Le Rwanda s'apprête à émettre des mandats d'arrêt contre des responsables français mis en cause par Kigali dans le génocide de 1994, sur fond d'escalade judiciaire entre les deux pays après l'arrestation d'une proche du président rwandais.
Pour le deuxième jour consécutif, des manifestants ont défilé mardi à Kigali contre l'arrestation en Allemagne dimanche de la directrice du protocole présidentiel rwandais, Rose Kabuye, Mme Kabuye, qui doit être extradée vers la France, est un des neuf responsables rwandais, proches du président rwandais Paul Kagame, recherchés par la justice française pour leur participation présumée à l'attentat contre l'avion du président hutu rwandais Juvénal Habyarimana, en avril 1994, élément déclencheur du génocide. Mardi, une source au parquet général du Rwanda a indiqué sous couvert d'anonymat que la justice mettait la dernière main aux actes d'accusation contre 23 des 33 responsables civils ou militaires français mis en cause dans un rapport d'une commission d'enquête rwandaise rendu public le 5 août. "Les actes d'accusation sont en train d'être finalisés, les mandats d'arrêt peuvent être lancés à tout moment", a ajouté cette source, qui n'a pas précisé l'identité des responsables français visés.
Ce rapport de la commission d'enquête rwandaise a accusé nommément 33 dirigeants politiques et responsables militaires français de l'époque d'avoir "participé" au génocide. Environ 800.000 personnes, selon l'ONU, essentiellement parmi la minorité tutsi et les Hutu modérés, ont été tuées pendant le génocide d'avril à juillet 1994 au Rwanda, planifié et exécuté par les extrémistes hutu. La France était "au courant des préparatifs" du génocide, a "participé aux principales initiatives" de sa mise en place et "à sa mise en exécution", a accusé le rapport. Au rang des 13 dirigeants français incriminés par le rapport, figurent notamment le président français à l'époque des faits François Mitterrand, le Premier ministre Edouard Balladur, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, son directeur de cabinet Dominique de Villepin ou encore le secrétaire général de l'Elysée Hubert Védrine.
La France a reconnu des "erreurs" dans sa politique rwandaise, mais a toujours récusé les accusations lui faisant porter une responsabilité dans les massacres. Réagissant à ces accusations, le ministre français de la Défense Hervé Morin les avait jugées "absolument insupportables" et assuré que les militaires français n'avaient "rien à se reprocher". Dix officiers français ayant participé à l'opération militaro-humanitaire Turquoise au Rwanda, en 1994, ont porté plainte en diffamation devant le tribunal de grande instance de Paris après leur mise en cause dans le rapport rwandais, a-t-on appris le 5 novembre de source judiciaire. Parmi les plaignants figurent cinq généraux, dont Jean-Claude Lafourcade qui a commandé l'opération Turquoise, et cinq colonels, a indiqué à l'AFP un proche des plaignants. L'annonce mardi du parquet rwandais s'inscrit dans une bataille judiciaire entre le Rwanda et la France entamée en novembre 2006 après la signature des neuf mandats d'arrêt par le juge français Jean-Louis Bruguière, qui a également réclamé des poursuites contre M. Kagame pour sa "participation présumée" à l'attentat contre l'avion de M. Habyarimana. Kigali a rompu fin novembre 2006 ses relations diplomatiques avec Paris à la suite des démarches du juge Bruguière. Début juillet 2008, M. Kagame avait menacé de faire inculper des ressortissants français pour le génocide si les tribunaux européens, et notamment français, n'annulaient pas les mandats d'arrêt émis contre des responsables rwandais.