Tous les dimanches, des gamins envahissent l'aéroport de Kigali avec leurs ordinateurs portables pour se brancher à l'internet sans fil. Plusieurs d'entre eux fréquentent l'école Nonko, en banlieue de la capitale.
Depuis deux ans, cette école publique fournit un portable à chacun de ses 700 élèves. Elle doit bientôt obtenir sa propre liaison internet. En attendant, il y a le wi-fi de l'aéroport. Comme la majorité de ses camarades, c'est donc là que Christian Muvunyi, 15 ans, a fait sa recherche sur la malaria qu'il a présentée en classe, la semaine dernière. Un travail de 30 pages garni de dessins, animations et effets sonores.
«Je veux montrer comment des gens avec une mentalité rétrograde ne se protègent pas contre la malaria», explique-t-il avec sérieux, en faisant défiler des tableaux sur son écran. Autour de lui, ses camarades sont rivés à leurs ordinateurs. Avec leurs boîtiers de plastique, les petits appareils ressemblent à des jouets. Pourtant, ils permettent de télécharger de la musique, d'utiliser des logiciels de dessin et de regarder des vidéos.
L'école Nonko participe au programme One Laptop per Child, un projet international qui vise à doter les enfants de pays en développement de portables fabriqués à un coût minimal. Et de leur permettre de rattraper leur retard technologique.
Dix-huit écoles rwandaises ont déjà reçu leurs appareils, et 60 autres suivront cet été. Il y a deux ans, la majorité des élèves de l'école Nonko n'avaient jamais touché à un ordinateur. Maintenant, plusieurs maîtrisent mieux leurs laptops que les enseignants, constate la directrice de l'école, Françoise Murekeyisoni.
Le gouvernement rwandais a acheté 100 000 de ces appareils, au coût de 200 $ chacun. Et il prévoit que d'ici peu, tous les écoliers du pays seront équipés d'un ordinateur.
Le Rwanda n'est pas le seul pays à bénéficier du programme One Laptop per Child. Mais de tout le continent africain, il est de loin celui qui a sauté dans le train technologique avec le plus de ferveur. Le seul, aussi, à viser un objectif aussi ambitieux.
Révolution tranquille
Ce n'est qu'un exemple de l'énergie avec laquelle le Rwanda mène sa course au progrès. Seize ans après le génocide, ce petit pays d'Afrique centrale vit une sorte de «révolution tranquille». L'éducation gratuite s'étendra bientôt jusqu'en 9e année. Les soins médicaux sont partiellement payés grâce à un régime d'assurance obligatoire. Pour minimiser les ravages de la malaria, l'État distribue gratuitement des moustiquaires à tous les nouveaux parents.
Le pays construit avec ardeur. Des routes, des immeubles, des barrages. Et il bichonne sa capitale. Les édifices en construction se dressent dans le ciel de Kigali, ville proprette aux pelouses manucurées et aux caniveaux impeccables.
Dans les rues, des ouvriers en uniforme vert manient le balai et arrachent les mauvaises herbes. Des routes fraîchement asphaltées se déploient sous les cyprès et les eucalyptus. Des fontaines et des arbustes bien taillés agrémentent les ronds-points. De quoi faire rougir d'envie les Montréalais !
Kigali change à vue d'oeil, disent ceux qui ont connu la ville il y a cinq ou dix ans. La misère qui sévit dans d'autres capitales africaines est invisible depuis que mendiants et vendeurs ambulants sont interdits à Kigali. Un nouveau règlement oblige même les passants à porter des chaussures. Pieds nus, défendus !
Cap sur 2020
Il y a 10 ans, le président Paul Kagame a adopté sa «Vision 2020», un plan de réforme échelonné sur 20 ans qui se décline en une série d'objectifs. Tripler le revenu annuel par habitant. Augmenter l'espérance de vie de six ans. Améliorer le taux d'alphabétisation. Le but n'est pas encore atteint, mais les indicateurs sont en hausse.
C'est dans cet esprit que le Rwanda a joint la Communauté des États d'Afrique de l'Est et le Commonwealth, et opté pour l'anglais comme deuxième langue nationale, devant le français. Avec ses 11 millions d'habitants, le Rwanda veut devenir un acteur régional de premier plan. Une version africaine de Singapour, avec un zeste de Silicone Valley.
Sous la férule de Paul Kagame, le Rwanda améliore aussi sa gouvernance. Avec des recettes fiscales en hausse, l'État peut mieux traiter ses fonctionnaires et juguler la corruption, qui est endémique dans les pays voisins.
Résultat : les investissements affluent. Il y a cinq ans, il n'y avait aucun supermarché à Kigali. Maintenant, on en compte deux. Les rayons du magasin Simba, qui a ouvert ses portes il y a deux ans, regorgent de bouteilles de vin, de sachets de pâtes et d'ustensiles de cuisine. Son propriétaire, Charles Gasana, rêve de le transformer en une grande surface pour mieux loger ses fauteuils de cuir et ses télés à écran plat.
«Je veux avoir un supermarché de niveau international qui vend des produits pour tous les portefeuilles», rêve-t-il.
Habitués à faire leurs courses dans de petits étals, les Rwandais ont mis du temps à apprivoiser Simba. «Les mentalités évoluent. Nos clients réalisent que certains de nos produits coûtent moins cher qu'ailleurs, et qu'ils n'ont plus besoin d'aller à Dubaï pour acheter un lit moderne», dit fièrement Charles Gasana.
Reconnaissant envers son gouvernement qui facilite les investissements privés, Charles Gasana reste inquiet. Les prix montent dans la capitale. Et les revenus de ses habitants ne suivent pas. Sa marge de profit rétrécit. Et il a peur que la bulle explose.
Le revers de médaille
Car tout n'est pas rose au pays des mille collines. La misère a beau être invisible à Kigali, la majorité des Rwandais survivent avec moins de deux dollars par jour. Et si la capitale a des airs de ville suisse, la plupart des villages n'ont toujours ni électricité ni eau courante.
Mais même si le gouvernement réussissait à accrocher la campagne à la locomotive de Kigali, la comparaison avec la Révolution tranquille du Québec s'arrêterait là.
Car tout en ramant sans relâche pour améliorer les conditions matérielles des Rwandais, le président Paul Kagame étouffe le pays sous une chape de plomb. Toute voix d'opposition est réprimée. Les différences ethniques ont été balayées sous le tapis, au profit d'une identité commune. «Je suis rwandais», répondent les gens quand on leur demande s'ils appartiennent à la minorité tutsi ou à la majorité hutu. Il faut dire que toute référence à ces groupes ethniques risque de vous faire passer pour un «divisionniste» et de vous exposer à des poursuites.
Le gouvernement rwandais semble croire que le progrès économique viendra à bout des blessures et rancunes qui demeurent vives, 16 ans après le carnage.
«Il est plus facile de reconstruire les infrastructures que de soigner nos traumatismes psychologiques», dit l'historien Paul Rutayisire, de l'Université nationale du Rwanda.
Le pays est comme un volcan assoupi, m'ont dit quelques Rwandais qui croient que le développement économique doit aller de pair avec la démocratie. Et qu'en agissant en despote, aussi éclairé soit-il, le président Kagame finira par foncer sur un mur. Au risque que le Rwanda ne soit rattrapé par ses fantômes. – La Presse