«Je me suis réjoui particulièrement de son engagement à être au-dessus de la mêlée, d’être le Président de tous les Guinéens et d’être un recours.», a dit Cellou Dalein Diallo, le président de l’UFDG.
72 heures après la rencontre du Président Alpha Condé avec la classe politique guinéenne, le président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, Cellou Dalein Diallo était l’invité de la télévision nationale dans l’émission: « L’invité du journal». En début de matinée, Cellou Dalein était aussi l’invité de la Radiodiffusion télévision guinéenne, dans l’émission «L’invité du matin».
Les commentaires vont bon train. Pour certains, c’est une nouvelle page qui s’est ouverte dans le paysage politique guinéen depuis l’investiture d’Alpha Condé, il y a près d’un an. D’autres cependant sont prudents. Ils attendent les actes que le Président va poser, comme il a promis, pour l’affirmer.
L’entretien que Cellou Dalein Diallo a accordé à l’émission de la télévision guinéenne: «L’invité du journal».
Trois heures d’entretien franc et direct entre le Chef de l’Etat et les leaders politiques. Monsieur le président, quelle appréciation faites-vous de cette main tendue du président Alpha Condé?
Cellou Dalein Diallo: Le discours en lui-même était bon. C’est un discours dans lequel le président a d’abord regretté la rupture du dialogue avec ses anciens collègues des Forces Vives, grâce aux combats desquels, il s’est retrouvé Président de la République, on a évité la confiscation du pouvoir politique par l’armée. Il a regretté cette rupture du contact et cette rupture du dialogue avec elles et il a promis désormais de maintenir le contact et de consulter ses anciens collègues chaque fois qu’il y a une décision importante à prendre concernant l’avenir de notre pays. Il a promis d’user de son influence pour débloquer le dialogue politique qui, vous savez, est en panne.
Apparemment le dialogue est relancé?
Non ! Il a dit que le dialogue lui-même ne se tient pas là-bas. Il n’y a pas eu de dialogue. On est venu écouter le message du Président qui avait apparemment un discours nouveau. Donc, les gens ont apprécié de part et d’autre. Moi, je me suis réjoui particulièrement de son engagement à être au-dessus de la mêlée, d’être le Président de tous les Guinéens et d’être un recours. Il faut que les Guinéens se ressaisissent, qu’on ait le courage, qu’on fasse preuve d’honnêteté intellectuelle, de sens de responsabilité et de ne pas toujours chercher les faveurs du pouvoir, les faveurs du puissant en renonçant à nos valeurs qui ont fait souvent la grandeur des sociétés en Guinée. Aujourd’hui, on est un peu inquiet du comportement de certains Guinéens qui manquent de courage, d’honnêteté intellectuelle, de probité et la vérité qui étaient chères à beaucoup de gens. Le courage qui permet à un homme de véhiculer la vérité avait pratiquement disparu pour des intérêts mesquins. Cela est un problème. De toute façon, je l’ai dit : ça m’intéresse particulièrement s’il se constitue un recours sûr pour tous les partis politiques, pour tous les citoyens. Il veut assumer les erreurs de l’armée, mais il faut aussi qu’il soit l’avocat des victimes, parce que ceux qui ont perdu leur vie, il faut qu’il cherche à soulager leurs familles. Djakaria Diallo a été tué le 3 avril à l’occasion de mon arrivée, mais jusqu’à présent on n’arrive pas à trouver une juridiction qui accepte la plainte formulée par la famille. Nous avons décidé de nous plaindre contre l’abus de pouvoir de la part du gouverneur de la ville de Conakry, aucune juridiction ne veut prendre la plainte.
Trois heures d’entretien avec lui, qu’est-ce qui s’est passé réellement?
Ce n’était pas encore une fois un dialogue. Nous avons été à Sékhoutouréya. Le Président a délivré un discours nouveau. Il s’est engagé à garder le contact, à établir un dialogue constant avec les acteurs politiques et à les associer à la prise de décision au niveau des questions intéressant la nation. Il a dit qu’il fera tout pour débloquer le dialogue politique afin que les décisions relatives à l’organisation des élections législatives soient prises de manière consensuelle. Donc, il restera un recours pour tous les Guinéens.
Il y a eu aussi la mise en place d’une Commission….
Je crois qu’il y a un groupe de facilitateurs qui l’ont déjà rencontré, qui ont rencontré le Collectif des partis politiques pour la finalisation de la transition, l’ADP, pour essayer de rapprocher l’opposition et relancer le dialogue qui est en panne. Il a dit qu’il y a une Commission de dialogue qui va être mise en place sous la tutelle du Premier ministre. Mais il n’a pas donné d’amples précisions sur elle. Je n’ai pas vraiment retenu cela comme un fait majeur. Le fait majeur, c’est l’engagement, l’expression d’une volonté politique nouvelle, qui contribue à la décrispation du climat social et à la relance d’un dialogue politique.
