Une foule massive était encore rassemblée dans le centre de Lomé jeudi soir, longtemps après le coucher du soleil, les manifestants se disant déterminés à rester "toute la nuit", jusqu'au départ du président Faure Gnassingbé et la mise en place de réformes.
Le reste de la ville était quasiment désert, la population ayant dressé des barricades de fortune, à l'aide de pierres et de pneus. Les chauffeurs de moto-taxis filtraient également certains axes à la circulation, pour assurer la sécurité des manifestants.
Les manifestants ont marché dans le calme mercredi et jeudi, à grand renfort de sifflets et brandissant des drapeaux du Togo.
Aucun incident n'a été pour l'instant enregistré à Lomé ou dans les autres villes du pays où des manifestations se sont également déroulées.
Les manifestants réclament des réformes constitutionnelles, notamment la limitation des mandats présidentiels à deux, un scrutin à deux tours, et ils protestent contre le régime du président Faure Gnassingbé, qui a succédé il y a douze ans à son père, lui-même resté au pouvoir près de quarante ans.
"Nous sommes fatigués, nous sommes fatigués, 50 ans, c'est trop", scandaient les manifestants, toujours survoltés après 10 heures de marche. "Nous resterons toute la nuit s'il le faut, et demain encore", a lancé un groupe de jeunes hommes, assis au milieu du rond point de la Paix.
"Nous avons prévu des bougies, au cas où ils coupent l'éclairage public", expliquaient-ils. "Nous avons ramené de la pâte (de maïs), nous pouvons tenir le temps qu'il faudra."
Les manifestants ont tenté de converger vers la présidence togolaise, mais ils ont été bloqués par les forces de l'ordre. Une centaine de gendarmes, épuisés après des heures d'immobilité, faisaient toujours face à la foule.
Une banderole déployée demandait aux "soldats, policiers et gendarmes de faire allégeance au peuple".
Plus bas sur le boulevard, à quelques kilomètres de là, des milliers d'autres personnes étaient réunies dansant sur de la musique reggae contestataire, autour du chef historique de l'opposition, Jean-Pierre Fabre.
Le président de l'ANC (Alliance Nationale pour le Changement) s'est dit "très ému" devant la foule de ses supporters.
"De voir le peuple togolais se lever comme un seul homme, c'est une très grande satisfaction", a-t-il déclaré. "C'est une grande émotion qui m'étreint", a confié cet opposant qui bat le pavé depuis des années, sans avoir jusqu'à présent réussi à imposer des réformes au pouvoir.
Les journées du 6 et 7 septembre ont été lancées par une coalition de l'opposition togolaise (Cap 2015, le Groupe des six et le Parti National Panafricain - PNP, rejoints par plusieurs partis mineurs), d'où l'importance de la mobilisation.
Mercredi, une marée humaine (plus de 100.000 selon Amnesty International, un million selon des opposants) avait déjà défilé dans la capitale togolaise, véritable démonstration de force pour une opposition qui a longtemps échoué à parler d'une seule voix.
"Il y a beaucoup d'électricité dans l'air", a relevé jeudi Adoté Delali, observateur de l'Association des droits de l'homme, une ONG locale, affirmant qu'il y avait "beaucoup plus de monde qu'hier" (mercredi).
"Hier, je n'était pas venu", a témoigné Dodo M.. "J'avais peur, mais quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de violence j'ai rejoint les frères."
Le président Gnassingbé ne s'est pas exprimé depuis le début du mouvement, et la présidence, contactée à plusieurs reprises, n'a pas donné suite.
Jeudi soir encore, tous les accès à internet étaient coupés à travers le pays, et les communications téléphoniques très sporadiques.
Le gouvernement avait tenté de joué l'apaisement mardi, à la veille des rassemblements, en annonçant une réforme constitutionnelle concernant la "limitation des mandats et le mode de scrutin", mais cela n'a pas suffi à dissuader les manifestants.
"Nous allons rester dans la rue jusqu'à ce qu'il nous écoute. Nous voulons que Faure (...) s'en aille", a affirmé Jonas Badagbon, 29 ans.
Selon Aimé Adi, directeur d'Amnesty International au Togo, des manifestations ont également rassemblé des milliers de personnes dans plusieurs villes du nord, dont Sokodé, Bassar et Bafilo, "où une centaine de manifestants occupent la route principale, bloquant la circulation".
Le président Faure Gnassingbé a succédé à son père, le général Gnassingbé Eyadéma à la présidentielle de 2005 avec l'appui de l'armée, ce qui avait entraîné de violentes manifestations et une féroce répression.
Il a été réélu en 2010 et en 2015 lors de scrutins très contestés par l’opposition. - AfricaLog avec agence