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Gbagbo maître du jeu ivoirien

Jun 24, 2010

Comme le disait l’humoriste ivoirien Adama Dahico, lui-même prétendant à la magistrature suprême : « la Côte d’Ivoire est le seul pays au monde où les candidats à la présidentielle sont connus, mais personne ne sait quand la consultation électorale aura lieu ». Il y a comme un mauvais sort qui s’acharne sur la sortie définitive de crise dans ce pays.

A chaque avancée significative vers la paix, il y a toujours une affaire qui vient remettre en cause les acquis. Le 15 juin 2010, à Korhogo, avait lieu le lancement officiel de l’opération d’encasernement, prémices du désarmement des combattants des Forces nouvelles. Cette cérémonie avait suscité beaucoup d’espoirs.

Mais des espoirs très vite douchés cinq jours plus tard par la décision du président Laurent Gbagbo d’ordonner une enquête sur les soupçons de fraude et de détournements visant un de ses proches, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro.

Cet homme de confiance de Gbagbo est accusé pêle-mêle de népotisme dans le recrutement des policiers, de gestion opaque des fonds du hadj et, plus grave, d’avoir perçu de SAGEM, l’opérateur français qui conduit l’informatisation de la liste électorale, la coquette somme de 10 milliards FCFA à titre de commissions.

Et voici Tagro, cette étoile montante de la galaxie Gbagbo, dans de beaux draps, lui à qui le clan de Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale, entendait qu’il rende des comptes de sa gestion du recrutement des élèves policiers et également sur bien d’autres points. Après avoir dénoncé à hue et à dia les présidents Félix Houphouët-Boigny et Henri Konan Bédié, les dirigeants de la Côte d’Ivoire avaient oublié que tout pouvoir corrompt.

Il faut avouer que le torchon brûlait déjà entre certains membres de l’entourage du mari de Simone. Et si l’enquête que Gbagbo a ordonnée ne visait strictement qu’une de ses ouailles, on ne se serait ému outre mesure.

Mais voilà, cette enquête vise le Premier ministre au sujet des commissions de SAGEM. Et c’est ça qui pose problème, car les répercussions d’une telle entreprise sur le processus de paix sont incalculables et imprévisibles. En citant le patron de la Primature et en voulant le mouiller, il est difficile, de prime abord, de ne pas penser qu’il s’agit là d’une torpille contre un homme qui patauge déjà.

Mais il appartient à Guillaume Soro de se dédouaner, de montrer qu’il ne mange pas de ce pain-là. On ne saurait cependant lui donner un blanc-seing, surtout qu’on se rappelle que son nom avait été cité dans l’affaire de la casse des agences de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) dans le nord ivoirien. Mais une chose est sûre, quel que soit son degré d’implication, cette enquête va fragiliser le Premier ministre.

Dans cette affaire, le chef du gouvernement a le soutien des houphouëtistes qui n’entendent pas se laisser distraire par cette affaire rocambolesque qui risque, sinon de retarder les échéances électorales, du moins de les renvoyer aux calendes grecques.

Cette enquête ordonnée par la Présidence est une véritable bombe. Elle est lancée. On attend qu’elle explose pour voir qui saura y survivre. Si d’aventure elle touchait Soro, alors là on serait face à une situation inédite. Restera alors à voir ce que serait la réaction de l’ex-rébellion. Va-t-elle se replier dans son fief de Bouaké ? Va-t-elle sacrifier son chef ? Le processus de paix pourra-t-il se poursuivre ? C’est là une équation à plusieurs inconnues.

Dans l’affaire des commissions de SAGEM, ce qui intrigue plus, c’est le montant. 10 milliards, c’est tout de même beaucoup d’argent ! Et pour en donner autant à deux individus, il faut que SAGEM ait eu un gros marché de centaines de milliards. A moins que le chiffre n’ait été expressément gonflé. Dans ce cas, à quelle fin ?

Cette enquête peut envenimer les relations entre le Président et son Premier ministre. Mais elle peut, paradoxalement, rapprocher les deux. Avec le pouvoir qu’a Gbagbo d’arrêter ou d’orienter cette enquête, il dispose d’un puissant étau pour contraindre son chef de gouvernement et obtenir de lui des concessions, comme un rapide désarmement et une réunification du territoire. Avec cette enquête, véritable épée de Damoclès, Gbagbo montre qu’il est vraiment le maître du jeu ivoirien. – L’Observateur Paalga