Rencontre avec Zéphirin Diabré du Groupe AREVA et homme politique burkinabè. A la faveur du récent séjour à Conakry du MEDEF (Mouvement des Entreprises de France), je fais la rencontre de M. Zéphirin Diabré du groupe nucléaire français AREVA. Allure altière, l’homme fascine son vis-à-vis dès la première rencontre.
On s’est croisés dans le hall du Novotel GHI, cadre des discussions entre la délégation du MEDEF et la partie guinéenne. C’était à la sortie de la salle où le Premier ministre, Mohamed Saïd Fofana venait de procéder à l’ouverture protocolaire des travaux. Le temps d’échanger quelques propos avec ce dernier, je me dirige vers le burkinabè d’AREVA. Il est d’un abord facile.
Dès que je lui rappelle sa dernière interview avec une radio internationale, M. Diabré, que j’appelais d’abord "M. Diabiré", me tient aussitôt en estime avec ces mots : « vous avez une bonne mémoire, hein ! ». Il me remet sa carte de visite et je profite pour solliciter une interview. Sans réfléchir, Zéphirin Diabré donne son accord pour le lendemain, après la dernière audience que la délégation du MEDEF internationale devait avoir avec le Président de la République.
Vers 18h 00, le jour indiqué, me voici à la réception de l’hôtel. Il revient 50 minutes plus tard de chez le Chef de l’Etat. L’envoyé spécial de cette radio internationale l’entreprend également pour une interview. Aimablement, il fait savoir à ce dernier qu’il a rendez-vous avec votre serviteur qui lui laisse le choix du cadre de l’interview. Côté piscine de l’hôtel.
Arrivés là, il consacre quelques minutes d’échange à Jacques Diouf, Directeur général de la FAO [Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’agriculture], en séjour de travail en Guinée. Je me retrouve associé aux débats par curiosité journalistique. Et répondant à une de mes questions, la principale d’ailleurs, le sénégalais de la FAO feint de n’être pas porté à briguer le mandat présidentiel dans son pays en 2012 ce, même après son mandat à la tête de cette structure onusienne. Ah, langue de bois di-plo-ma-ti-que !
Après les échanges très amicaux, finalement, me voici, avec M. Zéphirin Diabré du Groupe AREVA. C’est à ce titre qu’il est en visite de travail avec le MEDEF international en Guinée.
Avant de commencer l’interview, il me signifie très gentiment, que ce n’est pas "Diabiré", mais plutôt "Diabré". Compris, M. Diabré !
Interview:
AfricaLog.com : Bonsoir M. Zéphirin Diabré.
Zéphirin Diabré: Oui, bonsoir.
Voulez-vous, vous présenter aux lecteurs d’AfricaLog.com, s’il vous plaît?
Je suis Zéphirin Diabré, burkinabè de nationalité. Au niveau de mes activités professionnelles, je suis responsable du groupe nucléaire AREVA, en charge de l’Afrique et du Moyen Orient. Mais, sur le plan politique, je suis le Président de l’Union pour le Progrès et le Changement, un parti d’opposition qui milite pour une alternance démocratique au Burkina Faso.
Vous êtes donc, également, un leader politique au Burkina Faso?
Oui, je suis dirigeant d’un parti politique.
Et comment, l’idée de créer cette formation politique est-elle née?
Nous avons créé ce parti politique il y a un an. C’est à la suite d’une analyse que nous avons faite de la situation de notre pays et de son évolution telle que nous la souhaitons pour l’avenir, qui nous a conduits, mes camarades et moi, à créer un parti politique qui s’appelle l’Union pour le Progrès et le Changement. Comme son nom l’indique, ce parti-là, aspire à apporter le progrès au Burkinabè et au Burkina Faso. Mais, il estime qu’il ne peut le faire que s’il y a un changement, c’est-à-dire une alternance démocratique. C’est le sens du combat que nous menons actuellement au Burkina Faso.
M. Diabré a été Ministre du Président Blaise Compaoré. C’est lui qui vous a nommé au poste de Président du Conseil Economique et Social, entre autres fonctions assumées par vous. Aujourd’hui, votre souhait serait, peut-être de succéder à Blaise Compaoré. Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ?
