L'élection à la mairie de Dakar devait servir de tremplin au fils du chef de l'Etat dans son parcours pour lui succéder à la tête du pays. Mais les citoyens en ont décidé autrement.
Jusqu'au 23 mars, avant le dépouillement des votes des citoyens ayant participé aux élections locales, certains étaient plus que jamais persuadés que le wadisme [le mouvement politique se réclamant du président Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000] serait encore triomphant. Ils étaient loin de s'imaginer qu'ils laisseraient leur fauteuil aux membres d'une coalition de l'opposition jusque-là siphonnée par le rouleau compresseur wadien. Mais la réalité des résultats du scrutin a mis en évidence une chose : il y aura un avant et un après les élections locales pour Maître Wade. Le choc du verdict électoral est rude, et le pire n'a pas pu être évité. Le pire, c'est pour le palais de la République. Le scénario sombre, mais pas totalement noir, qui a prévalu, n'a donc pas surpris. Sauf le camp de la "dynastie et de la galaxie". Car ce sont bien des symboles qui ont été atteints. Les défaites de personnalités "emblématiques" du wadisme et de la Génération du concret atteignent directement Maître : le maire de Dakar [qui appartient au parti de Wade], son fils Karim [candidat à Dakar], les ministres originaires de la région de Saint-Louis et ceux de Thiès. C'est un soufflet que lui ont infligé les citoyens sénégalais, non sans lui rappeler qu'un peu de retenue et de méthode ne nuisent pas quand on cherche des solutions à un problème. Ce rappel à l'ordre républicain n'est pas une mise au point ni une remontrance. C'est la remise à l'endroit d'une vertu jusque-là atterrée face au vice qui prenait sa "route vers le sommet". Car, au fil du temps, les micros amplifiaient leurs paroles, faits et gestes. Et même s'ils ne buvaient que de l'eau, l'ivresse des applaudissements leur a fait confondre public et sujets. C'est la sanction de cette "bulle présidentielle" en même temps que le refus d'entendre la résonance d'un couple père-fils se parlant sur le ton de la complicité patinée : "Mon enfant, je te protège et tout ce qui est à moi est à toi." N'avait-il pas déclamé à la face du Sénégal une touchante satisfaction paternelle en lançant à son fils : "Karim, je dirai à ta mère que tu as bien travaillé." Aujourd'hui, on entend d'ici ce qu'il doit dire à la maman du fils qui a échoué. Les Sénégalais, grands observateurs de la vie politique, ne sont pas ce peuple que l'on a voulu retourné à l'adolescence, en quête d'un vieil oncle sachant manier tour à tour la caresse et les gros yeux. Ils ont rappelé à Maître les codes d'une république et d'une démocratie dont il s'est allègrement éloigné. Ils lui ont rappelé qu'ils ont besoin d'un président qui s'occupe des Sénégalais, et pas seulement de lui et du bonheur de ses proches. Ils ont besoin d'un président qui ne se fixe pas cet objectif de "sculpter" un fils en modèle. Un chef qui "salue" à parts égales tous les citoyens, la république et la démocratie. En un mot, un président qui est président. Est-ce que c'est encore possible pour lui ? Là est toute la question. Comme en amour, une fois que le charme est rompu, l'histoire peut-elle recommencer ? En tout cas, la gueule de bois a changé de camp le 24 mars au matin. Les vaincus d'aujourd'hui, si prompts hier, à parader sur les plateaux de télévision et à "réagir" sur les stations de radio sont devenus muets comme des carpes. La gestion de leurs actions politiques ne s'est résumée, au cours de toutes ces années, qu'à un jet continu de coups d'éclat où toutes les notions de bien et de mal et tous les repères du beau et du laid étaient inversés. Ils n'ont fait que réagir. Or la réaction n'est que l'expression d'un sentiment et elle n'informe finalement que très peu sur l'essentiel. Résultat ? Un Etat délétère conduit par des hommes et femmes sans vision et sans imagination dans les fossés d'une chienlit programmée que tous les laissés-pour-compte, rassasiés de promesses non tenues, affamés, découragés, humiliés ont refusé : ils sont sortis de leur muette révolte pour "crever les yeux" de ces politiciens, qui nous dirigent derrière les vitres teintées de leurs voitures ou en se retranchant dans des maisons au luxe insolent. – Courrier International