Les armes à la main au côté du guérillero Paul Kagame, ils ont chassé le régime extrémiste hutu et mis fin au génocide au Rwanda. De leur exil, ces ex-figures du Front patriotique rwandais (FPR) appellent aujourd'hui à «renverser le président-dictateur».
Loin de la présidentielle sans enjeu, triomphalement remportée le 9 août par Kagame, une impitoyable lutte politique se livre en coulisses à la tête du régime rwandais.
Cette bataille de l'ombre met aux prises quelques dizaines d'individus, presque tous Tutsi anglophones issus de la diaspora ougandaise. Chefs militaires dans le maquis, ils ont monopolisé la hiérarchie de l'appareil sécuritaire et étaient les véritables maîtres du pays.
En seize ans de pouvoir, Kagame a cependant fait le vide autour de lui et la plupart de ces «anciens» ont été écartés, sont morts ou ont fui à l'étranger.
Les premières défections commencent fin 90, d'abord des personnalités hutus sans réelle influence. Elles se multiplient discrètement au fil des années, toujours plus proches de la tête du régime.
En 2005, le colonel Patrick Karegeya, tout-puissant chef des services des renseignements extérieurs, est emprisonné pour «insubordination». Il parvient à s'enfuir deux ans plus tard pour l'Ouganda puis l'Afrique du Sud.
Début 2010, c'est le général Faustin Kayumba Nyamwasa, chef d'état-major de l'armée jusqu'en 2001, qui quitte clandestinement le pays, également pour l'Afrique du Sud. Héros de la guerre de «libération», l'homme est un poids lourd du FPR, un personnage clé du régime et de son armée.
Dans les mois suivant, quatre officiers de haut rang sont arrêtés pour «indiscipline» ou encore «actes immoraux», dont le très influent général Karenzi Karake.
Kayumba et Karegeya, eux, sont taxés de «criminels» et «terroristes», accusés d'être responsables d'une série d'attaques à la grenade à Kigali.
«Avec la fuite de Kayumba, la crise a éclaté au grand jour», observe l'universitaire André Guichaoua.
«Tous ceux qui ne faisaient pas partie du noyau ougandais ont été progressivement éliminés. Les dissensions ont lieu maintenant au sein de ce noyau central», explique-t-il.
Kayumba est la plus sérieuse défection, «car susceptible d'incarner une alternative à Kagame». Le 19 juin, il a été victime d'une mystérieuse tentative d'assassinat à Johannesburg.
Ces affaires de famille remettent en cause tout le système, fondé sur un FPR uni et efficace, alors que le pouvoir se resserre autour du seul président Kagame, «de plus en plus isolé au sein de l'armée».
Le chef de l'État règne désormais en s'appuyant sur un cercle de très proches, plus jeunes en 1994, comme le ministre de la Défense James Kabarebe, ancien chef de ses gardes du corps.
C'est «la conséquence de l'élargissement du pouvoir, avec l'émergence d'une nouvelle génération», assure un membre du FPR pour qui «les "historiques" mécontents n'ont pas su s'adapter au changement».
De son exil sud-africain, le général Kayumba qui rappelle avoir sauvé la vie de Kagame à deux reprises dans le maquis, dénonce la dérive «dictatoriale» d'un président n'usant plus que de «l'intrigue» et de la «trahison».
Exemples à l'appui, il fustige la corruption de celui qui «n'a plus aucune autorité morale» pour demander à ses concitoyens «de rendre des comptes».
Karegeya quant à lui appelle les Rwandais à se «soulever contre la dictature» et se dit prêt à soutenir une nouvelle «lutte de libération».
Les deux hommes partagent les plus lourds secrets du régime. Mais leur marge de manoeuvre internationale est cependant limitée, du fait des soupçons de crimes de guerre qui pèsent contre eux.
En interne comme à l'échelle régionale, ils n'en posent pas moins un redoutable défi à Kagame, en particulier s'ils obtiennent un soutien de l'Ouganda souvent bienveillant envers les dissidents rwandais, ou se rapprochent d'autres opposants dans l'est de la République démocratique du Congo voisine. - AFP