D’abord, je n’ai jamais dit que j’avais une aspiration successorale ou de vocation présidentielle. Par contre, ce qui est vrai, c’est que, à la suite de mon engagement politique en 1991, dans le cadre du parti au pouvoir et qui s’appelait à l’époque l’ODP/MT [ndlr : Organisation pour la Démocratie Populaire / Mouvement du travail], moi-même et un certain nombre de cadres avons été désignés pour occuper des fonctions au niveau exécutif.
Une récompense, en quelque sorte?
Non. Pourquoi ?
Pour, peut-être, les efforts fournis pendant la campagne ?
Pas forcément.
Pour vous, c’est donc, dans le cours normal des choses?
De mon point de vue, c’est une procédure tout à fait normale dans un parti que, au sortir des législatives ou d’élections en tout cas majeures, des cadres dont on pense qu’ils ont les compétences, puissent être désignés pour occuper des fonctions ministérielles et, en quelque sorte, mettre en œuvre le programme du parti. C’est en ce sens-là, que j’ai été nommé au Ministère de l’Industrie, du Commerce et des Mines. Et, quelques semaines après la dévaluation du franc CFA, en 1994, on m’a demandé de prendre en charge le Ministère de l’Economie et des Finances.
Qui vous l’a demandé ? On vous y a nommé, non?
Effectivement, c’est le Président du Faso qui m’a nommé.
Oui, continuez, s’il vous plaît.
Bon, dans un engagement politique qui est aussi un parcours, et les raisons, l’environnement, les motivations, les ententes et les perspectives, qui font que, à un moment donné, on s’engage dans un camp, peuvent, avec le temps, ne plus exister. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour ce qui me concerne en 98, 1997 précisément sur la base de mon diagnostic personnel de notre manière de faire de la politique au sein du parti au pouvoir-là, j’ai décidé de donner ma démission du parti au pouvoir et de quitter d’ailleurs le pays pour aller enseigner à l’Université de Harvard. A la suite de quoi, j’ai continué une carrière aux Nations-Unies, notamment au PNUD.
Pour revenir au but premier de notre rencontre, quelle est la raison de votre séjour en Guinée, plus précisément à Conakry?
Je suis là dans le cadre d’une mission d’entreprises françaises venues à l’invitation du Président Alpha Condé, suite à la rencontre qu’il a eue avec elles à Paris, il y a quelques semaines et dont la vocation est en fait, comme c’est le cas dans plusieurs pays, quand on se déplace, de voir s’il y a des opportunités d’investissements que l’on peut explorer et surtout, concrétiser. Moi, je suis là en tant que mandataire du Groupe AREVA.
Alors, en quoi consistent vos charges au niveau d’AREVA?
Je m’occupe des questions liées à l’Afrique et au Moyen Orient. Je suis en même temps le Conseiller de la Présidente du Groupe AREVA pour les questions internationales.
Alors, vous venez de le souligner, vous êtes en séjour en Guinée avec la délégation du MEDEF international. Peut-on savoir quels sont les ministres qui ont été vos interlocuteurs?
De tradition, quand une délégation du MEDEF se déplace dans un pays, elle rencontre les principaux acteurs de la scène gouvernementale soit de manière groupée, soit de manière individuelle. Donc, les responsables des différents ministères à vocation économique et financière ou d’infrastructures minières, ont été rencontrés à l’occasion de ce séjour là.
Est-ce que vous avez eu des échanges avec le secteur privé?
Oui, tout à fait, on a eu un échange avec le secteur privé local qui est le partenaire indiqué pour les entreprises extérieures et qui, d’ailleurs a conduit dans certains cas, des projets qui seront conclus très rapidement, ayant pour vocation de mettre en place des entreprises communes.
Avant de poursuivre cet entretien, vous venez, il y a quelques minutes seulement, d’une audience avec le Président de la République, Professeur Alpha Condé. Peut-on avoir une idée de vos discussions, ne serait-ce que dans leurs grandes lignes?
Le Professeur Alpha Condé a eu d’abord l’amabilité de recevoir la délégation dès son arrivée pour lui exprimer toute ses attentes et son souhait que ce séjour-là soit productif pour l’intérêt des deux parties communes. Et il a pensé qu’il était bon, à la fin du séjour, qu’il procède à une sorte de débriefing. C’est dans ce cadre donc, qu’il a reçu la délégation ; il a donné l’occasion à tout un chacun de faire un peu le point sur le travail qu’il a pu accomplir durant ces deux jours-là ici ; et de tirer globalement les leçons et les enseignements qui s’imposent.
