà d'un financement ponctuel, que Jacqueville puisse compter à l'avenir sur des revenus pétroliers réguliers.
"Nous sortons d'une période difficile qui a vu la radicalisation de nos positions et de notre mouvement. Nous espérons que l'occasion ne nous sera pas donnée de repartir vers ce type de situation", souligne Henri Niava. - AFP