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Guinée: Tout le monde attend la junte à l'acte

Feb 18, 2009

Le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte militaire à la tête de la Guinée depuis décembre, multiplie les déclarations de bonne volonté pour rassurer ses compatriotes et la communauté internationale sur ses intentions de quitter le pouvoir au plus tôt, mais son style ne convainc pas les plus sceptiques.

Le capitaine Camara a rencontré lundi à Conakry, avec le Groupe de contact international comprenant la Communauté des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO), l’Union africaine (UA), l’Union européenne (UE) et les Nations Unies, en présence des leaders politiques et de la société civile. Camara a annoncé différentes étapes devant déboucher sur les élections sans fixer de date.

Ainsi, Camara, qui est également le chef du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), a proposé l'enrôlement des électeurs, la mise en place d'un organe chargé de gérer la transition, l'organisation d'un forum national pour discuter de la transition, la révision de la constitution, la publication de la liste électorale révisée avant le décret fixant la date des élections.

"Le fait d'annoncer des étapes que tout le monde connaît sans donner de date précise est très gênant pour avoir une idée précise de ce que le CNDD veut faire. Il faut absolument clarifier les choses à ce niveau", a indiqué à IPS, Madani Dia, un politologue basé à Conakry, la capitale guinéenne.

"En plus, dire qu'on va mettre en place un comité chargé de gérer la transition ne permet pas de savoir... les critères de choix des membres qui vont composer l'organe qui va gérer la transition", a-t-il ajouté.

Le capitaine Camara a promis, en outre, de mettre fin à l'impunité, et souligné notamment au Groupe de contact que "le pouvoir ne sera donné qu'à un civil qui a les mains propres".

La plupart des leaders des partis politiques et de la société civile ont salué les engagements du chef de la junte et demandé d'appuyer le CNDD - l’institution incarnant la junte - dans le pilotage de la transition.

"Nous avions besoin de parler dans ce pays et de nous dire la vérité enfin. Nous avons tous intérêt à réussir cette phase importante de l'histoire de notre pays", a déclaré l'opposant Sidya Touré, leader l'Union des forces républicaines.

Lors de la rencontre de lundi, le secrétaire exécutif de la CEDEAO, Mohamed Ibn Chambas, membre de la délégation du groupe de contact, a indiqué qu'il était "rassuré sur la bonne marche de la transition après avoir entendu le chef du CNDD, les partis politiques, les syndicalistes et les membres de la société civile".

Mais, après une prise de pouvoir sans effusion de sang le 23 décembre, l’arrestation, en janvier et en quelques jours, de plusieurs officiers supérieurs dont l’ancien chef d’état-major des armées, le général Diarra Camara, a quelque peu émoussé l’euphorie qui régnait autour des «actions positives» du CNDD.

«Parmi nous (les militaires), parmi les anciens, il y en a qui sont encore assoiffés de pouvoir. On ne peut pas faire son temps et faire le temps de ses enfants», a déclaré le chef des putschistes, le regard dissimulé derrière des lunettes noires, lors d’un rassemblement il y a quelques semaines au camp Alpha Yaya Diallo de Conakry.

Camara a accusé ouvertement, lors de la même rencontre, les anciens généraux de comploter pour renverser son régime.

Cette tension interne au sein de l’armée venait s’ajouter aux critiques de la communauté internationale, notamment celles des Etats-Unis qui ont annulé leur aide bilatérale à la Guinée - environ 20 millions de dollars -, l’UE, l’UA et la CEDEAO exigeant des nouvelles autorités l’organisation rapide d’élections générales.

Pour éviter le fiasco, les leaders politiques, ceux de la société civile et des syndicats se sont réorganisés la semaine dernière pour obliger le CNDD à respecter son engagement d’appeler les Guinéens à voter pour choisir un président de la République et un parlement avant la fin de l’année 2009.

«La junte parle d’élections, mais elle n’a fixé aucun échéancier précis pour leur organisation. La stabilité dans ce pays ne sera jamais durable si le peuple ne se retrouve pas dans ses dirigeants par le biais d’élections libres et démocratiques», a affirmé à IPS, Youssouf Sylla, un juriste basé à Conakry.

«On n’a même pas une idée de l’ordre qui sera respecté pour les élections annoncées car on ne sait pas si ce sont les législatives qui vont venir avant la présidentielle. On est dans le flou», dit-il.

Les «forces vives» (société civile, partis politiques et syndicat) ont rencontré la semaine dernière, le capitaine Camara qui a réitéré son engagement à retourner le pays à une vie politique normale, mais il a refusé d’accéder à leur requête lui demandant la levée officielle de l’interdiction de leurs activités.

«Nous voulons nettoyer proprement l’administration avant de passer la main. Nous ne voulons pas de troubles», a déclaré le président du CNDD.

«La seule chose aujourd’hui qui doit primer et qui mérite qu’on y consacre toute notre énergie et toutes nos ressources, c’est l’organisation correcte des élections», a déclaré à IPS, Jean Marie Doré, un des leaders de l’opposition.

Selon les statistiques officielles, environ 1,5 millions de Guinéens, sur un total de six millions d’électeurs potentiels, étaient inscrits sur les listes électorales en janvier.

«Si on veut organiser des élections avant la fin de l’année, l’Etat et les bailleurs de fonds devront mettre les bouchées doubles aussi bien au niveau financier qu’humain. Autrement, je doute que cela soit possible», a dit à IPS Mamadou Saliou Diallo, un cadre du ministère de l’Administration du Territoire.

"Ce qui est sûr, c'est que nous sommes à un tournant de l'histoire de ce pays. Ou bien on échoue et on se retrouve dans les mêmes travers, ou bien la transition réussit et la Guinée pourra enfin souffler", a souligné Dia.

En attendant de concrétiser sa principale promesse, le nouveau régime militaire s’est lancé dans un vaste programme de recouvrement des créances de l’Etat d’un montant officiel estimé à plus de 132 millions de dollars auprès de chefs d’entreprises, sociétés minières et anciens ministres accusés de détournements.

La junte a pris le pouvoir en Guinée à la suite du décès de l’ancien président Lansana Conté qui a régné pendant 24 ans dans ce pays d’Afrique de l’ouest riche en ressources naturelles, mais dont la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour. - IPS