Justement, de façon globale, comment avez-vous apprécié ces trois jours de visite à Conakry?
C’est une grande opportunité, non seulement pour moi et pour mes autres collègues de redécouvrir la Guinée sous un œil nouveau et de toucher de doigt, en tout cas de manière très concrète, la nouvelle volonté politique qui s’exprime dans le souci d’accroître l’investissement productif.
Le Président Alpha Condé a, aussi bien à Paris qu’ici, réitéré, non seulement cet engagement-là, mais a expliqué aussi l’ensemble des mesures qu’il compte prendre pour faire de la Guinée, un environnement très attractif et favorable aux affaires.
Je dois dire que lors de ce séjour-là, on a commencé à toucher du doigt les différents progrès qui sont perçus dans ce domaine-là. D’abord la visite a été très bien organisée. Ce qui est à remarquer, à souligner et à applaudir. Les contacts ont été bien étudiés à l’avance. Les réunions se sont tenues à l’heure et de manière bien organisée. En tout cas, tous les participants repartent avec le sentiment d’avoir des interlocuteurs d’une certaine crédibilité. Ça d’ailleurs été l’occasion aussi pour certains d’entre eux de conclure des accords ou des pré-accords ou de discuter de projets concrets qui verront le jour dans les mois, voire les semaines à venir, et qui touchent des aspects essentiels du développement économiques de la Guinée.
Vous voulez dire par là que le langage était à la portée de vos interlocuteurs guinéens, aussi bien du côté gouvernement que du côté du privé?
Oui, tout à fait. Tout à fait. On a eu un langage d’hommes et de femmes d’affaires à hommes et femmes d’affaires. C’est vrai que l’on n’a pas occulté les difficultés quand il y en avait ou des contraintes auxquelles les uns et les autres font face ; mais tout cela s’est déroulé dans une ambiance de grande confiance qui, je crois, augure de bonnes choses pour l’avenir.
Alors, donc M. Diabré, avez-vous perçu une réelle volonté de coopération chez vos hôtes dans un partenariat mutuellement avantageux, autrement dit, comme on le dit souvent, gagnant-gagnant?
Oui, tout à fait. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, cette mission a été décidée très rapidement, après la visite du Président Alpha Condé à Paris.
Pour revenir sur les images d’hier à la télévision lors de l’audience que le Président de la République avait accordée à la délégation dès son arrivée en Guinée, on a vu le Président Alpha Condé vous faire des signes de familiarité. Quelle lecture pouvez-vous en faire pour les novices?
Je ne sais pas si c’est quelque chose que l’on doit commenter. Il est juste très honoré que le Président ait fait à mon endroit des gestes de sympathie. Je ne pense pas qu’il faut y lire autre chose qu’une marque d’estime qu’il a toujours manifestée à mon endroit.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous connus?
Je ne sais pas si cette question intéresse vos lecteurs. Le Professeur Alpha est connu de plusieurs générations d’africains et d’africanistes pour avoir été un grand militant de la cause estudiantine en France …
A travers la FEANF [Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France]
Voilà, et de la cause des droits de l’homme et de la démocratie dans son pays. Donc, c’est toujours un plaisir et un honneur d’être reçu par lui.
"Zéphirin Diabré", un nom qui évoque un parcours exceptionnel, n’en souffre votre modestie. Commentaire.
Je ne suis pas sûr que le mot "exceptionnel" s’applique au parcours qui a été le mien, hein. Qui n’a rien de plus que d’autres parcours que l’on a vus dans le continent. J’ai eu la chance d’occuper un certain nombre de fonctions dans mon pays et sur le plan extérieur. Et actuellement, je suis un homme politique engagé aux côtés de mon peuple pour essayer d’apporter l’alternance, un changement dont je pense qu’il est peut-être salutaire pour le progrès des burkinabè. C’est plutôt ça qui me paraît la principale motivation aujourd’hui et je ne pense pas que le qualificatif d’"exceptionnel" puisse s’appliquer à mon parcours.
Mais, comment parvenez-vous à supporter ces deux charges ; chargé de mission quelque part au niveau d’AREVA et des charges politiques au niveau de votre pays?
