La polémique va-t-elle perdurer? Ce 12 janvier, le juge de la Cour d’Appel de Conakry, Yaya Boiro, s’est déclaré incompétent dans le dossier Amadou Diallo et Yamoussa Touré, qui revendiquent chacun, le droit d’occuper le poste de Secrétariat général de la CNTG (Confédération nationale des travailleurs de Guinée) depuis fin septembre 2011. M. Boiro a expliqué: «Une chambre de la Cour doit statuer sur le dossier en approfondissant les analyses pour dire qui des deux protagonistes a raison». Sans trop de précisions. D’ici-là, le juge leur demande de rester dans leur position initiale.
Contacté, l’avocat d’El Hadj Yamoussa Touré, Me Salifou Béavogui, a exprimé sa déception en ces termes: «Le juge s’est déclaré incompétent, ce qui n’est pas vrai. La vérité c’est qu’il a eu peur, il a fui sa mission» et de promettre de poursuivre la procédure pour le rétablissement de son client «dans ses droits».
Me Aboubacar Ouattara, l’avocat d’El Hadj Amadou Diallo, se dit satisfait de la décision de M. Boiro. «La décision prise est bonne et conforme à la loi. Le juge ne pouvait pas ordonner la fermeture des lieux. Il y avait une forte contestation en la matière. Moi, je suis satisfait. Je n’ai aucun recours à faire. Je ne peux que m’en remettre à la sagesse du juge», a-t-il expliqué.
Rappelons que le 16 décembre 2011, Sény Camara, le juge du tribunal de Travail de Mafanco avait décidé d’annuler les deux congrès et a débouté chacune des parties de sa demande «des dommages et intérêts ainsi que de ses prétentions». Suite à son constat de «l’irrégularité des élections issues des congrès du 22 au 24 septembre et celui du 26 septembre 2011» qui ont élu respectivement Amadou Diallo et Yamoussa Touré pour le même fauteuil.
Rappel de l’épilogue
Le feuilleton qui oppose Amadou Diallo à Yamoussa Touré remonte en septembre 2011. Le premier en est secrétaire général par intérim, après la nomination en 2010 de la secrétaire générale Hadja Rabiatou Sérah Diallo, à la tête du Conseil national de la Transition (CNT). Le second est secrétaire général adjoint de la CNTG. Ils étaient tous candidats au poste de SG lors du 16ème congrès de la CNTG, du 22 au 24 septembre 2011. Au terme duquel M. Diallo a été élu par 98 congressistes sur 115, devant les représentants du ministère de la Fonction publique, du Patronat, des délégués de la CGT-France, CSC-Belgique, Rosa Luxembourg, les huit centrales syndicales Nationales.
M. Touré a aussitôt créé une dissidence dès qu’il s’est senti vaincu par son adversaire au poste de SG de la CNTG. Ainsi, avec 14 autres personnes, Yamoussa Touré a demandé la relecture de tous les textes juridiques du Conseil syndical, article par article. En dépit de leur adoption par la majorité des congressistes, le 26 septembre, M. Touré, accusé d’être soutenu par le pouvoir, a organisé un autre congrès de la même CNTG pour se faire élire par une cinquantaine de participants venus de l’arrière-pays. Le camp d’Amadou Diallo a protesté cette élection bis. El Hadj Yamoussa Touré a porté plainte devant le Tribunal de travail. Pour ajouter leur grain de sel à la cacophonie qui règne au sein de la plus grande centrale syndicale du pays, huit centrales syndicales ont menacé de décréter une grève générale et illimitée si le gouvernement qu’elles accusent d’immixtion, ne s’abstient pas de s’ingérer dans leurs affaires.
Le 16 décembre 2011, le Tribunal de travail de Mafanco a annulé les résultats des deux congrès et débouté chacune des parties de sa demande des dommages et intérêts ainsi que de ses prétentions.
Face à la décision, bien des Guinéens se sont interrogés. Un juge a-t-il la compétence d’invalider l’élection d’un Secrétaire général à la tête de la CNTG ? Un magistrat de la Cour d’Appel de Conakry, sous l’anonymat, nous a répondu par l’affirmative mais a conditionné que le juge soit saisi et qu’il en ait la compétence.
Pendant ce temps, des rumeurs soutiennent, et nous avons la confirmation, que M. Yamoussa Touré est à la retraite par arrêté n° 99/6192/MEFP/DNFP du 24 novembre 1999. Pour le camp Amadou Diallo, Yamoussa Touré ne saurait alors briguer le poste de Secrétaire général de la CNTG.
M. Touré a sèchement réagi et indiqué que c’est de la délation et s’est défendu: «Dans les textes juridiques de la CNTG, retenez que Rabiatou est à la retraite depuis plus de deux décennies avant d’être à la tête du CNT en 2010. Je suis membre du Bureau exécutif sortant au poste de secrétaire général adjoint, donc électeur et éligible. On n’a jamais parlé de cela, quand Rabi était à la tête de la CNTG alors qu’elle était à la retraite, il y a plus de 20 ans. Dans le règlement intérieur, ce n’est pas prévu. C’est de la délation. La preuve est qu’il y a une fédération des retraités qui est affiliée à la CNTG. Il n’y a pas question de retraite, car c’est une ONG ; tant que tu es disponible dans le mouvement syndical, on peut te porter à la tête d’une structure…»
Le camp d’Amadou Diallo a rejeté catégoriquement ses propos et soutient mordicus que «l’article 31 des statuts et règlement intérieur de la CNTG dit qu’un retraité ne peut pas être élu au poste du Secrétariat général de la CNTG». M. Touré de rétorquer: «C’est archifaux. Cela a été colmaté. Ce camp est en train de semer la confusion. Si vous voulez, je vous dépose les articles, vous comprendrez qu’ils sont en train de faire la délation…»
Un autre syndicaliste de l’ONSLG (Organisation nationale des syndicats libres de Guinée) a soutenu qu’un retraité «peut bel et bien être à la tête de la CNTG, à partir du moment où la structure possède une fédération des retraités. Car, la fédération des retraités existe et elle se bat. Ne soyez pas étonné si un retraité dirige le poste de Secrétariat général de la CNTG».
