Actuellement en séjour aux Etats-Unis, l’ancien directeur de la Société MOSMART Guinée SA M. Thierno Sadou Diallo se confie à AfricaLog. Au centre des entretiens, l’élection présidentielle du 27 juin 2010, la transition vers la démocratie et surtout son arrestation et incarcération par la junte militaire qui l’avait impliqué dans une affaire de drogue. En exclusivité.
AfricaLog.com: M. Diallo comment est l’atmosphère dans le pays à quelques semaines de l’élection présidentielle du 27 juin?
M. Sadou Diallo: Il faut reconnaitre que la population commence à regagner confiance depuis que le gouvernement de transition du premier ministre Jean Marie Doré a pris fonction. Les gens ont moins peur que par le passé et vivent dans un climat apaisé. Ce qui fait que la population est prête â participer avec gaieté de cœur à cette joute électorale. On assiste aujourd’hui à une véritable mobilisation de l’électorat. Il y a des cortèges bruyants qui sillonnent les rues de la capitale, de nombreux citoyens arborant les tee-shirts des principaux candidats, et des posters géants affichés à des points stratégiques. Même à travers ces éléments, on peut deviner les candidats qui sont effectivement lancés dans une campagne tout azimuts. C’est vous dire donc que les états-majors de ces candidats sont littéralement pris d’assaut par les militants qui tous espèrent que leur candidat sortira vainqueur des urnes. Et comme en Guinée, chacun essaie de se positionner dans l’éventualité d’une victoire d’un des principaux candidats. Il y en a même qui se sont découverts subitement une âme de politiciens.
Si l’élection était organisée aujourd’hui qui pensez-vous a les meilleures chances de gagner?
A mon avis, cette élection se joue entre trois personnalités bien connues: El hadj Cellou Dalein Diallo, le leader de l’UFDG, Alpha Condé leader du RPG et Sidya Touré de l’UFR. Les deux premiers sont beaucoup mieux préparés mais toutefois il ne faut pas exclure une surprise. Si l’élection est libre et transparente, sans fraudes, Cellou Dalein Diallo a les meilleures chances de l’emporter. Je ne vois pas comment quelqu’un pourrait le battre. En tout cas, il reste le grand favori. C’est le lieu aussi de reconnaitre la grande percée de certains partis nouvellement formés tels que la NGR d’Abe Sylla, le PEDN de Lansana Kouyaté et le FUDEC de Lounseny Fall.
Pensez-vous qu’il y a des possibilités que le scrutin soit détourné en faveur d’un candidat particulier?
Non je ne le pense pas! Personne en Guinée ne s’amuserait à endosser une telle responsabilité car la communauté internationale veille au grain. Et je pense que le Général Konaté ne l’accepterait pas du tout. Ce que vous lisez dans la presse concernant cet aspect des choses n’est que pure intoxication de la part de certains groupes qui redoutent le verdict des urnes et qui voudraient ainsi diminuer l’engouement qui déferle sur certains candidats.
Avez-vous lu le texte de la constitution qui vient d’être promulguée?
Je l’ai rapidement survolée.
Qu’en pensez-vous et que dire de la tendance qui favorisait le référendum pour son adoption?
Je dois dire que cette constitution a été assez bien ficelée pour nous permettre d’aller aux élections le 27 Juin 2010. Après les élections législatives et une fois que la nouvelle Assemblée Nationale sera mise en place, elle pourra toujours être amendée et soumise au référendum. Il n’y a pas de mal à cela. La constitution telle qu’elle est n’est pas parfaite et il y a bien des points à réviser.
Par exemple je trouve que le fait de laisser les futurs premiers ministres proposer à chaque fois leur structure gouvernementale est source d’instabilité institutionnelle. Il faut constitutionnellement fixer le nombre de départements ministériels et leur allouer des budgets opérationnels. Ce travail peut se faire après un débat houleux à l’Assemblée Nationale pour en déterminer tous les contours.