Non, mais ce n’est pas la première fois. Je veux dire, beaucoup d’hommes politiques à travers le continent ont aussi une activité professionnelle. Certains sont professeurs, comme le Président Alpha Condé, certains sont avocats, comme le Président Abdoulaye Wade du Sénégal ou d’autres, dans d’autres pays, certains sont des hommes d’affaires. Et on en connaît. Il se trouve que moi, je suis un collaborateur d’une institution privée internationale. Ça n’a rien d’exceptionnel ça. Certains sont des collaborateurs d’entreprises privées nationales. Donc, ce sont des choses qui sont facilement compatibles.
Nous faisons ainsi retour au Burkina Faso. Alors, quel regard portez-vous sur ce qui se passe aujourd’hui dans votre pays?
Il y a deux niveaux de lecture dans la crise qui se vit là-bas. Le premier niveau qui consiste à regarder l’ensemble des revendications qui s’expriment aujourd’hui et qui tournent autour de trois ou quatre points. D’abord, il y a les revendications des forces syndicales autour de la question de la vie chère. Les salaires, les traitements, n’arrivent plus à permettre aux salariés burkinabè d’avoir des niveaux de vie décents. Donc, ce sont des revendications réelles et qui ramènent à la question de la pauvreté. Il y a des revendications liées à une soif de justice à la suite d’événements qui ont affligé une partie de la jeunesse, notamment les élèves et qui ramènent un peu en première ligne, le débat sur l’impunité. Ce sont des revendications réelles que ces couches sociales-là posent face à des problèmes bien concrets. Il y a, c’est vrai, au sein des forces armées des revendications liées à des primes et les primes qui, là aussi, ramènent, d’une certaines manière, aux questions de difficultés de vivre. Donc, ce premier niveau-là, atteste de difficultés générales de vivre pour les burkinabè et pour le peuple burkinabè parce que, la crise économique, la mauvaise gestion, la distribution inégalitaire des fruits de la croissance, font que des pans entiers de la population n’arrivent pas à s’en sortir.
Et puis, il y a un deuxième niveau de lecture qui consiste à dire que toutes ces revendications-là qui ont toujours été là, explosent actuellement en même temps et de cette manière-là, parce qu’il y a une lame de fond. Et cette lame de fond, c’est un mécontentement général qui, lui, est lié à des causes socio-politiques. D’abord, c’est clair que, il y a une grande soif de changement après plus de deux décennies du même régime. On a beau le dire, aucun pouvoir, après 24 ans comme celui-là, ne peut encore incarner la nouveauté, l’espoir, notamment pour les générations montantes.
Vous voulez dire par là qu’il y a une usure du pouvoir?
Effectif. Il y a effectivement une usure du pouvoir. Et cette usure-là, elle est doublée d’un certain nombre de fautes de gestion démocratique qui font la colère des burkinabè. Il y a un développement de la corruption qui a atteint dans notre histoire politique des niveaux très élevés.
Peut-on passer aux autres niveaux de lecture?
J’y arrivais, car les choses s’enchaînent. Il y a une arrogance d’une nouvelle classe de privilégiés, de riches qui, par leurs comportements quotidiens, ont le don d’irriter ceux qui ne s’en sortent pas et qui observent de manière mécontente certains qui font la courte échelle pour pouvoir s’en sortir.
Et puis, il y a le besoin de l’alternance. Notre démocratie a produit, depuis 24 ans, le même système qui s’est reproduit lui-même et qui s’est succédé à lui-même ; il n’a plus la confiance des burkinabè. Donc, cette toile de fond des mécontentements se double de l’impression, voire de la conviction, chez beaucoup de burkinabè, y compris les jeunes, que le Chef de l’Etat actuel, le Président Blaise Compaoré, souhaite rester au pouvoir après 2015. Ils sont fondés à dire ça parce que, le parti au pouvoir qui est le Congrès pour la Démocratie et le Progrès [CDP], depuis juillet 2009, de manière officielle et publique, a entrepris une démarche politique consistant à sauter le verrou de la limitation du mandat tel qu’il figure dans la constitution.
Donc, ce deuxième niveau-là, est celui d’une toile de fond d’une colère sourde qui gronde pour des raisons éminemment politiques. Bien entendu, les deux vont en même temps. Et c’est ça qui interpelle notre parti et qui interpelle l’ensemble des démocrates burkinabè aujourd’hui.
On voit que vous semblez souhaiter le départ de celui qui paraissait pourtant votre mentor, en l’occurrence le Président Blaise Compaoré. Pourquoi?
