Réunis à Dakar dans le cadre des assemblées annuelles du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), les participants d’un groupe de travail sur les infrastructures publique privée réunis par le Consortium pour les Infrastructures en Afrique (ICA) ont discuté de la manière de maintenir les flux d'investissements privés en dépit de la crise financière. Ils ont noté les difficultés du financement des infrastructures dans les conditions actuelles du marché, mais ont souligné que le secteur continue d'offrir des rendements attractifs. AfricaLog s’est entretenu avec M. Alex Rugamba, coordonateur du Consortium pour les infrastructures an Afrique après la conclusion de la reunion de Dakar.
AfricaLog: Quelles sont les méthodes à court et long termes que les gouvernements Africains doivent mettre en place pour remédier à la crise mondiale?
Alex Rugamba:Le Consortium pour les Infrastructures en Afrique (ICA) concentre en ce moment son attention sur l’impact de la crise financière et économique mondiale sur les investissements dans les infrastructures en Afrique. Le manque d’infrastructure en Afrique est en effet une contrainte qui pèse lourdement sur les efforts du continent pour réduire la pauvreté et pour accélérer la croissance économique.
Dans le contexte économique actuel il est vital que les pays continuent d’investir massivement dans de nouvelles infrastructures et dans la maintenance de celles déjà en place et qu’ils mettent en place les réformes qui permettront de rendre plus attractifs et plus efficaces les investissements dans les secteurs de l’énergie, de l’eau et des transports.
A court et moyen termes, la préparation de programmes de projets de qualité et bancables sur la base des priorités décidées par les instances africaines est essentielle. Parallèlement il s’agira de mobiliser de ressources locales, nationales et internationales additionnelles pour mettre en œuvre ces programmes.
AfricaLog: Le continent africain est un environnent à risque à cause des instabilités politiques selon les observateurs. Pourquoi en ses temps difficiles les investisseurs devraient prendre plus de risque?
Alex Rugamba: Il y a toujours des risques où que vous investissiez, quels que soient les pays ou secteurs. Tous les investisseurs sérieux prennent en compte la dimension « risques » dans leurs décisions d’investissement.
Ce qui est intéressant est que, bien que la crise financière ait asséché une partie des liquidités, des financements demeurent disponibles pour des projets bancables bien structurés. La Banque africaine de développement et le groupe Banque mondiale ont mis en place des structures pour palier les défauts des marchés.
Mais il faut mettre en face de projets faisables et financièrement viables une solide structure institutionnelle et réglementaire afin d’attirer l’investissement dans les infrastructures en Afrique.
AfricaLog: Un des graves problèmes en Afrique c'est le manque de transparence et la corruption. Comment le consortium adresse ces problèmes?
Alex Rugamba: Comme je l’ai déjà dit, tous les investisseurs potentiels prennent en compte la dimension « risques », qui inclut les aspects de corruption, de transparence et de gouvernance.
L’ICA offre une plateforme unique d’échange entre les membres du consortium (les pays du G8, leurs agences bilatérales de développement respectives et les institutions financières multilatérales telles que la Banque africaine de développement, la Banque Mondiale, la Commission Européenne, la Banque européenne d’investissement et la Banque de développement d’Afrique australe) et les parties prenantes africaines (Union africaine, communautés économiques régionales, gouvernements).
Dans nos relations avec les responsables africains, et lors de nos réunions – telles que celle que nous venons d’organiser à Dakar sur l’énergie – nous mettons l’accent sur le besoin de cadres institutionnels, légaux et réglementaires comme base à l’investissement par le secteur privé.
AfricaLog: Votre organisation a été lancée en 2008. A ce jour qu'est ce que vous avez fait de concret en Afrique surtout dans le secteur de l'énergie?