Il faut que les lois organiques fixent les critères d’éligibilité aux postes ministériels car on a fini par banaliser cette fonction en Guinée. Et ceci est valable aussi pour les grands postes de l’Etat pour éviter qu’ils soient occupés par des gens sans formation et sans diplômes. Il faut mettre en place des gardes -fous contre les assauts de l’exécutif sur les autres institutions républicaines et adopter une loi contre les successions dynastiques qu’on observe un peu partout en Afrique. Il y a bien d’autres choses qu’il faudra peut-être revoir et ce travail incombera à la nouvelle Assemblée Nationale qui sortira des urnes à l’issue des élections législatives prochaines.
Quelle est votre opinion sur la transition que mène le Général Sékouba Konaté?
J’ai un grand respect et une profonde admiration pour le Général Konaté. A n’en pas douter, il est entrain de mettre de l’ordre au pays. Jusqu’à présent, il a réussi à redresser la barre et mener une transition apaisée. L’engagement qu’il a pris de ne pas se présenter aux élections, ainsi que tous les membres du gouvernement et du CNDD, est remarquable et cela est à saluer par l’ensemble de la classe politique guinéenne.
La Guinée ne peut pas avoir une élection libre et transparente sans un arbitre impartial et sûr. Le Général Konaté a accepté de jouer ce rôle et c’est tout à son honneur. J’ai beaucoup apprécié sa force de caractère en tenant tête à tous ceux qui voulaient que l’élection du 27 juin soit encore une fois reportée à une date ultérieure en prétextant toutes sortes d’arguments. Il avait compris qu’il vaut mieux avoir une élection imparfaite maintenant qu’une élection reportée sine die. Il faut comprendre que le Peuple de Guinée souffre beaucoup, et toutes les activités économiques sont en suspens. Les Guinéens dans leur grande majorité ne peuvent encore endurer une autre période de transition. Il ne faut pas oublier que même sous le Général Conté, nous étions déjà en transition à partir du moment où il a commencé à souffrir des premiers signes de la maladie. Il faut que les politiciens de tous bords (société civile y compris) finissent enfin par avoir pitié de ce peuple qui a tant souffert et qu’ils renoncent à l’enrichissement personnel et illicite. En tout cas, je peux vous dire que si la Guinée réussit à négocier ce tournant, les générations futures en resteront reconnaissantes au Général Konaté et à Hadja Rabiatou Sérah Diallo.
Quelle est votre affiliation politique?
Je suis membre du Bureau Exécutif de l’UFDG dirigé par El Hadj Cellou Dalein Diallo, un homme que je respecte et qui a prouvé ses capacités à gérer les affaires de l’Etat.
Pourquoi avez-vous quitté l’UPR, formation politique autrefois dirigée par le défunt Siradiou Diallo?
Vous savez, l’UPR est le résultat d’une fusion entre trois partis: le PRP de Siradiou Diallo, l’UNR de Ba Mamadou et le RNP (Rassemblement National pour le Progrès) de Aliou V. Au fil du temps, l’UPR a connu des crises de leadership qui se sont soldées par une rupture graduelle entre ses différentes composantes. Il y a eu d’abord la crise qui a entrainé le départ de Bah Mamadou et de quelques uns de ses fidèles vers l’UFDG alors dirigé par Bah Oury. De son vivant, Siradiou Diallo avait réussi à rassembler autour de sa personne tous ceux qui n’avaient pas voulu suivre Bah Mamadou dans sa nouvelle formation politique.
Après le décès de Siradiou Diallo, il y a eu un grand malaise au sein du parti à cause des nouvelles orientations imprimées à la direction du parti. C’est en ce moment que personnellement j’ai choisi de prendre mes distances et de suspendre ma participation aux activités du parti. Puis il y a eu la crise liée à l’entrée d’El hadj Cellou Dalein en politique. Plusieurs responsables et militants de l’UPR souhaitaient qu’une négociation sérieuse soit engagée avec l’ex-premier ministre pour qu’il vienne renforcer le parti en déclin.
