«L’administration guinéenne aujourd’hui est remplie d’agents du parti au pouvoir», a dit Sidya Touré. En prélude de la visite du Président de la République de la Côte d’Ivoire en Guinée, le leader de l’UFR était l’invité d’une radio libre, dans l’émission «les grandes gueules» ce mercredi, 30 novembre 2011.
Sans chercher à comprendre l’opportunité de cette invitation de Sidya Touré, AfricaLog vous propose de larges extraits de cette interview à bâtons rompus de l’ancien Premier ministre guinéen et ancien Directeur de cabinet d’Alassane Dramane Ouattara, alors Premier ministre de la Côte d’Ivoire, sous la présidence de Félix Houphouët Boigny. Pour le leader de l’Union des Forces Républicaines (UFR): «L’essentiel, c’est de faire en sorte que les investisseurs aient confiance en votre pays».
- Regard de Sidya Touré sur l’économie guinéenne
Sidya Touré: L’économie d’un pays, notamment en voie de développement se caractérise par quelque chose d’essentiel, comme l’a dit celui qui a été le fondateur de la macro-économie John M. c’est la création de richesses. La création de richesses qui se traduit par le taux de croissance. Et je crois que si je m’en tiens rien qu’à cela, nous sommes dans une situation assez difficile.
Notre croissance est très faible aujourd’hui. Je crois que c’est de l’ordre de 3%. Quand on pense que nous arrivons d’une situation dramatique où nous avons perdu en l’espace de 10-15 ans, 10 ans plutôt, à peu près 40% de notre PIB. Je crois que 3%, ça ne permet pas d’aller de l’avant.
Donc, je peux dire aujourd’hui, que notre économie est extrêmement en difficulté. Et cette première année ne nous a pas donné la possibilité de progresser dans ce sens, ni dans les réformes structurelles – peut-être dans l’assainissement des finances publiques, mais ça, ce n’est pas de la croissance - je crois qu’il y a beaucoup de choses à faire ; et l’économie est réellement en panne en Guinée en ce moment.
- Du passage de Sidya Touré à la primature
Peut-être le contexte doit être un peu différent. Mais l’une des choses les plus essentielles, vous savez dans un pays, il n’y a de richesses que d’hommes. Il faut avoir des collaborateurs pour travailler. Si vous avez envie de faire quelque chose notamment au niveau de l’Etat, vous devez avoir un gouvernement qui est structuré pour cela ; vous devez avoir une administration performante.
Le constat aujourd’hui, c’est qu’au lieu de s’orienter vers la recherche de la qualification des agents de l’Etat, on est en train de faire en sorte que ce soit ceux qui ont fait allégeance à un parti politique qui se retrouvent dans les leviers de commande. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas attendre d’eux de faire autre chose que de l’allégeance.
- De sa perception de l’allégeance
L’allégeance c’est quoi, c’est que dans une société, l’objectif c’est d’avoir une classe moyenne. Une classe moyenne qui crée de la richesse, qui travaille, qui prend de l’initiative, qui crée de l’emploi, qui crée des sociétés comme vous avez créé cette radio que vous êtes en train de voir grandir. Mais si vous, vous avez besoin de collaborateurs ici, vous avez été chercher les Bantanko [ndlr : un des animateurs de l’émission] et tout ça, ce n’est pas parce que c’étaient vos parents ou bien c’étaient vos amis ! Vous avez été prendre des gens qui sont capables de vous aider à atteindre les objectifs que vous vous êtes fixé. Si vous abandonnez cela et puis vous dites "bon, moi je m’appelle Guirassy, je vais aller chercher tous les Guirassy de Boké", vous êtes sûrs que votre radio ne fonctionnera.
L’administration guinéenne aujourd’hui est remplie d’agents du parti au pouvoir [ndlr : le RPG] qui ne sont pas qualifiés pour faire le travail.
- Cela peut-il être interdit ?
C’est interdit dans la mesure où ça ne donne aucun résultat. Parce que vous pouvez prendre des postes que vous pouvez donner à vos partisans, mais quand il s’agit de spécialisation, de qualification pour créer ce dont on a besoin, vous avez besoin d’un pilote pour piloter votre avion. Vous n’envoyez pas un militant de l’UFR pour le piloter parce qu’il est militant de l’UFR. C’est aussi simple que ça.
- Que pense Sidya du discours de la récente mission du FMI en Guinée?