Dans la dynamique de la réconciliation nationale, une Commission de réflexion a été mise en place par le Président de la République. Cette commission a entamé les discussions avec les sages de l’intérieur du pays. En tant que leader politique, quel va être votre apport ?
L’apport de l’UFDG et mon apport personnel c’est d’abord exiger l’établissement de l’Etat de droit. L’Etat de droit peut contribuer à réconcilier les Guinéens. Parce que l’Etat de droit ne peut reconnaître que le citoyen, et si la dignité du citoyen est respectée, sa sécurité assurée, que la loi soit utilisée pour régler les conflits, les contentieux. Je pense que cela va largement contribuer à la réconciliation. Si la démocratie est renforcée, les règles et les principes démocratiques sont respectés afin que l’expression du message populaire soit vraiment respectée, je pense qu’on peut avancer. Mais toutes les décisions qui sont prises, doivent l’être dans le respect des règles et procédures et de manières transparentes. Que les gens ne considèrent pas qu’ils sont victimes d’une exclusion fondée sur leur appartenance ethnique, sur leur appartenance politique, ce qui est souvent ça ces derniers temps, il faut le déplorer. Je pense qu’avec la nouvelle dynamique, les choses peuvent changer. Les Guinéens font attention. Je pense qu’il y a un certain nombre de lois qui participent au maintien d’un certain équilibre pour que la confiance revienne. La confiance est un élément fondamental parce qu’il faut que les Guinéens aient confiance en leurs dirigeants, à leur impartialité, à leur objectivité dans le choix, dans leurs décisions, dans leurs actes, dans leurs discours. Lorsqu’il y a cette confiance, le fait qu’on a en face un Président de tous les Guinéens qui se soucie de l’intérêt et du bien-être de tous les Guinéens, de la dignité de tous les Guinéens, je pense que c’est déjà un facteur de réconciliation. Mais si on a des doutes, si on pense qu’il y a l’arbitraire et l’injustice, même si on se tait parce qu’on a peur, il n’y aura pas la paix, il n’y aura pas la réconciliation. La réconciliation, c’est dans le cœur. Nous n’avons aucun intérêt à nous diviser. Aujourd’hui les défis sont ailleurs.
Mais les défis sont énormes…..
Le pays est bloqué. C’est la conséquence aussi des politiques, d’un manque de vision de la part des nouvelles autorités.
Peut-être que c’est parce que l’héritage est très lourd?
L’héritage est lourd, mais je pense que s’il y avait une conjugaison d’efforts, si l’ensemble des Guinéens était mobilisé pour relever ce défi, on aurait déjà eu quelques résultats en huit mois. C’est vrai, il y a les problèmes structurels qu’on ne peut pas régler comme ça, il y a des infrastructures qu’on ne peut pas améliorer comme ça, il y a le poids de la dette, il y a toute une série de contraintes qui pèsent sur la mise en œuvre de politiques efficaces aujourd’hui, mais si on était uni, si on se faisait tous confiances, les autres auraient mieux fait confiance à nous, aussi bien les investisseurs que les créanciers. Si dans le pays, il y a la stabilité, la cohésion, le respect de la loi, il y aurait beaucoup plus d’opportunités pour la Guinée. Si tout change, la confiance renaît, l’espoir chez chaque Guinéen devient plus fort. Je pense qu’on peut aller rapidement affronter ces défis, ils ne sont pas insurmontables. Le potentiel existe. Les opportunités existent. Les ressources humaines aussi existent. Il manque simplement la cohésion et la confiance entre nous, une volonté de travailler ensemble pour faire avancer la Guinée.
Disons que le chef de l’Etat et l’opposition vont désormais privilégier le dialogue et le pardon. Rassembler la Guinée et faire avancer le pays…
Maintenant on attend de voir. N’oubliez pas que le 18 juillet déjà, le Président de la République annonçait que le dialogue va être relancé et qu’il allait donner à cet effet des instructions à Monsieur le ministre de l’Administration du territoire…
Mais justement il avait donné des instructions?
Mais le ministre n’avait rien fait. Le fait qu’il l’a dit, nous étions soulagés. Parce que depuis mars, nous demandons le dialogue.
