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Des morts Ă  Abidjan et un ignoble mensonge Ă  Londres

Oct 27, 2009

En aoĂ»t 2006, 31 000 Ivoiriens ont Ă©tĂ© intoxiquĂ©s par les dĂ©chets du Probo Koala. La sociĂ©tĂ© Trafigura qui voulait s’en dĂ©barrasser n’ignorait rien des dangers. Des rĂ©vĂ©lations sur l’affaire l’amĂšnent aujourd’hui Ă  indemniser les victimes.

Une raffinerie du Mexique bradait des milliers de tonnes d’essence de cokĂ©faction [obtenue par craquage du coke]. Dans un message interne de la trĂšs discrĂšte sociĂ©tĂ© Trafigura, on pouvait lire comment celle-ci espĂ©rait faire fortune en achetant “pour une bouchĂ©e de pain” ce carburant frelatĂ©. “Impossible de trouver moins cher, et c’est l’occasion de gagner gros”, Ă©crivait alors le courtier James McNicol depuis les bureaux de Trafigura situĂ©s dans Oxford Street, Ă  Londres. “Chaque cargaison devrait rapporter 7 millions de dollars [4,7 millions d’euros] !”

Pour purifier ce produit qu’ils appelaient “crap” ou “shit”, les opĂ©rateurs prĂ©voyaient d’y ajouter de la soude caustique qui absorberait les contaminants soufrĂ©s, tout en sachant pertinemment que ce procĂ©dĂ© Ă©tait interdit dans les pays occidentaux. Le problĂšme “le plus difficile”, reconnaissaient-ils, Ă©tait de se dĂ©barrasser ensuite des rĂ©sidus toxiques malodorants.

Des déchets déversés un peu partout à Abidjan

“On va le faire”, avait promis, en dĂ©cembre 2005, James McNicol au patron de l’entreprise, Claude Dauphin. “Il faut nous adresser Ă  des sociĂ©tĂ©s spĂ©cialisĂ©es dans la purification des produits chimiques. Claude possĂšde une entreprise de traitement des dĂ©chets et il veut qu’on fasse preuve d’imagination.” L’un de ses confrĂšres, Naeem Ahmed, avait alors prĂ©venu que “les terminaux amĂ©ricains, singapouriens et europĂ©ens n’autorisent plus l’emploi de soude caustique pour le nettoyage, car les agences locales de l’environnement interdisent l’évacuation de substances caustiques toxiques aprĂšs traitement”. “Le nettoyage avec des agents caustiques est banni dans la plupart des pays en raison de la dangerositĂ© des dĂ©chets
 Il ne reste plus beaucoup d’installations disponibles sur le marchĂ©. Il y en a bien une Ă  Rotterdam, qui brĂ»le ce genre de rebut dans un incinĂ©rateur pour 200 dollars le kilo”, avait-il ajoutĂ©. Ce fut jugĂ© trop cher. Un terminal pĂ©trolier tunisien a Ă©tĂ© choisi pour traiter la soude caustique, mais il a fini par rejeter l’offre de Trafigura, leur personnel protestant contre la puanteur dĂ©gagĂ©e lors de ce genre d’opĂ©ration. En dĂ©sespoir de cause, le chef du courtage en essence de Trafigura Ă  Londres, Leon Christophilopoulos, a eu l’idĂ©e de recourir Ă  une raffinerie flottante. “Je ne sais pas comment on va se dĂ©barrasser des dĂ©chets et je ne veux pas suggĂ©rer que nous les jetions dans la nature, mais il existe certainement un moyen de payer quelqu’un pour qu’il s’en occupe.”

Le pĂ©trolier Probo Koala a chargĂ©, entre avril et juin 2006, trois cargaisons de 28 000 tonnes d‘essence frelatĂ©e chacune. Il les a mĂ©langĂ©es avec de la soude caustique et un catalyseur pour retirer environ 47 % du soufre. Les cuves restantes du Probo Koala n’ont pas tardĂ© Ă  se remplir des rĂ©sidus contenant les composĂ©s sulfurĂ©s nouvellement crĂ©Ă©s. D’aprĂšs les courriels Ă©changĂ©s au sein de Trafigura, une solution trĂšs concentrĂ©e Ă  33 % de soufre caustique avait Ă©tĂ© utilisĂ©e Ă  bord. Le 18 avril, Leon Christophilopoulos ne cachait pas son inquiĂ©tude. “Nous ne savons toujours pas comment Ă©vacuer les dĂ©chets.” En juin, le pĂ©trolier est parti pour Amsterdam. Ahmed est entrĂ© en contact avec une entreprise de traitement, en lui assurant qu’il s’agissait simplement de “boues” habituellement laissĂ©es par le nettoyage des pĂ©troliers. Mais le projet a avortĂ©. AprĂšs le tollĂ© suscitĂ© par l’odeur infecte, le produit a Ă©tĂ© rechargĂ© Ă  bord du Probo Koala, qui a repris la mer en direction de l’Afrique. Ahmed et Trafigura sont actuellement traduits devant les tribunaux nĂ©erlandais, mais ils nient avoir racontĂ© des mensonges.

