L'armée égyptienne a promis lundi soir de ne pas ouvrir le feu sur les manifestants, qui se sont encore rassemblés par milliers pour réclamer le départ d'Hosni Moubarak, et a jugé leurs revendications légitimes.
Dans la foulée, le vice-président Omar Souleimane, issu des rangs de l'armée, a annoncé l'ouverture de consultations avec l'ensemble des partis politiques, conformément au souhait exprimé par l'Union européenne et les Etats-Unis.
"Le président a demandé aujourd'hui d'établir des contacts immédiats avec les forces politiques pour entamer un dialogue sur tous les problèmes soulevés qui implique également des réformes constitutionnelles et législatives de façon à déboucher sur des projets d'amendements clairs et sur un calendrier précis en vue de leur mise en oeuvre", a-t-il expliqué lors d'une allocution télévisée.
Dans un communiqué diffusé un peu plus tôt, l'armée, pilier du long règne de Moubarak, précise qu'elle est présente dans les rues pour le bien et la sécurité des Egyptiens. "Les forces armées n'auront par recours à la force contre notre grand peuple", promet l'état-major.
"Vos forces armées, qui ont conscience de la légitimité de vos demandes et sont prêtes à assumer leur responsabilité de protection de la nation et des citoyens, affirment que la liberté d'expression par des moyens pacifiques est garantie à tous", poursuivent les militaires.
Hosni Moubarak, confronté à un mouvement qui ne cesse de prendre de l'ampleur, a poursuivi lundi le remaniement de son gouvernement pour tenter, sans succès, d'apaiser la colère de la rue égyptienne qui réclame son départ.
Un appel à la grève générale a été lancé ce lundi et ses opposants ont annoncé une "marche d'un million" de personnes mardi pour pousser vers la sortie le chef de l'Etat au pouvoir depuis près de trente ans.
"Ce que nous voulons est clair: nous voulons que Moubarak et sa clique dégagent. Nous n'accepterons rien d'autre", lançait un manifestant, Omar el Demerdach, chercheur de 24 ans.
L’opposition s’organise
Le soulèvement, qui entrera mardi dans sa deuxième semaine, a éclaté en protestation contre la répression, la corruption et la pauvreté. Environ 140 personnes sont mortes dans les affrontements avec les forces de sécurité.
Hosni Moubarak a tenté plusieurs fois de désamorcer la crise en annonçant des réformes économiques et en remaniant sa garde rapprochée, sans convaincre.
Le nouveau cabinet comprend trois anciens officiers supérieurs, dont le Premier ministre et ancien commandant de l'armée de l'air Ahmed Chafik, nommé samedi en même temps que le chef des renseignements Omar Souleimane était désigné au poste de vice-président, que le raïs avait laissé vacant depuis son accession au pouvoir, en octobre 1981.
Les autorités ont annoncé en outre lundi la promotion du ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, qui récupère en outre un poste de vice-Premier ministre. Le ministre de l'Intérieur Habid el Adli, détesté par de nombreux Egyptiens en raison de la répression exercée par la police, a été limogé et remplacé par le général Mahmoud Wagdi, ancien chef des services de police judiciaire du Caire et de l'administration pénitentiaire.
Zaineb el Assam, expert du Proche-Orient au sein du cabinet londonien Exclusive Analysis, estime que ce remaniement est trop limité et arrive trop tard. "Je pense que Moubarak sera parti bien avant 30 jours", dit-il. "Certaines personnalités de ce gouvernement sont profondément impopulaires. Le général Wagdi par exemple. Cela va encore renforcer les manifestations. L'armée va considérer Moubarak comme un boulet."
Bien que le mouvement anti-Moubarak ait débuté sans dirigeant clair ni formation structurée, l'opposition s'efforce maintenant de s'organiser.
Les Frères musulmans, mouvement islamiste très soutenu par les plus modestes, ont annoncé lundi qu'ils s'employaient à former un large comité politique avec Mohamed ElBaradeï, afin de nouer un dialogue avec l'armée.
L'ancien directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), rentré la semaine dernière d'Autriche, a appelé au départ de Moubarak et s'est proposé de diriger la transition, même si certains Egyptiens restent réservés à son propos, en raison notamment de ses longues absences à l'étranger.
Transition ordonnée
Les dirigeants occidentaux s'emploient à trouver une réponse adaptée à cette crise qui menace de bouleverser la donne au Proche-Orient. Sans appeler directement au départ de Moubarak, ils prônent le respect des libertés fondamentales tout en craignant l'arrivée au pouvoir d'extrémistes.
Washington, dont l'Egypte est le principal allié dans le monde arabe, a accentué la pression en appelant dimanche à une "transition en bon ordre" et a dépêché un émissaire sur place - Frank Wisner, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Egypte, qui "a la faculté" de parler aux autorités, précise le département d'Etat.
Cet appel à une "transition ordonnée" a été relayé lundi par l'Union européenne. "Nous ne voulons certainement pas voir l'Egypte tomber aux mains d'extrémistes", a déclaré le secrétaire au Foreign Office William Hague. "C'est pourquoi nous voulons une transition ordonnée vers des élections libres et équitables."
Le message américain a été perçu en Israël comme un lâchage en règle d'un allié de trente ans. L'Etat juif craint les répercussions de la crise sur ses relations avec l'un des seuls Etats arabes à avoir fait la paix avec Israël.
Plusieurs gouvernements ont commencé à organiser le départ d'Egypte de leurs ressortissants en raison de l'incertitude de la situation. - Reuters