La déchéance de nationalité aura eu raison de Christiane Taubira: la garde des Sceaux, devenue une icône de la gauche et une cible privilégiée de la droite et de l'extrême droite depuis 2012, a remis mercredi sa démission à François Hollande.
«Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur», a-t-elle justifié depuis la Chancellerie, avant la passation de pouvoirs avec son successeur Jean-Jacques Urvoas, proche de Manuel Valls et président de la commission des Lois à l'Assemblée nationale.
Évoquant le «péril terroriste», elle a appelé à ne «concéder aucune victoire, ni militaire, ni diplomatique, ni politique, ni symbolique», se disant avec sa démission «fidèle» à elle-même, à ses «engagements» et à ses «combats».
«Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir», avait-elle tweeté peu après l'annonce de sa démission le matin, décidée selon l'Elysée avant le départ de M. Hollande en Inde le week-end dernier.
Après avoir remercié collaborateurs et personnel du ministère de la Justice, Christiane Taubira a enfourché son vélo et quitté la place Vendôme.
Par le passé, rares sont les ministres à avoir démissionné par désaccord avec la politique menée, si ce n'est Jean-Pierre Chevènement et son fameux «un ministre ça ferme sa gueule» ou «ça démissionne». Il démissionne en 1983 puis réitère en 1991 en raison de la guerre du Golfe et en 2000 sur la question corse. Michel Rocard avait jeté l'éponge en 1985, en désaccord sur la proportionnelle.
S'il a «salué» le travail de Mme Taubira depuis 2012, M. Hollande a souligné, lors du Conseil des ministres, les nécessaires «cohérence dans l'action» et «éthique collective» au sein du gouvernement. Or, censée porter cette réforme décidée après les attentats du 13 novembre, Mme Taubira n'avait pas caché son opposition à l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français.
En décembre, elle avait même annoncé son abandon sur un média algérien, avant d'être désavouée par l'Elysée et Matignon.
Une cascade de réactions a accompagné la démission de Christiane Taubira, devenue une figure de la gauche depuis la réforme du mariage homosexuel mais également une des cibles favorites de la droite et l'extrême droite, et objet aussi parfois d'attaques racistes.
L'ex-députée de Guyane s'est dite «fière» de son action Place Vendôme depuis 2012.
Marine Le Pen, présidente du Front national, a salué «une bonne nouvelle pour la France». Pour Guillaume Larrivé (LR), Mme Taubira a été «la pire ministre de la Justice de la Ve République».
À gauche, Benoît Hamon, ancien ministre PS et proche de Mme Taubira, a exprimé son «respect pour (ses) convictions». Jean-Christophe Cambadélis lui a adressé ses «amitiés» au nom de «combats communs» tandis que, pour le frondeur Laurent Baumel, «François Hollande aura fracturé la gauche d'un bout à l'autre». Cécile Duflot (EELV) a elle «salué chaleureusement la décision de courage et de conviction» de Mme Taubira.
Huit Français sur 10 approuvent la démission de la ministre selon un sondage Elabe. Ils sont 73% selon une autre enquête Odoxa pour le Parisien de jeudi.
Nombre d'élus s'alarmaient, à un an et demi de l'élection présidentielle, du «rétrécissement» de la majorité de François Hollande, après les départs en 2014 de Cécile Duflot, puis d'Arnaud Montebourg, de Benoît Hamon, et d'Aurélie Filippetti. Celle-ci a d'ailleurs dit que Christiane Taubira pouvait «rassembler largement», répondant même «pourquoi pas» à la question d'une candidature de l'ex-ministre à des primaires de la gauche.
«Non, c'est absolument sûr», répondait toutefois samedi dernier Christiane Taubira à Michel Denisot qui l'interrogeait sur cette possibilité pour l'émission «Conversations secrètes» sur Canal+, diffusée mercredi soir. Emission dans laquelle elle laissait peu de place au doute sur sa prochaine démission.
Mme Taubira, qui devait effectuer un voyage officiel de quatre jours aux Etats-Unis à partir de mercredi, a maintenu sa venue à New York pour une intervention vendredi dans les locaux de la New York University, où il est prévu qu'elle évoque son parcours et «ses combats politiques», selon la présentation de l'université.
Député du Finistère, Jean-Jacques Urvoas est un juriste spécialiste des questions de sécurité. Il avait notamment été le rapporteur de la loi sur le renseignement en 2015. Il «portera, aux côtés du Premier ministre, la révision constitutionnelle et préparera le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et la réforme de la procédure pénale», selon l'Elysée.
Après ce coup de théâtre, Manuel Valls a précisé lui-même les contours de la réforme constitutionnelle devant la Commission des lois de l'Assemblée. Le Premier ministre a annoncé qu'«aucune référence» à la binationalité ne figurerait dans la Constitution, «ni a priori dans la loi ordinaire» censée décliner cette réforme.
Cette solution, une subtilité sémantique, permet de ne pas «stigmatiser» les binationaux, l'un des principaux reproches formulés à gauche. La France, par ailleurs, «s'engagera dans la ratification» de la Convention de 1961 interdisant la création d'apatrides, a précisé le Premier ministre.
M. Valls a par ailleurs accédé à une demande de la droite en annonçant que cette déchéance serait rendue possible également pour «les délits les plus graves». - AfricaLog avec agence