Ils vinrent au milieu de la nuit demander à Jestina Mukoko de les suivre. Elle n'eut même pas le temps de mettre ses souliers et ses lunettes que déjà ils s'emparaient d'elle pour l'emmener, les yeux bandés, vers une destination inconnue. Pendant des semaines, le monde allait ignorer son sort.
« Je savais qu'il ne s'agissait pas d'une arrestation ordinaire », a dit Mme Mukoko. « Et je savais qu'en tant que championne des droits de l'homme, j'étais en train de me faire enlever. Mais je ne savais pas au juste qui était responsable, les agents de la sûreté de l'État ou ceux de la ZANU-PF. »
Pour mémoire, la ZANU-PF est l'Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique, qui était le parti au pouvoir à l'époque.
Les défenseurs des droits de l'homme ne sont que trop au courant de ce genre d'enlèvement, mais Mme Mukoko n'allait pas disparaître pas aussi facilement. Elle avait combattu le système de corruption et était devenue un symbole international de la lutte pour les droits fondamentaux au Zimbabwe, son pays natal. Et ce n'est que l'une des raisons pour lesquelles la secrétaire d'État, Mme Hillary Rodham Clinton, et l'épouse du président Obama, Mme Michelle Obama, lui ont décerné l'un des dix Prix du courage féminin 2010.
C'était au lendemain de la violence qui avait éclaté suite aux élections zimbabwéennes de 2002 que Mme Mukoko avait décidé de défendre les droits de l'homme. Journaliste chevronnée de télévision et de radio, elle avait interviewé de nombreuses femmes qui avaient été victimes d'actes de violence, et pour la première fois de sa carrière, elle avait été incapable d'achever ces entretiens. « Je m'étais sentie épuisée, sur le plan émotionnel autant que physique, et je ne pouvais pas regarder ces femmes et imaginer ce qu'elles avaient enduré. » C'est depuis que Mme Mukoko travaille sans relâche en sa qualité de directrice exécutive du Zimbabwe Peace Project (Projet de paix Zimbabwé) et prend des risques personnels pour étayer de documents les violations des droits fondamentaux perpétrées pour des raisons politiques.
Comme Mme Mukoko l'a fait remarquer le 10 mars, lors de la cérémonie de remise des Prix du courage féminin au département d'État, la vie et le travail des défenseurs des droits de l'homme dans le monde ne sont pas pour les faiblards. En début de semaine, elle avait expliqué qu'au Zimbabwe, « si vous êtes un militant, on vous appelle une marionnette de l'Occident ; et on vous accuse d'être membre du parti de l'opposition à l'époque, le MDC (Mouvement pour le Changement démocratique). Et vous devenez immédiatement un ennemi de l'État. »
C'est bien ce que démontrent les épreuves que Mme Mukoko a vécues personnellement. Après son rapt en décembre 2008, Mme Mukoko avait été détenue pendant trois semaines, torturée, privée de tout contact avec l'extérieur et contrainte à faire des confessions et admettre des crimes contre l'État. Parfois, les ravisseurs de Mme Mukoko la forçaient à s'agenouiller sur des cailloux ; à d'autres moments, ils fouettaient la plante de ses pieds. Mme Mukoko dit qu'en certaines occasions, la douleur était si intense qu'elle sentait comme si son esprit avait quitté son corps.
Une fois que les pressions politiques internationales avaient fini par assurer sa remise en liberté sous caution, Mme Mukoko avait dû faire face aux chefs d'inculpation retenus contre elle, notamment celui de tentative de renverser un gouvernement constitutionnellement élu. « Mais au moment où on m'accusait de cela, il n'y avait pas de gouvernement constitutionnellement élu au Zimbabwe. Nous attendions les résultats de l'élection tenue en mars et qui n'avaient pas été annoncés pendant cinq semaines. »
Mme Mukoko a mené sa lutte devant les tribunaux jusqu'à la Cour suprême du Zimbabwe où elle a gagné son procès. La Cour a convenu à l'unanimité que ses droits avaient été violés, mais rétrospectivement, Mme Mukoko se rend compte de la chance qu'elle a eu. « J'étais connue et j'avais des liens avec des gens dans plusieurs pays. Mais en tant que militante des droits de l'homme, je m'étais dite, il n'y a pas moyen de laisser tomber, de me faire manipuler par la ZANU-PF et de permettre à des milliers de femmes qui se retrouveront dans la même situation malencontreuse de souffrir comme je l'ai fait. »
Malgré ce qu'elle sait de la corruption politique, Mme Mukoko demeure une militante ferme d'une nouvelle constitution pour le Zimbabwe pour que ses concitoyens puissent décider de la manière dont ils seront gouvernés dans leur pays. Mais elle met en garde contre le fait que même la constitution la plus brillante « ne sera en fin de compte qu'un document sur papier ». « Alors le défi pour les citoyens sera d'exiger que ce document soit mis en vigueur », et qu'ils sachent quels sont les droits que cette constitution leur garantit. »
Mme Mukoko craint aussi que tout référendum constitutionnel et toute élection futurs ne soient assujettis à la même violence et aux mêmes tactiques d'intimidation qui ont entaché les scrutins précédents. Le Zimbabwe Peace Project a déjà entendu parler de menaces « d'actes non spécifiques » contre ceux qui n'appuient pas le texte préliminaire de la constitution connu sous le nom de Kariba. Pendant son séjour à Washington, Mme Mukoko a demandé à la communauté internationale de fournir son appui et ses ressources juridiques au peuple de son pays pour l'aider si la violence éclate, et pour aider notamment les femmes qui en sont souvent les victimes les plus nombreuses. Elle a aussi demandé de l'appui en faveur des organisations de la société civile zimbabwéenne parce que « notre espace en tant que défenseurs des droits de l'homme s'amenuise de jour en jour ».
Malgré les abus dont elle a souffert, Mme Mukoko n'a aucune intention de reculer ou de disparaître de nouveau. Elle sait que son labeur, et celui des femmes et des défenseurs de droits de l'homme comme elle, transmettent le message nécessaire aux dirigeants au pouvoir. « Il ne faut pas abandonner notre mission, c'est très important, dit-elle, parce que l'avenir de nos enfants en dépend. Si nous abandonnons nos efforts, nous aurons abandonné la prochaine génération. » - America.gov