Je ne sais pas d’abord si le terme de "mentor" s’applique un peu à la relation que nous avons eue et qui n’a jamais été nos relations personnelles.
Ah, bon?
Ecoutez, moi, j’ai été militant d’un parti politique. Je me suis battu à la tête d’une liste.
Oui, mais, en ayant foi en l’idéal prôné par Blaise Compaoré?
En fait, voyez-vous, c’était l’idéal en 1992 qui a fait que nous avons suivi ce parti-là. C’était un peu de réaliser par la voie démocratique, ce que la révolution sankariste voulait faire, mais qu’elle a échoué parce qu’elle a voulu faire par la contrainte. Une société où règnent la liberté de choix mais aussi l’égalité des chances, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la corruption, l’engagement citoyen. Ce sont ces valeurs-là qui étaient véhiculées au début par l’ODP/MT en 92 parce qu’on pensait que, animées par les anciens acteurs de la révolution, il arriverait à faire, par des voies démocratiques, ce que l’on avait voulu, malheureusement faire par la force de la révolution. Voilà. Dans leur cours, les choses ne se sont pas passées comme on l’espérait. C’est ce qui a fait que j’ai pris, en ce qui me concerne, non seulement mes distances, mais aussi mes responsabilités.
Regrettez-vous aujourd’hui Thomas Sankara?
Non, je ne l’ai pas connu et je n’ai jamais été d’ailleurs fan de son régime. J’estime que, comme tout être humain, et comme tout Chef de l’Etat, il y avait du bien et du moins bien dans ce qu’il faisait. Il y avait du bien en ce sens qu’il y a porté un idéal. Il a remis notre pays sur la carte du monde. Et surtout, il s’est fait le défenseur d’une vision du développement qui correspondait et qui correspond toujours, en tout cas, à mes aspirations. Ce qui consiste à mettre l’homme au cœur de tout : la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la désertification, la promotion du genre notamment, des femmes, les efforts pour la scolarisation, la santé surtout, la bonne gestion des choses publiques.
Et pourtant vous disiez, il y a un instant, que vous n’avez pas connu l’homme.
Oui, mais j’ai dit aussi que je n’ai jamais été fan de son régime. Donc, j’en étais éloigné car, il y a un versant qui n’était pas tout à fait acceptable dans sa démarche, parce qu’il est quand même à la tête du régime qui a inauguré de manière la plus brutale possible, la répression des droits humains. Et ça, ça pose un problème en termes de jugement. Mais, c’est aussi ça l’histoire. On a, à la fois, les bons et les mauvais côtés. Cela dit, encore une fois, je n’ai pas été un militant de la révolution sankariste, parce que je ne l’approuvais pas, mais je ne suis pas un anti-sankariste, au sens primaire où certains peuvent l’exprimer aujourd’hui.
Que pensez-vous de la situation qui se passe aujourd’hui en Libye?
Alors, la situation qui se passe en Libye est l’exemple type de dérives auxquelles on arrive lorsqu’un pouvoir se gère sans contre-pouvoir et sans limite. Quelque soit l’angle sous lequel on peut le prendre, il est clair que 42 ans de pouvoir pour un seul homme et son équipe, c’est trop. Sans doute que l’on n’a pas jugé sur le plan historique de l’apport que le Président Kadhafi a fait à son peuple et à d’autres peuples africains. Je dois d’ailleurs souligner à cet effet, qu’il a été un des dirigeants arabes qui ont le plus apporté un concours financier à beaucoup de pays africains.
Dont le Burkina.
Dont le Burkina. Mais, il se révèle que la gestion de son système politique interne pose des problèmes. Ça pose des problèmes au niveau de l’absence de démocratie, ça pose des problèmes au niveau de l’absence de respect des droits de l’homme, et ça pose des problèmes au niveau de l’absence d’une certaine rationalité dans les choix économiques et dans les décisions qui sont prises ; qui font que, avec le temps, il s’est quelque peu isolé de son propre peuple.
Et quand, à cela on ajoute une tendance nettement clanique, avoir une gestion clanique du pouvoir autour d’individus liés à lui par des liens de famille, qu’il s’agisse de fils, de cousins ou de parents, on comprend bien que le système se soit effondré comme il est en train de le faire de cette manière-là et que beaucoup de libyens aient choisi la voie de la contestation. C’est aux libyens d’écrire la suite de l’histoire.