Là encore, cette affaire fut très mal gérée par la direction du parti à tel point qu’on a frôlé l’implosion. Les dégâts étaient néanmoins visibles puisqu’une majorité des membres du Bureau Exécutif décidera de rejoindre l’UFDG et que la troisième composante qu’était l’ANR d’Aliou V optera aussi pour le divorce afin de rejoindre l’UFDG complètement revigoré par le président Cellou Dalein Diallo. Ma venue à l’UFDG a été facilitée par les liens très proches et très anciens que j’ai toujours entretenus avec son président depuis l’époque où il était cadre à la Banque Centrale de la République de Guinée. Vous devez convenir qu’il y a belle lurette de cela et aucun d’entre nous ne pouvait imaginer à l’époque que nous serions face à ce destin. Donc pour moi c’était plus facile que pour les autres et c’était un choix tout à fait naturel.
L’année dernière vous avez été arrêté et incarcéré pendant 7 mois par la junte. Que s’est – il passé?
Avant de répondre à votre question, permettez –moi d’abord de remercier tous ceux qui de près ou de loin ont œuvré pour ma libération. C’est le lieu pour moi de leur exprimer toute ma gratitude. Je profite aussi de l’occasion pour remercier tous ceux qui ont cru en moi et qui n’ont jamais douté de mon innocence.
Il est rassurant de savoir qu’il y a des gens qui savent que je ne peux en aucun cas être impliqué dans une affaire aussi rocambolesque que saugrenue. Ceci dit, j’ai été interpellé le 28 Juillet 2009 à mon domicile par les agents des services spéciaux chargés de la lutte contre la drogue et le grand banditisme, apparemment sur les ordres du Ministre Tiegboro Camara, qui lui aussi devait tenir ses ordres du Capitaine Moussa Dadis Camara, le chef de la Junte. Avec moi, l’actuel directeur de Mosmart et le directeur des travaux furent également interpellés. Nous fûmes conduits au Camp Alpha Yaya Diallo où on nous signifia le motif de notre arrestation: la découverte d’une grande quantité de Méthanol stockée dans l’enceinte de la base-vie appartenant à la Société Mosmart.
A notre première audition, l’idée fut avancée que cette quantité de Méthanol était destinée à la fabrication de la drogue. Bien entendu nous rejetâmes cette charge en expliquant que le Méthanol est l’un des produits entrant dans la fabrication du biodiésel. Et dans mon cas particulier, je leur expliquai que je n’étais plus employé par la société depuis plus de 10 mois.
Je ne comprenais donc pas les raisons de mon interpellation et de toutes les façons, je ne suis pas poursuivable pour les fautes réelles ou supposées d’une société privée à laquelle je n’appartiens plus. Les premières enquêtes confirmèrent notre version des faits mais le ministre Tiegboro choisira d’en ignorer les résultats pour décider de nous garder en détention préventive jusqu’à ce qu’un dossier bien monté soit préparé contre nous, donnant ainsi satisfaction à ses commanditaires. C’est ainsi que nous fûmes gardés en prison au camp Alpha Yaya Diallo avant d’être transférés au PM3 puis à la prison civile de Coronthie.
En tout, nous sommes restés en détention préventive pendant plus de 7 mois avant d’être libérés par faute de preuves. Non seulement il y a eu vice de forme au niveau de la procédure mais ceci a résulté à une violation grave de nos droits. Notre arrestation a été faite sans enquête préliminaire et sans convocation. Ils ne savaient même pas qui nous étions, et dans mon cas ils ne savaient même pas que j’étais l’ancien directeur général de la Société. Il a fallu que je le leur dise.
Quelle est la spécialité de la Société MOSMART?