Le navire a finalement pris le chemin de la CĂŽte-d’Ivoire, oĂč un sous-traitant local, Salomon Ugborugvo devait le dĂ©barrasser de son chargement. L’homme n’avait aucune expĂ©rience pour ce genre de travail ni d’installations adĂ©quates. Ce qui ne l’avait pas empĂȘchĂ© d’obtenir un permis portuaire peu de temps auparavant. Pour un prix trĂšs bas, ses camions-citernes de location ont emportĂ© la boue noirĂątre. La suite est une catastrophe humaine et Ă©cologique. Les dĂ©chets ont fini par ĂȘtre dĂ©versĂ©s un peu partout Ă  Abidjan [en aoĂ»t 2006]. Ils contenaient des substances instables comme des mercaptans, des mercaptides, du sulfure de sodium, et des disulfures de dialkyle. Au contact de ces composĂ©s, les personnes vivant et travaillant Ă  proximitĂ© des lieux Ă©taient exposĂ©es Ă  des risques de brĂ»lure, de nausĂ©e, de diarrhĂ©e, de perte de conscience et risquaient leur vie. Les pires accusations concernent le sulfure d’hydrogĂšne, un gaz meurtrier, car les substances sulfurĂ©es peuvent se dĂ©composer et s’échapper dans la nature. C’était vraisemblablement du sulfure d’hydrogĂšne ainsi libĂ©rĂ© qui a fait des milliers de victimes. Les personnes vivant dans les environs des dĂ©charges ont signalĂ© des troubles respiratoires et oculaires, tandis que, plus loin, on se plaignait des odeurs nausĂ©abondes.

Dans une sĂ©rie de dĂ©clarations, Trafigura a mis sur le compte de la fiction les cas d’empoisonnement rapportĂ©s. Le 15 septembre, l’entreprise a ainsi prĂ©tendu que “rien ne prouve que les rĂ©sidus aient produit du sulfure d’hydrogĂšne Ă  des niveaux susceptibles de provoquer des dĂ©cĂšs ou les prĂ©tendues graves blessures”. Tandis que 31 000 Ivoiriens, dont bon nombre Ă©taient plongĂ©s dans une misĂšre noire, se sont regroupĂ©s pour intenter une action collective en justice sans prĂ©cĂ©dent sous la houlette de l’avocat londonien Martyn Day, l’entreprise s’est efforcĂ©e de faire croire que les pompes de son navire n’avaient Ă©vacuĂ© que la fange habituellement produite par le lavage des pĂ©troliers. Elle a soutenu qu’il s’agissait d’“une procĂ©dure de routine qui se pratique partout dans le monde”. “Qualifier les boues de Trafigura de ‘dĂ©chets toxiques’ ne reflĂšte en aucun cas leur vĂ©ritable composition. Trafigura dĂ©cline toute responsabilitĂ©â€, ajoutait-elle. Le baron Eric de Turckheim, cofondateur de Trafigura, a mĂȘme assurĂ© que les dĂ©chets de sa sociĂ©tĂ© n’étaient “absolument pas dangereux pour les ĂȘtres humains”.

L’entreprise a campĂ© sur cette position aussi longtemps qu’elle le pouvait, faisant taire les mĂ©dias avec des dĂ©clarations agressives Ă©manant de Bell Pottinger, une sociĂ©tĂ© de lobbying qui fait chĂšrement payer ses services, et du non moins cher cabinet d’avocats spĂ©cialisĂ© dans la diffamation, Carter-Ruck. Il a fallu attendre, le 15 septembre 2009, pour que, face Ă  la publication probable de ses Ă©changes de courriers internes, l’entreprise annonce qu’elle chercherait un rĂšglement Ă  l’amiable avec les 31 000 plaignants ivoiriens. Sa tentative de dissimulation a finalement Ă©chouĂ©. – The Guardian

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