Des dizaines de milliers de Zimbabwéens ont manifesté samedi dans le pays pour exiger le départ de Robert Mugabe, accentuant la pression sur le président placé cette semaine en résidence surveillée par l'armée et lâché par ses plus fidèles alliés après 37 ans au pouvoir.
Il s'agit de l'une des plus grandes manifestations jamais organisées au Zimbabwe, depuis l'indépendance du pays en 1980.
A Harare, l'armée, qui a officiellement apporté son soutien à cette journée anti-Mugabe, a stoppé samedi en début d'après-midi des milliers de personnes qui se dirigeaient vers le palais présidentiel, provoquant l'incompréhension des manifestants.
"Ce n'est pas juste. Pourquoi les soldats nous empêchent-ils d'aller au palais présidentiel ?", s'est indignée Rutendo Maisiri, une chômeuse de 26 ans. La foule s'est finalement dispersée dans le calme, sous l'oeil de militaires masqués et lourdement armés.
Toute la journée, les manifestants ont, dans une ambiance de fête, salué l'intervention militaire contre le régime Mugabe.
"Merci les forces armées", pouvait-on lire sur des pancartes au milieu de nombreux portraits du chef d'état-major, le général Constantino Chiwenga.
Les manifestations organisées dans la capitale et la deuxième ville du pays, Bulawayo (sud-ouest), ont rassemblé des citoyens de tout bord politique: des ministres, des proches du parti au pouvoir, la Zanu-PF, mais aussi de l'opposition, des Noirs et, fait rarissime, des Blancs, tous unis contre un seul homme, Robert Mugabe.
"Trop c'est trop, Mugabe doit partir", "Repose en paix Mugabe", "Non à la dynastie Mugabe", "Au revoir grand-père", affirmaient des affiches brandies par des manifestants euphoriques dans un concert de klaxons et de vuvuzelas.
"Ça fait longtemps qu'un truc pareil n'est jamais arrivé, être ensemble", la majorité noire et la minorité blanche issue des descendants de colons britanniques, s'est réjoui Stephanus Krynauw, un fermier blanc expulsé dans le cadre de la réforme agraire très controversée lancée en 2000.
Ces manifestations anti-Mugabe clôturent une semaine de crise politique inédite au Zimbabwe, où l'armée a pris le contrôle du pays et assigné à résidence le chef de l'Etat.
L'intervention de l'armée constitue un tournant dans le long règne de Robert Mugabe, marqué par la répression de toute opposition et une grave crise économique. Environ 90% de la population active est au chômage.
A 93 ans, le plus vieux chef d'Etat en exercice de la planète se retrouve de plus en plus isolé, abandonné par ses alliés les plus précieux: après l'armée et les anciens combattants, huit des dix sections régionales de la Zanu-PF l'ont à leur tour lâché vendredi soir et ont demandé son départ.
Mais les négociations entre Robert Mugabe et l'armée, engagées jeudi, semblent piétiner. Et le président paraît décidé à s'accrocher au pouvoir.
Interrogé samedi pour connaître l'avancée des discussions, un porte-parole des militaires, le général Sibusiyo Moyo, a refusé de faire le moindre commentaire.
"Je vous tiendrai au courant plus tard", a-t-il répondu lors d'un point de presse improvisé. "Le peuple du Zimbabwe est discipliné et uni, très uni (...) On a vu une réponse nationale" lors de cette journée de mobilisation, s'est-il félicité.
Dans la nuit de mardi à mercredi, l'armée était intervenue - sans effusion de sang - à Harare en soutien à Emmerson Mnangagwa, limogé une semaine plus tôt de son poste de vice-président.
Dans la ligne de mire de l'armée se trouve le groupe dit des G40, une faction de la Zanu-PF qui soutient la Première dame Grace Mugabe et ses ambitions présidentielles.
C'est elle qui a fait tomber Emmerson Mnangagwa, 75 ans, devenu un concurrent beaucoup trop encombrant dans sa course à la succession du président. Elle avait mené une active campagne de dénigrement de son adversaire. Elle a finalement été le catalyseur de la crise politique actuelle.
"Au revoir Lady Gaga", se félicitait avec humour un manifestant samedi.
Le nom d'Emmerson Mnangagwa, surnommé le "crocodile", circule désormais pour prendre la direction d'une éventuelle transition politique. Plusieurs manifestants brandissaient samedi son portrait et des objets en forme de reptile, devenu le symbole de cette "révolution de palais".
Ils avaient répondu à l'appel des anciens combattants du Zimbabwe - acteurs incontournables de la vie politique - et de mouvements de la société civile, dont le mouvement ThisFlag du pasteur Ewan Mawarire, une des têtes d'affiche de la fronde anti-Mugabe réprimée en 2016 par les forces de sécurité.
La crise zimbabwéenne est suivie de près par la communauté internationale, et notamment l'Afrique du Sud voisine. Son président Jacob Zuma s'est dit "prudemment optimiste" en vue d'une "résolution amicale de la situation" et a réaffirmé son "soutien au peuple du Zimbabwe dans cette période difficile”. - AfricaLog avec agence