48 heures après le massacre de manifestants par l'armée, la capitale guinéenne demeure sous le choc. Un calme relatif régnait mercredi matin dans les rues de Conakry, deux jours après la répression sanglante dans le stade de la capitale. Seules quelques échauffourées nocturnes ont été signalées mardi dans des banlieues excentrées de la ville, où trois jeunes hommes auraient été abattus par les militaires.
Mercredi et jeudi ont été déclarés journées de deuil national tandis que vendredi 2 octobre sera férié, c'est la fête nationale. Pour l'heure, l'ambiance est très loin d'être festive: la plupart des commerces sont fermés et les rues demeurent quasi-désertes. Où sont les corps ? Le bilan de 157 morts et 1253 blessés, annoncé par l'organisation guinéenne des droits de l'homme (OGDH), reste difficile à vérifier. Le ministère de l'Intérieur a de son côté reconnu 57 victimes. De nombreuses déclarations rapportent que les militaires auraient emporté des corps dans les hôpitaux pour les dissimuler. Selon la télévision nationale, il s'agirait d'évacuations sanitaires, vers l'étranger, décidées par la junte. Joint par Libération.fr, le chef de mission de la section suisse de l'ONG Médecins Sans Frontières, Jérôme Basset, raconte : «Nous étions aux urgences de l'hôpital Donka toute la journée de lundi sans observer de tels agissements. L'hôpital, pourtant situé à 500 mètres du stade, a reçu 8 corps, dont 4 tués par balle. (...) Mais nos ambulances n'ont pas réussi à pénétrer dans l'enceinte du stade et depuis mardi matin, il est impossible de rentrer dans la morgue. Elle est gardée par la gendarmerie.» Où sont donc les corps ? Un premier élément de réponse est fourni à Libération.fr par Isabelle Bourges, porte-parole de la délégation guinéenne du Comité internationale de la Croix-rouge (CICR) : «Le ministère de la Défense nous a informé qu'une cinquantaine de corps avaient été rassemblés au camp militaire de Samory, dans une zone plus calme de Conakry. (...) Pour le reste, nous tentons encore de recueillir des informations.» Clown triste Le chef de la junte Moussa Dadis Camara s'est rendu mardi dans les deux principaux hôpitaux de Conakry, Donka et Ignace Deen, pour rencontrer les nombreux blessés hospitalisés. «Je suis venu partager la douleur des victimes et les réconforter. Je suis choqué. Ce n'est pas la première fois que cela arrive en Guinée, ce sont les mêmes leaders de l'opposition qui ont poussé les enfants à la boucherie en 2007», a-t-il affirmé. Camara se référait à une grève générale durement réprimée par le régime de son prédécesseur Lansana Conté en janvier 2007, faisant officiellement 137 morts et 1667 blessés. Le fanstasque officier, jusqu'ici connu, voire apprécié, pour ses excentriques prestations télévisées, surnommées «Dadis shows» par les Guinéens, a admis mercredi matin ne pas contrôler ses troupes : «L'événement m'a débordé. Cette armée, je ne contrôle pas toutes ses activités (...) Dire que je contrôle cette armée, ce serait de la démagogie», a-t-il affirmé sur Europe 1. «J'ai hérité d'un héritage d'un demi-siècle, d'une armée où le caporal peut dire "merde" à un colonel ou à un général» a poursuivi celui qui n'est pourtant lui-même que capitaine. Après les pitoyables excuses de lundi, où il s'était dit «très désolé», cette nouvelle tentative pour s'exonérer de ses responsabilités dans la tuerie risque de faire passer Camara au pire pour un menteur et un assassin, au mieux pour un pantin manipulé par les élites militaires de Guinée, pays qui vit sous la dictature de son armée depuis l'indépendance de 1958. - Libération