JugĂ©e pour avoir mis un pantalon et risquant la flagellation, la journaliste soudanaise Loubna Ahmed al-Hussein n'entend pas se laisser intimider. "Je suis prĂȘte Ă recevoir 40.000 coups de fouet", affirme-t-elle Ă l'AFP, la voix pleine de dĂ©fi.
ArrĂȘtĂ©e le 3 juillet dans un restaurant de Khartoum en mĂȘme temps que 12 autres femmes pour "tenue indĂ©cente", alors qu'elle portait un pantalon large et une longue blouse, Mme Hussein Ă©crit rĂ©guliĂšrement des billets pour le quotidien de gauche Al-Sahafa et travaille Ă la section communication de la mission de l'ONU au Soudan. Pour Ă©chapper au chĂątiment, la journaliste, qui porte la "tarha", ce grand foulard traditionnel soudanais recouvrant la tĂȘte et les Ă©paules, aurait pu faire jouer l'immunitĂ© dont elle bĂ©nĂ©ficie en tant qu'employĂ©e des Nations unies. Elle a au contraire prĂ©sentĂ© sa dĂ©mission pour que son procĂšs, dont la prochaine audience est prĂ©vue mardi, suive son cours. "Je suis prĂȘte Ă toutes les possibilitĂ©s", assure-t-elle par tĂ©lĂ©phone. "Je n'ai absolument pas peur du verdict". C'est en vertu de l'article 152 du code pĂ©nal soudanais, qui prĂ©voit une peine de 40 coups de fouet pour quiconque "commet un acte indĂ©cent ou un acte qui viole la moralitĂ© publique ou porte des vĂȘtements indĂ©cents", que Mme Hussein va ĂȘtre jugĂ©e. "Mon principal objectif, c'est de supprimer l'article 152", dit-elle. "Cet article est contraire Ă la Constitution et Ă la charia", la loi islamique en vigueur dans le nord du Soudan depuis 1983. "Si certains se rĂ©clament de la charia pour flageller les femmes en raison de ce qu'elles portent, qu'ils me montrent les sourates du Coran ou les hadith (paroles du prophĂšte Mahomet, ndlr) qui le stipulent. Je ne les ai pas trouvĂ©s", lance cette veuve d'une trentaine d'annĂ©es. "Des dizaines de milliers de femmes et de jeunes filles ont Ă©tĂ© flagellĂ©es Ă cause de leurs vĂȘtements ces vingt derniĂšres annĂ©es. Ce n'est pas rare au Soudan", selon elle. "Simplement, aucune d'entre elles n'ose se plaindre, car qui croirait qu'elles ont Ă©tĂ© flagellĂ©es juste pour avoir mis un pantalon? Elles ont peur du scandale, des doutes sur leurs moeurs", affirme la journaliste. Dix des femmes arrĂȘtĂ©es en mĂȘme temps que Mme Hussein avaient Ă©tĂ© convoquĂ©es par la police deux jours plus tard et fouettĂ©es dix fois chacune, selon elle. Parmi elles figurent des Soudanaises du Sud, majoritairement chrĂ©tien ou animiste, oĂč la charia n'est pas en vigueur. "Je veux que les gens sachent. Je veux que la voix de ces femmes soit entendue", proclame-t-elle. "Si je suis condamnĂ©e Ă ĂȘtre flagellĂ©e, ou Ă quoi que ce soit d'autre, je ferai appel. J'irai jusqu'au bout, jusque devant la Cour constitutionnelle s'il le faut", dit-elle. "Et si la Cour constitutionnelle juge que l'article est conforme Ă la Constitution, je suis prĂȘte Ă recevoir non pas 40, mais 40.000 coups de fouet". En ayant rĂ©vĂ©lĂ© au public cette pratique, "j'ai dĂ©jĂ remportĂ© la moitiĂ© de la bataille", estime-t-elle. Si la journaliste se dit submergĂ©e par les tĂ©moignages de soutien, elle n'en a pas moins fait l'objet de menaces. Alors qu'elle s'apprĂȘtait Ă monter dans sa voiture un matin, un homme Ă moto lui a lancĂ©, sans ĂŽter son casque, qu'elle finirait comme Marwa el-Cherbini, une jeune Egyptienne rĂ©cemment assassinĂ©e dans un tribunal allemand. Mardi en tout cas, Mme Hussein compte de nouveau porter les vĂȘtements qui l'ont menĂ©e devant la justice. - AFP