Après la répression, le 28 septembre dernier, d’une manifestation pacifique de l’opposition, qui a fait au moins 150 morts à Conakry, la Guinée panse ses plaies. Sanctionné de toutes parts, le régime militaire en place depuis le coup d’État de fin décembre 2008 fait désormais face à une situation économique et sociale désastreuse.
Sous d’immenses manguiers, les yeux rivés sur le grand portail de son entreprise, un agent technique d'une trentaine d'années s'inquiète pour son avenir. Transco, situé à Lambanyi, en banlieue de Conakry, jusque-là fleuron des entreprises de transit, de manutention et de transport, est en effet sur le point de mettre la clé sous la porte. "Nous avons plus de 600 camions immobilisés faute de marchés, explique un responsable de la société qui compte au total près de 1 000 employés. Depuis un mois, nous avons licencié une trentaine de personnes pour motifs économiques et cela doit continuer." Cette entreprise n’est pas la seule frappée en Guinée. Selon les services des douanes, le volume des importations transitant par l’aéroport de Conakry a chuté de moitié depuis les événements du 28 septembre dernier. La répression sanglante d’une manifestation pacifique de l’opposition dans un stade avait, ce jour-là , fait plus de 150 morts selon l’ONU. Les gens protestaient contre la candidature à la présidentielle prévue en janvier 2010 de Moussa Dadis Camara au pouvoir depuis le coup d’État du 23 décembre 2008, qui, après avoir promis de confier le pouvoir à un président civil, envisage d’être candidat. Un pays au ralenti À Kaloum, centre d’affaires de Conakry, le responsable d’une agence de communication se lamente : "Nous nous battons en vain pour faire passer nos dernières factures chez nos clients." Un mois après les atrocités commises par des militaires, tout ou presque semble être arrêté. "La Guinée est devenue une destination risquée ", constate un chef d’entreprise. Depuis que le président a annoncé qu’il ne maîtrisait pas l’armée qui a tué de nombreuses personnes, les investisseurs préfèrent rentrer chez eux." Fin octobre, à la demande de leurs ambassades 17 experts occidentaux ont ainsi quitté la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), une société minière détenue en majorité par l’Australienne Rio Tinto et l’Américaine Alcoa. Ces départs, selon les spécialistes, poseront des problèmes techniques à la CBG qui verse entre 60 à 180 millions de dollars par an au Trésor public guinéen. Cette situation a provoqué une nouvelle baisse du franc guinéen (FGN). Il y a un mois, il fallait 6 000 FGN pour obtenir 1 €. Aujourd’hui, il en faut plus de 7 300. L’incidence sur les prix des produits de première nécessité, surtout importés, est forte. Le prix du sac de 50 kilos de riz local est passé d'environ 210 000 à 280 000 FGN (29 à 38 €) pendant la même période. La fermeture temporaire de l’école française a contraint les parents les plus fortunés à inscrire leurs enfants dans les écoles équivalentes de Dakar, Bamako, voire Paris. D’autres n’ont pu s’accorder ce luxe. "Inscrire mon enfant ailleurs me serait revenu trois fois plus cher. Je l’ai donc gardé dans une école locale conseillée par l’école française", explique une maman, la mort dans l’âme. Depuis fin septembre, nombreux seraient les Guinéens à s’expatrier estime M. Alassane Barry, gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) pour qui ce flux migratoire serait l’une des causes de la flambée des devises étrangères sur le marché local. "Ils ont besoin de devises étrangères pour envoyer leurs familles à l'étranger et y payer les frais de scolarité des enfants", avance le patron de la BCRG. Planche à billets Pour la majorité des gens, qui n’ont pas les moyens de partir, la situation est plus que précaire. C'est le cas de cet agent de développement, marié et père de deux enfants, jusque-là opérateur dans un projet financé par l’AFD (Agence française de développement), qui vient de recevoir sa lettre de mise en congé technique. Son seul espoir est de trouver un emploi d’enseignant dans une école publique. En effet, l’État, privé d’aides budgétaires et de recettes fiscales conséquentes, à défaut de payer régulièrement ses fournisseurs, arrive tout de même à payer ses fonctionnaires. "Quand ses recettes sont insuffisantes, l’Etat a recours à la planche à billets (création de monnaie, Ndlr) pour faire face à ses dépenses et payer ses fonctionnaires afin d’éviter des remous sociaux", explique un économiste indépendant. Celui-ci estime que d’ici quelques mois, cette politique aboutira à une chute vertigineuse de la monnaie et à une forte hausse des prix : "Les gens seront obligés de redescendre dans la rue." D’autant plus que la communauté internationale accentue sa pression. Après la répression du 28 septembre, l’Union européenne, qui, dès les premières heures du coup d’État, avait suspendu une aide au développement d’environ 230 millions €, a décrété de nouvelles sanctions contre des membres et proches de la junte ainsi qu’un embargo sur les armes. De leur côté, les USA, un mois après le coup d’État, avaient suspendu leur aide non humanitaire (plus de 20 millions de dollars par an) et viennent de limiter l’entrée de certains membres de la junte et du gouvernement sur le sol américain. La CEDEAO et l'Union africaine ont opté pour le refus de délivrer des visas aux membres de la junte et le blocage de leurs avoirs. La CEDEAO a de plus décrété un embargo sur les armes, approuvé par les États-Unis. Commentant ces mesures, un opposant estime que "les sanctions ciblées contre les membres de la junte sont plus efficaces que l’embargo sur les armes". "La Guinée, dit-il, en importe des pays qui ne sont pas sous contrôle." - Syfia