Si le coup d'État militaire de décembre 2008 en Guinée n'est pas suivi d'élections libres et honnêtes en 2009, la réputation de « paria parmi les nations » qu'acquiert rapidement ce pays d'Afrique de l'Ouest ne pourra que se cimenter, a affirmé le secrétaire d'État adjoint par intérim aux affaires africaines, M. Phillip Carter.
« En s'engageant résolument dans la voie de la tyrannie au lieu de la démocratie, la Guinée, entre les mains des militaires, ne tardera pas à devenir l'archétype de l'État déréglé », a déclaré M. Carter à America.gov le 9 mars. Le gouvernement des États-Unis, rappelle-t-on, a condamné ce coup d'État du 23 décembre de l'année dernière en dénonçant notamment « l'annonce faite par des éléments de l'armée guinéenne qu'il n'y aurait pas d'élections avant deux ans » et en réclamant « la restauration immédiate du gouvernement civil ». L'ambassade des États-Unis à Conakry ajoutait dans sa déclaration diffusée le 15 janvier : « L'armée doit s'associer étroitement aux autorités et à la société civiles en vue de rétablir rapidement un régime civil en Guinée. Ce pays avait fait beaucoup de chemin en vue d'organiser des élections législatives en mai 2009 ; nous l'encourageons à maintenir cette échéance. » Les États-Unis ont en outre, au lendemain du coup d'État, suspendu toute aide à la Guinée autre que l'aide humanitaire et le financement de projets de démocratisation. « La suspension de l'aide restera en vigueur tant qu'un régime civil n'aura pas été rétabli grâce à des élections libres, honnêtes, transparentes et tenues en temps utile », a déclaré M. Carter. Cet ancien ambassadeur en Guinée n'a pas caché sa tristesse face au marasme politique dans lequel ce pays s'était embourbé. Naguère, a-t-il fait remarquer, « les États-Unis entretenaient des relations étroites avec la Guinée et y encourageaient des réformes démocratiques destinées à lui permettre de promouvoir la stabilité régionale et le développement socio-économique à long terme. Maintenant, tout cela s'effiloche. » Il y a un an, à Conakry, M. Carter avait apporté son concours à une initiative novatrice de l'USAID visant à accélérer les capacités de communication interministérielle de l'État guinéen et, partant, à améliorer la gestion des affaires publiques. Il s'agissait d'un projet de 530.000 dollars à deux volets : l'installation de matériel et de réseaux informatiques d'une part, et la formation technique de 105 administrateurs d'autre part, dans les ministères de la santé, de l'économie, des finances, de l'agriculture, de l'environnement et de l'éducation ainsi que dans les bureaux du premier ministre. À présent, de tels projets paraissent bien compromis, s'est désolé M. Carter. La présidente du Libéria, Mme Ellen Johnson Sirleaf, présidente en exercice de l'Union du fleuve Mano, a exprimé, elle aussi, sa vive préoccupation au sujet de ce coup d'État qui constitue un exemple navrant pour des pays de la région qui essaient de se rétablir après de longues années de dictature et de gouvernement militaire. L'Union du fleuve Mano, qui tire son nom du cours d'eau qui prend sa source sur les pentes des monts Nimba en Guinée et qui sert ensuite de frontière entre le Libéria et la Sierra Leone, est une association créée entre ces trois pays aux fins de coopération économique et d'intégration régionale. On peut noter que la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine ont toutes deux condamné le coup d'État. Des décennies de chaos politique et économique Depuis des dizaines d'années, la Guinée était déjà en proie au chaos politique et à la gabegie, notamment sous la férule du général Lansana Conté. En 2006, Transparency International, une association qui examine l'action des gouvernements de par le monde, a épinglé la Guinée comme étant l'État le plus corrompu d'Afrique. La gouvernance a atteint un tel point de dégradation en Guinée que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont finalement suspendu l'essentiel de leur aide économique à ce pays. Le 23 décembre 2008, quelques heures seulement après la mort du général Conté, des officiers subalternes se sont emparés des rênes du gouvernement, qu'ils ont dirigé par l'intermédiaire d'un nouvel organe directeur, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD). Dans un premier temps, quelques Guinéens se sont réjouis de cet événement qu'ils accueillaient comme une amélioration par rapport au gouvernement véreux du général Conté. Cependant, par le truchement du CNDD, le capitaine Moussa Camara s'est empressé de suspendre la Constitution, de circonscrire l'activité politique et syndicale et de restreindre la liberté de la presse. Lors d'une allocution radiodiffusée à la nation après le coup d'État, le capitaine Camara a déclaré : « Nous sommes ici pour promouvoir l'organisation d'élections présidentielles crédibles et transparentes d'ici à la fin de décembre 2010. » Cette annonce a incité M. Carter, lors d'une vidéoconférence tenue le 28 janvier avec la presse guinéenne, à inviter le CNDD à préparer des élections aussitôt que possible en 2009. Condamnant de nouveau le coup d'État, il a dit que les relations normales avec la Guinée ne seraient rétablies qu'après la tenue d'élections et la restauration d'un régime civil. Des journalistes bien connus et plusieurs représentants du gouvernement guinéen, dont le ministre de l'information, M. Justin Morel, ont participé à cette vidéoconférence qui a duré une heure. Alors que beaucoup d'États africains s'efforcent actuellement de surmonter le legs difficile du passé, « la Guinée dérive dans la direction opposée », a déclaré M. Carter à America.gov. « On observe une évolution positive partout en Afrique, par exemple en Tanzanie, où la démocratie s'est solidement ancrée, ou encore au Ghana, dont le régime est très stable et qui vient d'organiser une élection nationale qui s'est très bien passée. Même en Afrique de l'Ouest, des conflits tenaces, en Sierra Leone et au Libéria, ont pris fin et la démocratie est revenue. Il serait tragique que la Guinée aille à contre-courant et sombre dans la dictature militaire. » - America.gov