Vous avez beaucoup d’institutions. Chacune a son rôle. Le Fonds Monétaire International [FMI] est chargé de vérifier la situation des finances publiques d’un pays. La Banque Mondiale s’occupe des problèmes de développement économique. Mais le gouvernement guinéen est responsable dans l’ensemble, à savoir les secteurs sociaux et tout ce qui s’en suit pour que, tous ceux-ci mis en corrélation, on ait l’impression que notre société avance et que la croissance surtout, est maintenue ou qu’elle est soutenue et qu’on fait en sorte qu’on aille de l’avant.
Le Fonds vous dit "vous m’avez présenté un tableau des opérations financières de l’Etat, je me rends compte maintenant que vous dépensez moins d’argent et que vous êtes en train de payer votre dette ; que vous vous battez sur l’inflation" ; d’ailleurs je ne vois pas comment parce que l’inflation actuellement en Guinée est de l’ordre de 23 à 25 %. Donc, c’est un satisfecit par rapport à la période de transition. Mais la période de transition, c’était une catastrophe. Si vous voulez, vous sortez de -20, vous êtes à -10, vous avez progressé !
- En tant qu’ancien collaborateur d’Alassane Dramane Ouattara, quelle a été la clé de la réussite de l’équipe en Côte d’Ivoire?
Les Problèmes sont pratiquement les mêmes dans les Etats. En 1990, la Côte d’Ivoire a connu une situation économique extrêmement difficile. C’est un pays qui était habitué à une croissance à deux chiffres. La crise est arrivée et les gens se sont retrouvés dans la rue. Il y a eu de l’assèchement des liquidités au niveau des banques. Les étudiants étaient mécontents, l’armée était mécontente, on n’arrivait même pas à payer les salaires parce qu’il n’y avait plus de recette.
Le Président Houphouët qui, dans la Constitution à l’époque n’avait pas de poste de Premier ministre prévu, a fait venir le gouverneur de la Banque Centrale [ndlr : des Etats de l’Afrique de l’Ouest, BCEAO] qui, en l’occurrence s’appelait Ouattara [ndlr : Alassane] qui est venu avec le directeur national de la BCEAO qui s’appelait Charles Konan Banny, Ouattara est venu avec son assistant Pascal Koupaki ; et le seul fonctionnaire qui a fait partie de ce groupe de quatre, c’était un certain Touré Sidya qui s’occupait à l’époque de tout ce qui était restructuration de la dette publique du pays.
Nous nous sommes assis le 18 avril 1990 et puis on s’est dit "qu’est-ce qu’on fait ?" Et on a ressorti les tableaux, on s’est aperçu qu’au niveau des recettes, ce n’était pas bon ; au niveau de la restructuration du secteur bancaire, ce n’était pas bon ; l’agriculture n’était plus performante ; nous nous sommes aperçu que même l’enseignement était en panne, les secteurs sociaux et tout ça, parce qu’il n’avait pas de financement. Nous nous sommes également aperçus de quelque chose que je signale qui est important, il n’y avait plus de compétitivité dans l’économie ivoirienne. Ça veut dire quoi ? Les produits que vous produisiez à l’époque, ne pouvaient pas être vendus parce qu’il y avait la concurrence d’autres produits qui étaient moins chers. Nous nous sommes aperçus, nous avons créé un certain nombre de structures pour abréger ces questions-là. Nous avons élaboré un programme et on a cherché à choisir les gens avec lesquels on pouvait travailler.
- Du copinage dans l’administration guinéenne?
C’est pire que ça. Je vous dis, c’est de l’allégeance. On cherche les militants du partis, on se dit "nous allons le mettre ici pour qu’il soit ingénieur chargé de la production de ciment" ; mais il se trouve que le type est un juriste. Mais, comme il est militant du RPG, on dit "il est bon". Ça ne va pas, vous ne produirez rien. Aujourd’hui, nous sommes dans cette situation. Et je dis, tant que cela continue, je le dis, je le répète, je le confirme, il n’y a pas de résultat avec cela.
- Des secteurs phares de l’économie existent-ils?
Nous avons la chance d’avoir beaucoup de secteurs. On a par exemple les mines. Bon, mais c’est un secteur qui ne va pas produire beaucoup d’emplois pour nous ou très rapidement. Et ça, c’est un besoin essentiel de l’économie guinéenne. Ça va contribuer peut-être un peu à la croissance, mais il faut comprendre que ça prendra du temps parce que ce sont de gros projets. Il faut également s’assurer que nous devons avoir certaines infrastructures pour qu’on puisse bénéficier de ce secteur-là. Et j’en profite pour dire que quand on a des problèmes de ce genre, l’essentiel n’est pas de faire un coup avec une société en disant "on a pris 500 millions, on a pris 700 millions", non.
