Alassane Ouattara, reconnu président ivoirien par la communauté internationale, a accusé jeudi son rival Laurent Gbagbo d'avoir "du sang sur les mains", tandis que la tension restait forte dans le pays, avec des violences meurtrières entre ethnies dans l'ouest.
Toujours retranché au Golf hôtel d'Abidjan soumis à un blocus des forces fidèles au régime Gbagbo, M. Ouattara a haussé le ton contre le président sortant, après l'échec mardi d'une nouvelle médiation africaine censée trouver une issue à la crise née de l'élection du 28 novembre.
"Laurent Gbagbo a du sang sur les mains", a-t-il lancé, d'un ton inhabituellement dur, lors d'un entretien à la radio française Europe 1 enregistré mercredi.
Il a affirmé que "des mercenaires et des miliciens de Laurent Gbagbo" avaient perpétré "viols" et "assassinats", et évoqué l'envoi "dans les prochains jours" d'une mission d'investigation de la Cour pénale internationale (CPI).
Gbagbo «est bien là où il est, il restera là où il est»
Le camp de Laurent Gbagbo a annoncé mercredi le maintien du blocus du QG de son rival Alassane Ouattara à Abidjan, liant sa levée au départ des ex-rebelles qui le sécurisent, et a réfuté toute idée d'«amnistie» pour M. Gbagbo, offerte s'il acceptait de céder le pouvoir.
«Il suffit que les soldats des FN aillent à Bouaké, ce blocus sera levé», a déclaré Alcide Djédjé, chef de la diplomatie du gouvernement Gbagbo, en référence aux Forces nouvelles, l'ex-rébellion alliée à M. Ouattara et dont le fief se trouve dans cette ville du centre.
Selon lui, et contrairement à leurs déclarations, M. Gbagbo «n'a pas dit» aux émissaires africains venus le voir à Abidjan lundi «qu'il levait le blocus» du Golf hôtel, QG de M. Ouattara, reconnu président par la communauté internationale: «il a dit qu'il était prêt à étudier les conditions de levée du blocus».
«L'armée ivoirienne estime qu'on ne peut pas tolérer qu'il y ait 300 soldats lourdement armés de l'ex-rébellion dans cet hôtel. Cela constitue une menace, y compris même pour le président Gbagbo dont la résidence se trouve à cinq minutes en bateau», a ajouté M. Djédjé.
Des barrages des Forces de défense et de sécurité (FDS) loyales à Laurent Gbagbo bloquent l'accès routier à l'hôtel depuis trois semaines. La sécurité du «Golf» est assurée aussi par 800 Casques bleus.
C'est notamment pour protéger ce lieu stratégique que l'ONU va demander l'envoi de 1000 à 2000 Casques bleus supplémentaires pour sa force dans le pays, l'Onuci (9500 éléments actuellement), a déclaré le chef des opérations de maintien de la paix des Nations unies, Alain Le Roy.
Il a évoqué devant le Conseil de sécurité «les très grosses difficultés» endurées par l'Onuci, confrontée à une population «de plus en plus hostile» en raison, selon lui, «des affirmations mensongères» de la télévision d'Etat RTI.
M. Le Roy s'est dit en outre préoccupé par les conflits inter-ethniques, avec sept décès rapportés lors d'un affrontement récent entre deux communautés dans l'ouest.
De retour à Nairobi, l'émissaire de l'Union africaine, le Premier ministre kényan Raila Odinga, a promis «une amnistie» pour le président sortant s'il quitte le pouvoir. Il ne serait «pas poursuivi ou persécuté», qu'il reste en Côte d'Ivoire où choisisse l'exil, a-t-il précisé.
«Il n'a pas été question d'amnistie», a séchement rétorqué M. Djédjé, récusant aussi toute idée d'exil au Etats-Unis. «Le président Gbagbo n'a pas besoin d'aller à Washington, il est bien là où il est, il restera là où il est».
Le 16 décembre, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Luis Moreno-Ocampo avait prévenu qu'il engagerait des poursuites contre quiconque serait responsable de violences en Côte d'Ivoire.
L'ONU a mis en cause les forces loyales à M. Gbagbo dans les violences qui ont éclaté depuis lors, faisant selon elle 179 morts. Le camp Gbagbo a évoqué 53 morts depuis fin novembre, dont 14 membres des forces de l'ordre qui lui sont fidèles.
Mardi, au siège de la coalition pro-Ouattara à Abidjan, un militant a été tué à la suite d'un raid de policiers et gendarmes pro-Gbagbo.
