La Cour pĂ©nale internationale (CPI) a autorisĂ© mercredi une enquĂȘte sur la guerre antidrogue du gouvernement philippin, marquĂ©e par des milliers de meurtres commis par les forces de lâordre pouvant constituer, selon les juges, des crimes contre lâhumanitĂ©.
Mais dĂšs jeudi, le prĂ©sident philippin Rodrigo Duterte y a opposĂ© une fin de non-recevoir, par lâintermĂ©diaire de son avocat. Salvador Panelo a affirmĂ©, sur la radio DZBB, que cette cour nâest pas reconnue par son pays depuis quâil sâest retirĂ© en 2019 du Statut de Rome, texte fondateur de la CPI. «Le gouvernement interdira lâentrĂ©e» sur son territoire de tout membre de cette juridiction venant «recueillir des informations et des preuves», a-t-il averti.
Le prĂ©sident philippin a dĂ©jĂ affirmĂ© Ă plusieurs reprises que la CPI nâavait aucune autoritĂ© et quâil ne coopĂ©rerait pas Ă ce quâil a qualifiĂ© dâenquĂȘte «illĂ©gale». Il a mĂȘme menacĂ© dâarrĂȘter la procureure sortante de la CPI, Fatou Bensouda.
FondĂ©e en 2002 pour juger des pires atrocitĂ©s commises dans le monde, la cour, concluant quâil existe une «base raisonnable» permettant de parler de crimes contre lâhumanitĂ©, avait donnĂ© mercredi son feu vert Ă lâouverture dâune enquĂȘte malgrĂ© le retrait de Manille de la CPI en 2019, suite Ă lâouverture dâun examen prĂ©liminaire sur ces violences.
Fatou Bensouda avait annoncĂ© en juin avoir demandĂ© lâouverture dâune enquĂȘte sur des milliers de meurtres commis aux Philippines dans le cadre de la guerre dĂ©clarĂ©e Ă la drogue par le gouvernement. La CPI a prĂ©cisĂ© que la «campagne dite de ââguerre contre la drogueââ ne peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une opĂ©ration lĂ©gitime de maintien de lâordre, et les meurtres ne peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s ni comme lĂ©gitimes, ni comme de simples excĂšs dans le cadre dâune opĂ©ration par ailleurs lĂ©gitime».
Les piĂšces disponibles indiquent «quâune attaque gĂ©nĂ©ralisĂ©e et systĂ©matique contre la population civile a Ă©tĂ© lancĂ©e en application ou dans la poursuite de la politique dâun Ătat», ont prĂ©cisĂ© les juges internationaux dans un communiquĂ©. LâenquĂȘte couvrira la pĂ©riode de 2011 Ă 2019.
Le prĂ©sident philippin Rodrigo Duterte avait Ă©tĂ© Ă©lu en 2016 aprĂšs une campagne sĂ©curitaire outranciĂšre, promettant dâĂ©radiquer le trafic de drogue en faisant abattre des dizaines de milliers de dĂ©linquants.
Les derniers chiffres officiels font Ă©tat dâau moins 6181 morts et plus de 200â000 opĂ©rations antidrogue au sein de lâarchipel asiatique, mais les dĂ©fenseurs des droits humains estiment que le nombre rĂ©el de tuĂ©s est bien plus Ă©levĂ©. Les procureurs de la CPI estiment, dans des documents judiciaires, quâentre 12â000 et 30â000 personnes ont Ă©tĂ© tuĂ©es.
Selon ces derniers, Manille nâa pas niĂ© que des personnes ont pĂ©ri durant des opĂ©rations de police, mais «a plutĂŽt constamment soutenu que ces dĂ©cĂšs Ă©taient le rĂ©sultat dâagents agissant en Ă©tat de lĂ©gitime dĂ©fense». MĂȘme si les Philippines se sont retirĂ©es de la CPI en 2019, la juridiction reste compĂ©tente pour connaĂźtre des crimes qui auraient Ă©tĂ© commis sur leur territoire lorsquâelles Ă©taient un Ătat partie au Statut de Rome, texte fondateur de la cour.
Selon les procureurs, des homicides non lĂ©gitimes ont Ă©galement Ă©tĂ© commis par des officiers de police locaux et des miliciens avant 2016 dans la rĂ©gion de Davao (sud des Philippines), oĂč Rodrigo Duterte a Ă©tĂ© maire. Ils ont Ă©tĂ© commis par un groupe qui sâĂ©tait autoproclamĂ© lâ«Escadron de la mort de Davao».
La majorité des victimes étaient de jeunes hommes soupçonnés de trafic de drogue à petite échelle ou de délits mineurs tels que le vol et la consommation de stupéfiants, mais «des membres de gangs et des enfants des rues ont également été tués», ont déclaré les procureurs.
La dĂ©cision de la cour a Ă©tĂ© saluĂ©e par les organisations de dĂ©fense des droits humains, qui ont louĂ© un «contrĂŽle nĂ©cessaire» sur la mortelle «guerre contre la drogue» de Rodrigo Duterte. «Les familles des victimes et les survivants ont des raisons dâespĂ©rer que les responsables de crimes contre lâhumanitĂ© pourront enfin ĂȘtre traduits en justice», a dĂ©clarĂ© Carlos Conde, chercheur pour lâorganisation Human Rights Watch. - AfricaLog avec agence