Alors comment avez-vous accueilli la sortie de Me Abdoulaye Wade du Sénégal à Benghazi, le fief de la contestation?
En regardant la situation d’ici et faisant écho un peu aux propos tenus par le Président Wade récemment à Benghazi, il est clair que lorsque, à la tête d’un pays, vous atteignez ce niveau de déchirure-là, vous êtes quelque peu disqualifié pour le conduire pour l’étape prochaine, et que donc, probablement, la sagesse aurait voulu que lui-même [ndlr : Kadhafi] trouve les voies et moyens de réaliser l’alternance.
Autrement dit, vous soutenez les propos de Me Wade qui se déclare ouvertement soutenir la rébellion?
Oui, tout à fait. Alors, ce n’est pas forcément soutenir la rébellion parce qu’il faudrait qu’un système démocratique se mette en place pour que l’on sache qui aura la légitimité. Mais, je dis que, contesté comme il est par son peuple, il est clair que Kadhafi n’a plus la légitimité pour le conduire pour les étapes suivantes.
Est-ce que c’est la raison pour que beaucoup soutiennent ouvertement maintenant les rébellions en Afrique?
Les rébellions sont toujours révélatrices de déchirures nationales et sociales. Une rébellion ne sort pas ex nihilo ! Et même si on pense qu’elle est instrumentalisée par l’extérieur, il y a toujours des causes profondes sur lesquelles elle s’appuie.
Est-ce le cas en Côte d’Ivoire?
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, on le sentait venir parce qu’il y avait un sentiment d’exclusion d’une partie des ivoiriens. Chaque fois que vous gérez un pouvoir et que, de manière sournoise ou ouverte, vous instrumentalisez la donne ethnique, ou raciale, ou régionaliste, vous amenez des frustrations qui, si elles ne se résolvent pas par des élections, finissent par l’être par les armes. Et c’est ce qui s’est passé malheureusement en Côte d’Ivoire. Cela dit, je n’ai pas à donner raison ou tort à ceux qui ont pris les armes ; mais j’essaie de comprendre un peu le processus qui a amené à ça.
Et c’est aussi le même processus que l’on a en Libye. L’exclusion, le non partage du pouvoir, le partage étriqué ou inégalitaire des richesses, la gestion clanique autour de parents et d’amis, amènent toujours des frustrations qui peuvent déboucher sur une violence politique.
Vous voulez dire par là que la situation n’est pas définitivement réglée au Burkina Faso malgré l’intervention des forces spéciales de la Présidence de la République?
Je ne m’occupe pas des péripéties militaires. Nous, ce qui nous intéresse en tant que civils et opposants, c’est la toile de fond socio-politique. Et là, nous sommes inquiets. Il y a une grogne qui s’appuie sur des problèmes réels.
Et je les ai déjà cités : le manque d’alternance après 24 ans de régime et le sentiment en place a tout verrouillé pour qu’il n’y ait pas une opposition crédible, la corruption du système politique, la corruption des élites autour du Chef de l’Etat qui sont plus préoccupés par les marchés et les entreprises à prête-nom que par le développement du pays, la gestion clanique du régime qui s’appuie, on le voit dans les nominations, dans le choix des individus, non pas sur des critères de compétence citoyenne, mais sur des critères de proximité familiale, sociale, régionale ou d’intérêts financiers.
La gabegie que les gens observent, le chômage des jeunes y compris les jeunes diplômés, et qui n’arrivent pas à trouver d’emploi, tout cela crée un cocktail qui ne peut que d’être explosif.
Mais, pour le cas de la rébellion en Côte d’Ivoire, par exemple, c’est le Président Blaise Compaoré qui est indexé. C’est lui qui aurait été le soutien principal. Qu’en savez-vous?
Je n’en sais rien et je n’entre pas dans les débats sur des choses que je ne connais pas. Je n’étais pas là quand la rébellion a éclaté.
Les rebelles sont partis pourtant du Burkina
Oui, mais je n’ai de preuve. Moi, je ne sais pas, je n’étais pas sur le terrain. Bon, les uns et les autres sont libres d’affirmer ce qu’ils veulent. L’essentiel pour moi, est que l’on ait réussi, après un processus douloureux, en tout cas, à revenir à une situation de stabilité en Côte d’Ivoire, je l’espère, par le biais d’élections qui ont été contestées, mais finalement, la vérité a triomphé.