Alex Rugamba: L’ICA a été lancé lors du sommet du G8 de Gleneagles en 2005. La mission du Consortium est d’aider à améliorer les conditions de vie et le bien-être des populations africaines en appuyant et en assurant la promotion des investissements, tant de sources publiques que privées, dans le développement des infrastructures du continent.
L’ICA ne finance pas de projets mais cherche à catalyser – c'est-à -dire à la fois à faciliter, améliorer, accélérer et précipiter – le développement des infrastructures de l’Afrique. Et par infrastructures nous entendons les secteurs des transports (routes, ports, aéroports…), de l’énergie (électricité, gaz), de l’eau et des technologies de l’information et de la communication.
Les membres de l’ICA concentrent la majeure partie de l’aide publique au développement destinée aux infrastructures en Afrique. En 2007 ils se sont engagés à financer pour 3.9 milliards de dollars de projets dans le secteur de l’énergie en Afrique, en augmentation de 62 % par rapport aux 2.4 milliards de 2006.
L’ICA travaille également à la résolution des problèmes techniques et politiques qui font obstacle au développement des infrastructures, ainsi qu’à l’amélioration de la coordination des activités de ses membres, du secteur privé et d’autres sources majeures de financement des infrastructures telles que la Chine, l’Inde et les Fonds arabes et islamiques.
Notre réunion de la semaine dernière à Dakar sur le secteur de l’énergie illustre bien comment nous travaillons pour résoudre les défis techniques et politiques. Une des conclusions est un consensus pour aider les gouvernements africains à mieux appréhender les partenariats publics-privés, ou PPP, et les ressources nécessaires pour les mettre en œuvre, les négocier et les gérer. L’ICA est convenu d’établir un groupe de travail avec des maîtres d’ouvrage et des juristes pour rédiger un modèle de protocole d’accord d’achat d’électricité (contrat fixant les termes d’achat d’électricité entre un producteur indépendant d’électricité et un état). Les participants sont tombés également d’accord d’examiner comment aider davantage les gouvernements africains à établir des agences dédiées aux PPP en charge de la passation des marchés, le financement et la gestion des aspects légaux des PPP.
AfricaLog: Pourquoi est ce que vous pensez que l'Afrique a besoin de l'aide alors qu'elle regorge de ressources humaines et naturelles?
Alex Rugamba: L’Afrique a sans aucun doute les ressources humaines et naturelles et une abondance de talent créateur et innovateur. Mais le continent souffre d’un manque structurel d’infrastructure, et si l’Afrique souhaite éradiquer la pauvreté et atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement, il est impératif que des progrès soient faits dans le secteur de l’énergie, de l’eau potable, de l’assainissement, des routes, des transports ferroviaires et urbains.
L’investissement dans les infrastructures ne se réduit pas à l’aide publique au développement. Il implique une participation des gouvernements et des entreprises africains, mais aussi des investissements directs étrangers. Et il implique également la réutilisation des économies réalisées par l’amélioration de la performance.
AfricaLog: Selon vous quel est le pays africain qui est exemplaire dans la gestion avec un environnement favorable pour des investissements?
Alex Rugamba: Un certain nombre de pays africains ont mis en œuvre des réformes majeures, créant un environnement propice à accueillir et encourager l’investissement. Par exemple le gouvernement du Kenya a libéralisé le secteur de l’énergie. Quatre producteurs indépendants d’électricité (PIE) sont opérationnels et contribuent à 14% de la capacité de production d’électricité du pays, et deux autres devraient entrer en phase opérationnelle à la fin de l’année. Ce qui élèvera la capacité de génération d’électricité des PIE à 30% de la capacité totale du Kenya.
Parmi les réformes engagées, le gouvernement kenyan a mis en place une réglementation PPP qui fournit une cadre légal et réglementaire pour la passation de PPP.
Des exemples analogues existent dans d’autres pays d’Afrique sub-saharienne, au Ghana et en Ouganda par exemple, sans oublier en Afrique du Sud.
Propos recueillis par André Brikop