Mais les groupes n’ont pas baissé les bras. Pendant qu’il continue à occuper les locaux de la CNTG à la Bourse du Travail, Amadou Diallo a interjeté appel devant la Cour d’Appel de Conakry après la décision du Tribunal de Travail de Mafanco. Yamoussa Touré, lui, a saisi la même Cour pour demander la «mise sous séquestre judiciaire de la Bourse du travail». C’est-à-dire la fermeture de la Bourse du travail. Il argue que du fait que le Tribunal de Travail de Mafanco a annulé les deux élections et débouté les deux parties, aucun d’eux n’a le droit d’occuper la Bourse du Travail, en attendant l’arrêt de la Cour d’Appel ce 12 janvier. Mais pour le camp adverse, il n’y avait «aucune base légale pour fermer la Bourse du Travail. A partir du moment où chaque partie a interjeté appel, la décision du Tribunal de Travail ne peut pas suivre d’effet. Par conséquent, chaque partie doit rester là où elle est, en attendant l’arrêt de la cour d’Appel».
Rappelons également qu’en marge du 4ème congrès de l’ONSLG des 22 et 23 décembre 2011, El Hadj Yamodou Touré, son secrétaire général, nous a dit: «Nous avons tranché au niveau de la CNTG. Il faut que les choses soient claires. Quand vous voulez unir deux personnes, il faut leur dire la vérité. La vérité est que c’est le groupe d’Amadou Diallo qui a gagné les élections. Il faut que cela soit clair. J’ai beaucoup de respect et d’amitié pour les autres, mais c’est Amadou qui a gagné les élections. Nous sommes résolument engagés, en tant que porte-parole de l’inter centrale à unir les deux entités. Le groupe d’Amadou Diallo dit qu’il est prêt à tout pour que l’unité de la CNTG soit maintenue. Le camarade Louis M’Bemba et moi, sommes en train de travailler avec l’autre groupe pour que la CNTG se solidifie davantage. Nous étions unis pendant la Deuxième République et nous avions gagné et on a poussé le pays vers la démocratisation. Pour quoi ne pas faire la même chose avec le nouveau gouvernement afin que nous puissions stimuler la croissance et le développement…» s’est-il interrogé.
Au gouvernement qu’on accuse de soutenir le groupe de Yamoussa Touré, le Secrétaire général de l’ONSLG aurait affirmé à la ministre du Travail et de la Fonction publique, Fatoumata Tounkara, que les syndicalistes sont «de cœur avec le gouvernement. Mais, dit-il, il est de l’intérêt de toutes les parties : gouvernement, syndicats, employeurs, de travailler ensemble». Selon lui, «ce problème, n’est plus un problème. C’est un non débat d’ailleurs. Parce qu’au niveau national, africain et international, c’est le groupe d’Amadou qui est reconnu. Il suffit qu’on travaille ensemble pour qu’il y ait une réconciliation au sein de la CNTG. La Guinée est à l’heure de la réconciliation. Quelque soit le différend qui peut exister entre les deux (il n’y en a plus entre eux, nous avons les confidences des uns et des autres), on doit se donner la main pour trouver la solution…»
Beaucoup de Guinéens croient malheureusement que la solution à cette crise de leadership n’est pas pour demain. Des sources non officielles indiquent que le Président Alpha Condé a rencontré le Groupe d’Amadou Diallo, le mardi 10 janvier. Il leur aurait demandé d’intégrer Yamoussa Touré dans ses rangs. A la même date, dans une correspondance adressée au Premier ministre guinéen, Mohamed Saïd Fofana, la CSI (Confédération syndicale internationale) a protesté «vigoureusement contre la menace de la fermeture de la Bourse du travail, siège de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée». La CSI désapprouve que «la CNTG et les membres de son Bureau exécutif ne cessent de faire l’objet d’attaques et d’intimidations de la part d’un groupe dissident bénéficiant au vu et au su de tous les témoins de soutien avéré des autorités du pays». Or, les travaux et les résultats des assises qui ont élu Amadou Diallo à la CNTG ont été «reconnus et validés par une mission syndicale internationale et par l’intersyndicale composée des centrales syndicales guinéennes». La CSI a affirmé être «attentive à la suite que le gouvernement réservera à la présente situation et espère que les principes de la liberté syndicale seront respectés».
Cette lettre de la CSI au Premier Ministre guinéen aurait été de beaucoup dans la position du juge Yaya Boiro, dans le dossier. Elle justifierait les propos du Président Alpha Condé qui aurait mis de l’eau dans son vin, en demandant au groupe des Amadou Diallo et consorts de réintégrer Yamoussa Touré, le dissident, dans les rangs de la CNTG. Ce qui, selon certains, veut dire que le Président Alpha Condé a reconnu, par ricochet, la victoire d’Amadou Diallo.
En tous les cas, la polémique perdure, du fait que le juge Yaya Boiro s’est déclaré ce 12 janvier incompétent avant d’affirmer qu’une «chambre de la Cour doit statuer sur le dossier en approfondissant les analyses pour dire qui des deux protagonistes a raison». Les Guinéens attendaient par contre une dernière décision de la justice pour mettre fin au feuilleton, qui n’a que trop duré. Vivement donc la justice.
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