Nous souhaitons tous, maintenant, que la Côte d’Ivoire reprenne le chemin, non seulement de la stabilité, mais surtout du progrès économique. C’est important et utile pour les ivoiriens mais cela est aussi pour toute la sous-région.
M. Zéphirin Diabré, révolutionnaire, socialiste, libéral, bref, comment devrait-on vous étiqueter aujourd’hui?
Notre parti, justement, a décidé de ne pas s’accoler une idéologie. Parce que l’on estime que, dans l’air du temps d’aujourd’hui, c’est être prisonnier d’un carcan qui n’a pas grande signification. Ce qui nous intéresse, nous, ce sont des solutions pratiques pour résoudre les problèmes concrets des populations.
On n’a pas besoin de se référer à une idéologie pour savoir ce que votre peuple veut pour résoudre aujourd’hui, ses problèmes. Surtout, on a le sentiment que, contrairement à ce qui se passait, il y a plusieurs décennies, face à un problème donné, parfois les solutions libérales sont les meilleures, parfois les solutions non libérales sont les meilleures. Donc, l’essentiel est pour un dirigeant, de savoir trouver la bonne solution et de ne pas s’enfermer dans un cadre idéologique.
Zéphirin Diabré est aussi leader de l’UPC, vous l’avez souligné. Est-ce l’alternative au CDP de Blaise Compaoré en 2015?
Je ne sais pas. En tout cas, c’est un parti politique qui vient de naître, qui est très jeune, qui va se battre. Il va se battre pour conquérir petit à petit, étape par étape, ses galons de parti politique par des conquêtes de conseillers municipaux, de maires, de députés et qui, chaque fois qu’une élection majeure se présente au Burkina, fera entendre sa voix.
C’est au peuple qu’il appartiendra de décider le poids qu’il veut lui donner. Mais vous savez nous, nous avons une démarche qui s’appuie d’abord, sur une préparation psychologique en ce qui nous concerne qui est que ces choses-là, ne se font pas en un temps très rapide. Nous sommes opposants et nous sommes psychologiquement prêts à y durer, s’il le faut pour réaliser l’alternance.
Cela veut-il sous-entendre que l’on peut s’attendre à une candidature de M. Diabré en 2015?
Je ne sais pas trop, on verra bien. Ça, sera au parti de décider. On n’est pas encore en 2015, on est en 2011.
Vous voulez dire que ce sont les législatives de 2012 que vous visez d’abord?
Vous savez, cher ami, quand un homme parle de l’avenir, la première des choses, c’est de souhaiter à bon Dieu d’y arriver en bonne santé physique. Et quand on est un homme politique, on peut ajouter, en pleine forme politique.
Pour répondre à votre question, effectivement, je dirais même stratégiquement, la première étape pour nous, c’est 2012. Nous sommes en train de préparer ça et nous espérons pouvoir faire en sorte que notre parti arrive à l’Assemblée nationale avec des députés et prenne la gestion d’un certain nombre de communes locales avec des maires. Pour la suite, on verra.
Etes-vous optimiste?
Je crois que, oui. De toute façon, nous partons de zéro. Donc, tout ce que nous aurons à gagner, sera déjà un succès pour nous (rire). Nous sommes dans une situation quelque peu confortable de ce point de vue. Mais, en sillonnant quelque peu le pays, en parlant à nos militants, je pense que l’on ait des succès ici et là.
M. Zéphirin Diabré prendra-t-il la tête de cette campagne?
En tant que Président du parti, il est tout à fait normal que je sois en tête de la campagne. C’est mon rôle.
Donc, devrait-on s’attendre à une mise en disponibilité au niveau d’AREVA?
On verra bien, le moment venu.
Avez-vous un message particulier à passer, vu que nous sommes au terme de cette interview?
Le message que je voulais passer, il est que, l’engagement que j’ai décidé de clarifier de cette manière-là depuis un an, s’inscrit en droite ligne dans les principes qui ont toujours motivé mon engagement dans la vie publique. Je fais la politique depuis très longtemps.
Je franchis une nouvelle étape avec parti-là et j’entends y apporter l’ensemble de mes forces physiques et intellectuelles pour faire en sorte que l’alternance démocratique soit un jour inscrite au panthéon de l’histoire de notre pays.
Merci, M. Diabré et bonne chance.
Merci à vous aussi.
Interview réalisée par Ibrahima Sylla "Ibra"