L’essentiel, c’est de faire en sorte que les investisseurs aient confiance en votre pays et qu’ils investissent chez vous. Ça, ça manque totalement. Et si je prenais un secteur ici aujourd’hui, compte-tenu de la situation de notre pays où les gens sont pratiquement affamés, où il n’y a pas de travail, je l’ai dit, c’est inscrit dans le programme de l’Union des Forces Républicaines, c’est l’agriculture qui peut nous sortir de là.
- Son appréciation de la façon dont la campagne agricole est menée
Ecoutez, c’est très simple là, encore une fois. Il ne s’agit pas d’aller à la radio, à la télévision… J’ai vu des Ministres qui n’avaient jamais été dans un champ. Aller s’arrêter avec de l’engrais dans la main et puis le jeter, non. Non, il faut que l’on soit très sérieux. L’agriculture, c’est quelque chose qui concerne 80% des populations de notre pays.
On ne fait plus de l’agriculture en 2011 comme on la faisait en 1942. Vous avez besoin d’un certain nombre de choses notamment, l’aménagement. Vous avez besoin de ça. La sélection des semences ; vous avez besoin de ça. Les engrais, certes. Mais, quel engrais pour quel plant ? Les engrais que vous mettez sur le palmier, ce n’est pas ce que vous mettez sur le riz. Donc, si vous allez commandez 20 mille tonnes d’engrais pour je-ne-sais-quoi, écoutez, ce n’est forcément utile pour tout un chacun. Donc, ceci se prépare. Ça n’a pas été préparé. Donc, ça ne donnera rien. Les paysans ont besoin d’une assistance c’est-à-dire, eux-mêmes, ont besoin de formateurs. Des gens qui sont à côté d’eux pour dire ce qu’il faut faire. La plupart de nos gens qui sont dans l’agriculture ne sont pas lettrés, ils doivent savoir quand faut-il utiliser les engrais, comment les utiliser, avec quels plants il faut les utiliser ? Il faut des gens qui ont été formés pour faire ça. Ces gens formés, je ne les ai pas vus. Donc, amener deux tracteurs dans un coin et puis les donner au préfet et tourner le dos et partir à la maison en disant "demain, nous allons récolter", il ne faut pas rêver!
- Le problème de la Guinée serait un problème d’hommes
Les hommes, en grande partie, sont en Guinée. Simplement, en Guinée, on ne prend jamais ceux qu’il faut pour faire le travail dont ils sont capables. On prend les cousins, on prend les militants, on prend les frères et, justement en faisant cela, vous ne contribuez pas à créer la richesse dont j’ai parlé. Si vous voulez aujourd’hui, le monde est un monde en compétition. Cette compétition se manifeste par la recherche des meilleurs agents pour faire ce qu’il y a à faire. On ne peut pas éviter cela. On est en train de répéter les erreurs que nous avons commises ici dans les années 60 en choisissant un système qui était basée sur la socialisation, la nationalisation des moyens de production et tout cela. La Guinée n’a pas été la seule à faire cette erreur-là. Mais tous ceux qui l’ont fait, ont tourné le dos à cela ; y compris la Chine, la Russie et tout ça.
- Veut-il parler du communisme?
Mais, oui. Aujourd’hui on a l’impression que nous, on revient à cela puisqu’on est en train de vendre du riz par les magasins d’Etat, on est en train de distribuer le poisson, on est en train de nationaliser les entreprises …
- Quelle stratégie devrait-on adopter?
La stratégie, elle est simple. Je crois que le Président, le gouvernement, tous doivent se ressaisir pour essayer de savoir exactement ce qu’on veut.
Est-ce qu’on veut un taux de croissance à deux chiffres, qui pourrait sortir ce pays de la situation dans laquelle il est ? Ou bien, est-ce que nous voulons satisfaire tous nos militants et puis à continuer à taper des mains et puis à se regarder à rouler dans les voitures de l’administration ; mais pendant ce temps, la création de richesse n’est pas là ? Donc, si celle-là n’est pas là et que donc la population ne voit pas son niveau de vie avancer, tout cet exercice n’aura servi à rien du tout.
- Comment peut-on résoudre le problème de courant dans l’immédiat? Y a-t-il une recette Sidya?
Nous revenons aux mêmes choses. Je viens de voir les documents qui m’ont été communiqués sur la production d’énergie électrique en Guinée. La société qui est là, l’EDG [ndlr : l’Electricité de Guinée], tous les cadres qui étaient chargés des départements techniques, ont été remplacés. Il y a eu une centaine de décrets et de je-ne-sais-quoi de décisions pour arrêter, pour changer tous les cadres. On les a changés par des militants. Si c’est ça, nous pouvons attendre encore un peu.