M. Odinga a souhaité qu'une nouvelle mission revienne «dès que possible» à Abidjan pour ne pas laisser de «vide».
Laurent Gbagbo est menacé d'être renversé militairement par la Cédéao, s'il ne cède pas de lui-même le pouvoir à M. Ouattara.
Sous forte pression internationale, M. Gbagbo s'est dit prêt à négocier «sans préconditions» une «issue pacifique» à la crise née de la présidentielle du 28 novembre, une offre de dialogue réitérée par Alcide Djédjé.
Mais pour le camp Ouattara, la seule issue possible est le départ dans les plus brefs délais de M. Gbagbo, accusé de vouloir «gagner du temps».
Il «a toujours la possibilité» de se retirer «mais plus la crise s'éternise, plus cette chance risque de disparaître», a prévenu un haut responsable américain.
La crise et la peur d'affrontements poussent les Ivoiriens à partir chaque jour plus nombreux: quelque 22 000 ont fui au Liberia, en majorité des femmes et des enfants, selon le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).
Ouattara préfère une solution pacifique
Alassane Ouattara, reconnu par la communauté internationale comme le président élu de la Côte d'Ivoire, a dit mercredi préférer une solution pacifique à l'option militaire pour sortir son pays de la crise.
Dans un entretien à la chaîne de télévision France 24, il a exclu tout risque de guerre civile en Côte d'Ivoire, soulignant qu'une éventuelle intervention militaire pourrait se limiter à "venir chercher Laurent Gbagbo", le président sortant qui refuse de quitter le pouvoir depuis fin novembre.
"Ce type d'opération est possible, s'il continue, c'est à cela qu'il s'expose", a estimé Alassane Ouattara, interrogé depuis l'hôtel du Golf d'Abidjan, où il vit reclus depuis plus d'un mois avec son gouvernement. "La situation est bloquée du fait de Laurent Gbagbo."
Selon lui, le président sortant "tente de gagner du temps, tout le monde le sait, pour pouvoir recruter des mercenaires et des miliciens pour tuer les Ivoiriens, pour exporter des valises d'argent dans certains pays amis".
"La Côte d'Ivoire ne peut pas rester dans cette situation beaucoup plus longtemps", a estimé Alassane Ouattara, tout en se refusant à appeler à une intervention militaire alors que plusieurs membres de son entourage ont récemment estimé qu'il s'agissait de la seule option encore disponible.
Les dirigeants de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont brandi la menace d'un recours à la "force légitime" pour chasser Laurent Gbagbo du pouvoir.
Mais ils semblent actuellement se résigner à des négociations marathon pour arriver à leur but.
Ils ont affirmé mardi que Laurent Gbagbo acceptait de "négocier une issue pacifique à la crise sans conditions préalables". Mais l'entourage du président sortant continue à considérer la victoire de son champion comme "non négociable".
A la question: "L'heure est-elle venue d'une option militaire ?", Alassane Ouattara a répondu mercredi: "Non, je suis pour la paix dans mon pays (...) Je préfère une solution pacifique, une solution négociée".
"Je tiens à ce que l'issue soit pacifique mais Laurent Gbagbo ne veut rien entendre. En réalité, ceci démontre que ce n'est pas un homme d'Etat il n'aime pas les Ivoiriens, il ne tient qu'à sa personne, qu'à un pouvoir qu'il est en train d'usurper", a-t-il insisté.
"L'intervention militaire ne veut pas dire que la Côte d'Ivoire sera embrasée. Il s'agit, comme ceci a été fait ailleurs en Afrique ou dans d'autres pays, de venir chercher Laurent Gbagbo et le sortir du palais présidentiel (...) Les risques des guerre civile que j'entends n'existent point du tout", a assuré Alassane Ouattara.
Le président reconnu par les Nations unies et la Cédéao a rendu hommage à l'armée ivoirienne "pour sa retenue" dans cette crise. Laurent Gbagbo n'a ni le soutien des militaires ni le soutien des urnes, a-t-il estimé.
Il a en revanche fait état "d'assassinats dans les quartiers populaires d'Abidjan, des tueries, des viols".
Selon l'Onu, les violences postélectorales, imputées à des partisans de Gbagbo, ont fait au moins 170 morts.
Des diplomates et des sources de sécurité ont fait état d'escadrons de la mort opérant la nuit dans les quartiers favorables à Alassane Ouattara.
Les Nations unies s'inquiètent également du marquage de maisons d'opposants politiques de Gbagbo, avec mention de leur appartenance ethnique. – AfricaLog avec agence