Le chef de l’Etat a exprimé sa volonté…
Jusqu’à maintenant les actes n’ont pas suivi la volonté exprimée. Il faut qu’on soit clair, parce que l’honnêteté intellectuelle commande de dire encore la vérité. Avant le 18 juillet, nous les partis du Collectif, depuis avril, on a écrit au ministre de l’Administration du territoire, on a écrit au Premier ministre, on a démarché au CNT, au CES, au CNC pour qu’ils jouissent de leur influence auprès du gouvernement afin que celui-ci accepte d’ouvrir le dialogue pour la préparation des élections législatives. On n’a pas eu de résultats. C’est seulement le 18 juillet que le Président a annoncé sa disponibilité à relancer ce dialogue. Il a indiqué qu’il allait donner à cet effet des instructions à son ministre de l’Administration du territoire. Le Collectif s’est empressé de rédiger un mémo dans lequel on a indiqué que la restructuration de la CENI devrait être l’objet de discussion, la dissolution des Conseils communaux et communautaires devrait être discutée, le fichier, sa mise à jour, révision et recensement devraient être inscrit à l’ordre du jour, l’accès des partis politiques de l’opposition aux médias publics devrait être discuté. Le ministre a reçu ce mémorandum. Il a dit toute sa disponibilité et celle du gouvernement. Il nous a demandé une semaine, le temps pour lui de rencontrer le Président et puis on se retrouve autour de la table. On pourra trouver des solutions, nous sommes tous des Guinéens, nous sommes des frères. Un discours qui était nouveau, mais après, rien. Une semaine, deux semaines, trois semaines et au même moment, la CENI continuait à poser des actes, à prendre des décisions qui devraient faire l’objet de dialogue. Ainsi, pour rendre le dialogue inutile et caduc. On a protesté. On a dit : si vous ne voulez pas qu’on dialogue, nous allons user de tous nos droits légaux y compris la marche pacifique. C’est en ce moment que la CENI nous a dit que les élections c’est le 29 décembre sans aucune consultation, alors que c’était pratiquement impossible. Jusqu’avant-hier dans votre télévision, le président de la CENI dit que la date des élections législatives c’est le 29 décembre. La loi dit que soixante-dix jours avant le scrutin, les électeurs doivent être convoqués par le Président de la République. Mais cela ne le gêne pas de dire que c’est le 29 décembre. Aujourd’hui, le corps électoral n’est pas connu, parce qu’il n’y a pas eu de révision ni de recensement. La convocation n’a pas été annoncée, donc cela ne ressemble à rien. Il faut qu’on se parle honnêtement, on ne peut pas organiser les élections le 29 décembre même s’il n’y a pas révision du tout. Rien n’est prêt.
Qu’est-ce qu’il faut pour que la Guinée parte très rapidement aux élections législatives?
Il faut d’abord qu’on essaie de voir quel est le niveau de préparation : sur le plan technique, sur le plan de l’organisation. Et quelles sont les actions qui méritent d’être menées pour conduire à des élections apaisées, équitables et transparentes. On identifie les actions et l’on se met d’accord sur la manière de les mener. Quel opérateur technique ? Dans quelle condition doit-il être choisi ? Ceux qui sont chargés de faire, le font. La question des élections, c’est une question des partis politiques d’abord. Il faut qu’on se mette d’accord sur la manière d’appliquer. Là où la loi est muette, qu’on se dise comment faire. En confrontant nos arguments, nous sommes tous des Guinéens, nous sommes tous des cadres soucieux d’une certaine objectivité, d’une certaine logique, lorsque ce n’est pas logique on est prêt à concéder, à renoncer à une position si les arguments présentés par l’adversaire sont plus pertinents. Avec une dose d’honnêteté intellectuelle, on peut défendre ses intérêts pour les mêmes objectifs. C’est cela le dialogue, et je pense que c’est une étape. Peut-être que cette fois-ci ce sera la bonne, parce que le 18 juillet, il n’y a pas eu de suite ni de succès. Cette fois-ci, je pense qu’il y aura de suite. Je le souhaite vivement, parce que je veux aller le plus tôt possible aux élections législatives.
Un message particulier à l’intention du peuple de Guinée?
Je souhaite que ce pays sorte de la misère, qu’on comble le déficit d’honnêteté intellectuelle et de courage dans le débat, dans nos relations. Il faut que les gens reviennent aux valeurs qui ont fondé la grandeur de notre Etat, de notre pays. Il faut qu’on cesse l’opportunisme, qu’on soit des hommes honnêtes, qu’on soit des hommes courageux et qu’on construise cette Guinée dans la paix, dans la réconciliation. Et à cet égard, je lance un appel au Président de la République, dont le rôle est majeur, pour qu’il inspire les comportements. C’est lui qui inspire les politiques, c’est lui qui inspire les actes, il doit contribuer par ses actes, par ses propos, par son attitude à l’apaisement, à la naissance d’une confiance nouvelle, d’un espoir chez chaque citoyen qui va se sentir concerné par la gestion du pays, qui va se sentir intéressé à participer justement à la construction du pays. Pour cela, il faut la confiance et cette confiance peut être largement inspirée par le Président de la République et les acteurs politiques que nous sommes.
Propos transcrits par AfricaLog.com