Les cadavres de plus de 60 personnes tuées dans des violences ces derniers jours ont été retrouvés mardi et mercredi à Abidjan dans le quartier de Yopougon, où des combats ont opposé miliciens pro-Gbagbo et forces du président Ouattara, a-t-on appris auprès de la Croix-Rouge ivoirienne.
Ce quartier de Yopougon, dans l'ouest d'Abidjan, dernier bastion des miliciens fidèles au président déchu Laurent Gbagbo, se trouve désormais entièrement sous le contrôle des forces du nouveau chef de l'Etat Alassane Ouattara, ont annoncé mercredi soir les autorités ivoiriennes.
"Nous avons pu pénétrer hier (mardi) pour la première fois dans le quartier de Yopougon. Nous avons enlevé les corps de quarante personnes en deux heures", a déclaré à l'AFP Franck Kodjo, responsable de l'équipe d'enlèvement des corps de la Croix-Rouge ivoirienne pour Yopougon.
"Certains de ces corps étaient en putréfaction, ils étaient décédés depuis plusieurs jours", a-t-il précisé.
Mercredi, des journalistes de l'AFP qui ont accompagné l'équipe de la Croix-Rouge ont constaté que 20 corps avaient été récupérés à la mi-journée. Certains étaient réduits à l'état de squelettes après avoir été calcinés, d'autres corps n'avaient visiblement été tués que depuis quelques jours.
Guidés par des habitants du quartier, l'odeur insoutenable ou les mouches, une équipe de la Croix-Rouge ivoirienne parcourt le quartier de Yopougon à Abidjan, dernier bastion des miliciens pro-Gbagbo, ramassant des dizaines de cadavres victimes des violences des derniers jours.
Masque sur le visage, gants et bottes en caoutchouc, un membre de la Croix-Rouge en blouse bleue retourne le corps d'un homme à demi-nu, portant plusieurs impacts de balles, à la poitrine, à l'aisselle et à la jambe. A quelques mètres, cinq douilles de fusil d'assaut traînent par terre.
"Vous avez retrouvé des papiers ?", interroge Alexis Ouattara Koffi, qui note soigneusement toutes les informations permettant d'identifier les corps. "Encore un inconnu", répond son coéquipier.
C'est seulement depuis deux jours que la Croix-Rouge a pu se déplacer dans Yopougon, immense quartier populaire d'un million d'habitants dans l'ouest d'Abidjan. Mardi, quarante corps ont été récupérés et emmenés à la morgue.
Des combats se poursuivaient encore mercredi autour de la base navale, une zone au sud-est, près de la lagune, mais l'essentiel de Yopougon est progressivement passé ces derniers jours sous le contrôle des Forces républicaines (FRCI) du président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis l'arrestation le 11 avril de l'ex-chef d'Etat Laurent Gbagbo.
Non sans difficultés, comme en témoigne un véhicule des FRCI criblé de balles sur le bas-côté, près du commissariat du 16e district.
Place du "Parlement", le rendez-vous des jeunes "patriotes", ces partisans ultras de Laurent Gbagbo, l'équipe de la Croix-Rouge recouvre de sacs poubelles noirs deux corps criblés de balles, avant de les hisser dans un fourgon gris empreint de l'odeur de la mort.
Alexis Koffi récupère entre les doigts du mort une carte d'identité scolaire: la victime s'appelait Fabrice et avait 18 ans. "Un milicien qui n'a pas voulu déposer les armes et est tombé dans une embuscade des FRCI", selon un habitant, qui ne cache pas son soulagement de voir l'endroit "libéré" par les soldats de Ouattara.
"Un lycéen du quartier qui n'était pas armé et s'était réfugié dans un maquis (bar-restaurant) pour échapper aux tirs et que les FRCI ont fait sortir et (on) rafalé", assure au contraire un jeune qui préfère rester anonyme, de peur de représailles.
Mercredi à la mi-journée, 20 nouveaux corps ont été découverts, criblés de balles, en putréfaction avancée ou calcinés, et réduits à l'état de squelettes.
Le quartier est méconnaissable: les échoppes qui n'ont pas été pillées et brûlées gardent leur rideau de fer baissé, les ordures ne sont plus ramassées depuis longtemps. Yopougon n'a plus rien à voir avec Abidjan, où la vie est redevenue normale et qui renoue même avec les embouteillages matinaux.
Mais les violences ne datent pas toutes des derniers jours. Un groupe de jeunes entoure les agents de la Croix-Rouge et les conduit vers des monticules de terre, surmontés d'une croix ou de feuilles de palmier.
"Il y a plus de 30 personnes enterrées ici. Le lendemain de l'arrestation de Gbagbo, les miliciens sont venus ici et s'en sont pris à tous ceux qui ont voté pour Alassane (Ouattara). Ils ont +gâté+ (détruit) le quartier, brûlé la mosquée", affirme Moussa Bakayoko.
La loi ne permet pas à l'équipe de ramassage de déterrer les corps, lui explique Alexis Koffi, qui promet d'en référer aux autorités, avant de retourner s'occuper des corps de deux autres personnes abattues par balles. - AFP