MOSMART Guinée SA, est une société dûment constituée et enregistrée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier et qui est liée à l’Etat Guinéen par une convention en date du 17 Mars 2006. Elle est spécialisée dans la fabrication du biocarburant à base d’huile de palme et c’est dans ce cadre qu’elle a importé régulièrement et légalement divers produits chimiques comme le Méthanol, la soude caustique, l’acide sulfurique et l’ionol. Il a été prouvé qu’aucun de ces produits n’était un précurseur dans la fabrication de la drogue. Il a été démontré aussi que le chimiste retenu par le ministre Tiegboro avait confondu le Méthanol au Méthadone qui lui est un précurseur. Dans le courant de l’année 2008, la société MOSMART a fabriqué du bio-carburant qui a été soumis au Service national du contrôle de qualité qui a qualifié le produit de bonne qualité. La Société en a distribué aux autorités officielles du pays.
Quand et comment avez-vous été libérés?
C’est à la suite de l’enquête menée par le juge d’instruction et aussi bien du parquet, qu’il a été conclu que le dossier était vide et qu’aucune preuve n’avait été fournie qu’on nous a accordé une liberté provisoire le 16 Février 2010. Deux mois plus tard, le procureur de la république ayant décidé qu’il ne pouvait en aucune manière poursuivre ce cas, le non-lieu nous fut accordé. C’est ainsi que nous retrouvâmes notre liberté, après de multiples frustrations, aggravations et peines aussi bien de notre côté que celui de nos familles.
Quelle leçon tirez vous donc de cette arrestation apparemment arbitraire?
Tout semble concourir au fait que le chef de la junte voulait utiliser “l’Affaire MOSMART” comme un fonds de campagne. Il avait décidé contre vents et marées qu’il allait se porter candidat aux élections présidentielles et il tenait coûte que coûte à présenter un bilan même si cela résulterait d’un montage fait sur le dos des innocents. Et comme la Société MOSMART avait obtenu l’autorisation d’exploiter l’une des plantations du défunt président Conté et que le fils de ce dernier, El Hadj Moussa Conté était un employé de la Société (il détenait 5% des actions en récompense du rôle qu’il a joué dans la signature de la convention), le chef de la junte a vite fait d’assimiler cette société à une société écran. Il avait trouvé son vilain étant convaincu que l’ancien président était haï du public guinéen.
On a donc voulu faire croire aux gens que MOSMART appartient à la famille Conté alors que tel n’est pas le cas. C’est une société sud-africaine entièrement financée par des investisseurs anglais à travers une société appelée SFM dont le siège se trouve à Londres. C’est dans cette optique que le chef de la junte s’en prenait à tous ceux qui de près ou de loin avaient une relation avec le Général Conté, se convaincant du coup que toute la famille Conté était impliquée dans le trafic de drogue. Or le fils cadet de l’ancien président, Moussa Conté, est un innocent, très peu connu du grand public et qui a toujours gardé le profil bas. Sa seule ambition était d’impressionner son père et lui prouver qu’il pouvait faire autant que lui dans le domaine de l’agriculture.
Qu’est-ce qui pouvait arriver à la Guinée si Dadis réussissait à se maintenir au pouvoir?
Oh! Je n’ose pas trop y penser tellement cela paraissait terrifiant. Nous avons frôlé l’apocalypse! Au vu du massacre perpétré au Stade du 28 Septembre, il est clair que le capitaine Dadis était obsédé par le pouvoir et qu’il voulait le garder à tout prix. Il s’était mis dans la tête ou c’est lui ou c’est la guerre civile en Guinée. Les préparatifs allaient bon train et ses partisans avaient déjà lancé le mot d’ordre: “Dadis ou la mort”. Cela n’augurait rien de bon pour la Guinée et en définitive c’est Dieu qui nous a sauvé. Il faut souhaiter que le climat de paix et de concorde qui prévaut en ce moment puisse durer aussi longtemps que possible.
Propos recueillis par Alsény Ben Bangoura