Laurent Gbagbo a été acquitté mardi de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale, qui a ordonné la mise en liberté de l'ancien président ivoirien, infligeant un nouveau revers à l'accusation de cette juridiction internationale.
«La Chambre fait droit aux demandes d'acquittement présentées par Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé (ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes) concernant l'ensemble des charges» retenues contre eux et «ordonne la mise en liberté immédiate des deux accusés», a déclaré le juge président Cuno Tarfusser.
Cette décision avait été prise, car «l'accusation ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve conformément aux critères requis» par la justice internationale.
M. Gbagbo, 73 ans et M. Goudé, 47 ans, vont toutefois devoir passer encore au moins une nuit dans leur cellule du centre de détention de La Haye. Le procureur peut encore contester leur mise en liberté lors d'une audience prévue mercredi à 4h. Il aura également la possibilité de faire appel.
L'heure était à la fête dans le banc des accusés au moment de l'énoncé des acquittements. M. Gbagbo et M. Goudé sont tombés dans les bras l'un de l'autre, sous les applaudissements de leurs sympathisants.
Scènes de liesse
Scènes de liesse également en Côte d'Ivoire, où la nouvelle de la prochaine libération de M. Gbagbo a été saluée par des cris de joie, des danses et des concerts d'avertisseurs à Gagnoa, la ville natale de l'ancien président.
«Je suis content. Il n'a rien fait de mal et il a fait 7 ans de prison. C'est important qu'il soit libéré, c'est notre leader», a lancé un de ses partisans, Bertin Sery.
L'ancienne première dame ivoirienne, Simone Gbagbo, a également laissé éclater sa joie. «Ma conviction était faite, le président Laurent Gbagbo n'est pas coupable de tout ce dont on l’accusait».
Le porte-parole du gouvernement ivoirien, Sidi Tiemoko Touré, est resté sur sa réserve après l'acquittement: «On ne commente pas la décision de justice. Mais en toutes choses, il faut garder de la compassion pour les victimes» de la crise post-électorale qui a fait environ 3000 morts en 2010-2011.
Premier ancien chef d'État Ă avoir Ă©tĂ© remis Ă la CPI, M. Gbagbo Ă©tait jugĂ© pour des crimes commis pendant la crise post-Ă©lectorale de 2010-2011, nĂ©e de son refus de cĂ©der le pouvoir Ă son rival, l'actuel prĂ©sident ivoirien Alassane Ouattara. Â
«Impunité des crimes»
M. Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient accusés de quatre chefs de crimes contre l'humanité : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains, pour lesquels ils ont toujours plaidé non coupable.
Après avoir occupé le palais présidentiel pendant plusieurs mois, Laurent Gbagbo avait finalement été arrêté en avril 2011 par les forces du président Ouattara, soutenues par l'ONU et la France, avant d'être remis à la CPI.
«Enfin la Côte d'Ivoire entière va pouvoir tourner la page des tristes événements de 2010-2011», a réagi Pascal Affi N'Guessan, président du Front Populaire Ivoirien (FPI), fondé par M. Gbagbo, avant d'ajouter: «Pour le FPI, les conditions sont désormais réunies pour l'unité en vue de la reconquête du pouvoir en 2020», date de la prochaine présidentielle dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, premier producteur mondial de cacao.
L'acquittement de MM. Gbagbo et GoudĂ© est « une victoire de la justice », s'est fĂ©licitĂ© l'avocat principal de l'ancien prĂ©sident ivoirien, Emmanuel Altit. Â
Mais la dĂ©cision des juges ravive les critiques sur la CPI, qui essuie un nouveau camouflet.Â
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Les avocats de l'État ivoirien ont qualifiĂ© mardi de «non-sens» et de «surprenante» la dĂ©cision de la CPI. Â
«C'est une décision surprenante parce que quatorze demandes de mises en liberté ont été successivement refusées et on ne peut pas imaginer qu'à chaque fois la CPI n'ait pas examiné les faits. Pour nous c'est inexplicable: 3500 morts et il n'y a pas de coupable», a déclaré Me Jean-Pierre Mignard.
La plupart des tentatives de la Cour de juger des personnalités politiques de haut rang - presque toutes en Afrique - se sont terminé par des échecs ou des acquittements.
Dernier acquittement en date, celui de l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba en juin 2018. Il avait d'abord été condamné à 18 ans de prison pour des crimes commis par sa milice en Centrafrique entre 2002 et 2003.
Mais selon la défense de M. Gbagbo, son acquittement après plus de sept ans en détention et plus de deux ans de procès est, au contraire, une preuve de «professionnalisme et d'indépendance». «En rendant cette décision, la CPI a contribué à bâtir sa légitimité», a estimé Emmanuel Altit.
L'acquittement des deux hommes est «un nouveau pas vers l'impunité des crimes commis lors des violences post-électorales», a regretté la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
Le procureur de la CPI, Fatou Bensouda, a regretté la décision des juges, «décevante et inattendue».
En Côte d'Ivoire, M. Gbagbo est toujours sous le coup d'une condamnation de 20 ans qui date de janvier 2018 pour crimes économiques. Deux autres condamnés dans la même affaire sont libres-condamnés mais pas écroués. Il est peu probable que la police ivoirienne tente d'arrêter M. Gbagbo une fois de retour dans le pays. - AfricaLog avec agence