La réalité est que vous êtes là en train de faire de la radio, je vous regarde, moi je vois ce studio ; c’est quelque chose qui ne m’est pas familier pourtant moi aussi j’ai fait l’université ; mais on ne va pas me dire de remplacer Bantanko ce matin.
Il faut que ça soit très clair. Tout est basé sur le problème des ressources humaines. Si vous n’avez pas les gens qu’il faut et que vous n’avez pas un programme clairement défini, ce qui nous manque d’ailleurs et que moi je n’ai jamais vu dans le gouvernement actuel, et qui doit être respecté et que vous recherchiez les gens pour le faire avec beaucoup de bonne foi et beaucoup d’humilité, s’il le faut, vous n’y arriverez pas.
L’administration aujourd’hui ne consiste pas simplement à remplir les bureaux par les gens qui sont liés à nous, elle consiste à régler des problèmes.
Nous avons de l’argent. La fois dernière j’écoutais le Délégué de l’Union Européenne [ndlr : Jean Philippe Van Damme], il a dit "d’accord, nous sommes en train de travailler sur cela. Admettons que vous finissiez les élections, nous avons 250 millions d’euros à l’Union Européenne".
Mais, il y a ce que l’on appelle la capacité d’absorption. La capacité d’absorption, c’est la capacité de votre administration à consommer les crédits qui vous ont été donnés. Mais vous ne pouvez pas les consommer si vous n’êtes pas capables d’élaborer des projets, de préparer les appels d’offres, de pouvoir lancer les appels d’offres, de trouver les entreprises pour les exécuter. Vous arrivez à la fin du programme indicatif national sur lequel on vous a donné l’argent. Et le reliquat de l’argent donné à la Guinée va se retrouver au Mali, en côte d’Ivoire ou au Niger.
- L’opposition aurait-elle sa part de responsabilité dans ce que vit la Guinée, aujourd’hui?
Non, non, non, il ne faut pas dire ça. Nous sommes dans une démocratie. Il y a quelqu’un qui gère le pays. Il y a un groupe qui semble avoir gagné l’élection. Nous avons des élections législatives qu’on devrait tenir. Si on les tient, ses propositions, ses débats doivent avoir lieu à l’Assemblée nationale. Nous n’en avons pas.
- En l’état, comment devrait se faire l’apport de l’opposition?
Force est d’avoir des élections, nous allons faire des propositions à l’Assemblée [nationale]. A l’Assemblée, vous avez différentes Commissions auxquelles participent les partis politiques d’opposition et vous avez des débats essentiels notamment sur le budget de l’Etat qui définit la politique annuelle économique et sociale du gouvernement qui est discutée. C’est en ce moment que des propositions sont faites. C’est pour cela, qu’il est urgent de sortir de l’Etat d’exception dans lequel nous nous trouvons en ce moment.
- De la main tendue du Président de la République
Non, je crois que, honnêtement, je ne suis pas du tout d’accord avec cela. Je suis allé à cette rencontre [ndlr : à Sèkhutureya, le 15 novembre] avec beaucoup de bonne foi. Cela fait 15 jours. Je dois avouer que nous attendons les résultats.
Nous avons eu le compte-rendu hier [ndlr : mardi, 29 novembre] de la rencontre que le Président [ndlr : Alpha Condé] a eue avec le Comité de Médiation qui a été mis en place et qui est présidé par Monseigneur Gomez [ndlr : Guillaume Albert David]. Nous n’avons pas avancé d’un pas sur ces questions.
Il se passe que, pendant que nous attendons que le gouvernement donne sa bonne foi sur le fait que l’on devait libérer les gens qui avaient été arrêtés et que la CENI [ndlr : Commission Electorale National Indépendante] arrête ses opérations qui se font en dehors de nous. Nous nous rendons compte, que la CENI continue de travailler.
Les gens vous disent "oui, mais, bon le Président a dit, on peut arrêter l’aspect technique mais ce qui est administratif, c’est-à-dire la formation, doit continuer". Non, la formation concerne les CARLE, Commissions Administratives de Révision des Listes Electorales. Ces CARLE ont été constituées sans l’opposition. Donc, on ne peut pas dire qu’il y a quelque chose d’administratif !
Il y a eu également le problème des démembrements de la CENI. Nous parlons de la CENI. Elle est à Conakry. Ce sont 20% de l’électorat que vous avez à Conakry. Les 80% se trouvent à l’intérieur du pays. Et ce sont les démembrements de la CENI qui gèrent le processus électoral. Les démembrements également ont été révisés sans révisés l’opposition.
Propos recueillis et transcrits par AfricaLog.com