Ĺ’uvre littĂ©raire remarquable touchant la GuinĂ©e dans son entièretĂ©. Pour les nouvelles gĂ©nĂ©rations, un bouquin d’histoire qui rĂ©veille les sentiments et donne une vue profonde d’une certaine caractĂ©ristique de la GuinĂ©e prĂ© et postcoloniale. Ici, Madame Jeanne Martin CissĂ©, dans un style particulier, franc et grandement admirable, actualise, avec une prĂ©cision non ordinaire, un passĂ© qui n’est pas aussi proche que l’annĂ©e dernière.
D’une enfance passĂ©e Ă Kankan, au bord du Milo, l’auteur retrace le quotidien d’une tradition qui ne s’applique pas qu’Ă Kankan et aux Kankanais seulement. Le non Kankanais et l’Africain en gĂ©nĂ©ral, s’y mirent Ă leur tour, tant la similaritĂ© est infinie. Par ce vĂ©cu, l’on se voit partagĂ© entre deux rĂ©alitĂ©s dont la cohabitation n’est pas forcement amicale: le pouvoir colonial se jetant sur la tradition locale, chacun cherchant Ă se maintenir dans ses valeurs originelles. Telle est, pour commencer, l’une des empreintes de cette Ĺ“uvre.
De l’enfance de Jeanne, l’on retiendra l’influence d’une famille modeste, monogame, musulmane et intellectuelle: une mère sage-femme qui après Dieu, lui fut l’ĂŞtre le plus proche, et un père receveur des Postes et tĂ©lĂ©graphes. Ce couple, servant mesurĂ©ment amour et rigueur Ă leur toute petite, ainĂ©e de la famille qui doit ĂŞtre porteuse de l"emblème” familiale. Cette influence filiale confirma Ă coup sĂ»r, la “rĂ©bellion positive” qui permit Ă la jeune Jeanne de supporter l’Ă©cole, tout en ne se laissant pas marcher sur les pieds par ses camarades Ă©colières et ceux qui viendront après.
Finissant le niveau scolaire GuinĂ©en et atteignant l’Ă©tape de Rufisque oĂą elle doit recevoir, pendant quatre ans sa formation d’institutrice, Jeanne Martin CissĂ©, sera influencĂ©e par les dispositions de l’Ă©cole, ainsi que les diffĂ©rents courants qui y prendront corps.
Avec les tumultes liĂ©es Ă toute vie d’Ă©lève ou d’Ă©tudiant, cette Ă©tape de Rufisque, au SĂ©nĂ©gal ne sera pas au nombre des plus faciles, mĂŞme si, de par les rencontres, les compĂ©titions artistiques, les autres incitations au succès, la joie et le rĂ©confort domineront les jours bas et de mĂ©lancolie.
Apres l’Ă©cole normale, Jeanne retournera en GuinĂ©e oĂą un mariage complètement arrangĂ© par les tantes qui ont pu balancer sentiments et cursus, l’attendra . Elle Ă©pousera donc ce jeune Camara, inspecteur de Police qui, Ă la fleur de l’âge, sera fatalement victime d’un accident de circulation, suite Ă une visite de chef d’Etat, alors qu’il Ă©tait membre du cortège prĂ©sidentiel. Au sommet de sa première maternitĂ©, ce fait sera très marquant pour Jeanne, malgrĂ© la prĂ©sence de sa belle famille dont l’attention et l’affection lui Ă©taient indĂ©fectibles. Mohamed Camara sera le fruit humain de ce premier mariage. Elle Jeanne, de son esprit, la vie va avec ses Ă©preuves: pas toujours les bonnes. Il ne faut donc pas se laisser divertir par les vicissitudes de la mĂŞme vie. De ce point de vue, il faut donner de l’Ă©nergie Ă sa profession qui consiste Ă la formation des tout-petits, ici Ă l’Ă©cole de Tombo, comme l’avaient d’ailleurs “imprimĂ©” les longues annĂ©es passĂ©es Ă l’Ă©cole normale de Rufisque.
Dans cet engagement, Jeanne sera surprise par une mutation qui l’amena Ă Dakar au SĂ©nĂ©gal oĂą naitront ses dĂ©buts en politique. Oui, Ă Dakar, cette ville capitale de l’Afrique Occidentale Française, dans la mĂŞme grande cour politique que les anciens collègues de Rufisque, face Ă ce climat polluĂ© de la dĂ©colonisation. Le choix sera donc facile pour la fille du Milo. Ensemble avec les anciens de l’Ă©cole, et parfois avec d’autres, elles mettront en place un mouvement fĂ©minin dont les phares seront braquĂ©s sur l’Ă©mancipation de la femme Africaine, dans un monde oĂą la dĂ©cision est masculine et l’exĂ©cution, fĂ©minine. Entre temps, la jeune dame contractera sa seconde noce avec Ansoumane TourĂ©, un jeune GuinĂ©en rencontrĂ© dans le milieu. Il sera le père de ses autres enfants, et mourra dans une des geĂ´les de la RĂ©volution Ă Kindia , le mĂŞme Ă©tablissement pĂ©nitencier qu’elle Jeanne, connaitra de longues annĂ©es après.
Son parcours quant Ă lui continue et se fait ascendant: les Ă©changes avec les autres mouvements fĂ©ministes mondiaux persĂ©vèrent et, de l’apprentissage, les lueurs de la politique pure et dure s’annoncent, avec pour consĂ©quence le mixage des capitaux confiance et relations. Jeanne sera appelĂ©e dans son pays d’origine, après des annĂ©es de combat passĂ©es aux cotĂ©s du leadership fĂ©minin Africain.
Au cours d’une confĂ©rence Ă New York, Madame Jeanne Martin CissĂ© sera interpellĂ©e par l’Ambassadeur. Ce serait l’annonce du dĂ©cret de sa nomination au mĂŞme poste de ReprĂ©sentant de la GuinĂ©e aux nations-Unies.
Paradoxalement, ce moment coĂŻncida Ă la session du Conseil de SĂ©curitĂ© des Nations-Unies dont la chaise tournante fait de la RĂ©publique de GuinĂ©e prĂ©sidente de cette instance mondiale. Aux regards des dĂ©cideurs de cette branche sĂ©curitaire, il est un signe de souverainetĂ© d’envoyer une femme dans un concert d’hommes. Surtout les plus confiants et avertis de la politique de leur pays dont ils ont la mission de “vendre” au monde. Mais Ă un moment aussi important que la prĂ©sidence du Conseil de SĂ©curitĂ©, ces dĂ©cideurs pensent qu’une femme n’offre pas suffisamment d’aisance Ă remplir cette tache extraordinaire. Ils suggèrent la prĂ©sence du Ministre des Affaires Ă©trangères comme supplĂ©ant Ă ce grand dĂ©bat. Quelle en sera l’attitude-rĂ©ponse du PrĂ©sident Ahmed SĂ©kou TourĂ©; les questions sur le tĂ©moignage de Madame Jeanne Martin CissĂ© sur la mort du PrĂ©sident SĂ©kou TourĂ© et les circonstances qui ont prĂ©cĂ©dĂ© et succĂ©dĂ© sa mort ; le temps et les conditions de pĂ©nitence ; les grands tĂ©moignages dans les horribles quatre murs de Boiro et de Kindia ; l’après prison, la route et les conditions de l’ «exil », sont autant de rĂ©alitĂ©s et de portes fermĂ©es dont ce livre est la clĂ© d’ouverture. Un livre spĂ©cialement Ă lire et exactement recommandable.
Lamine Sununu Kaba
Washington, DC-USA