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Sékouba Konaté: «Je suis mal récompensé, livré à la vindicte populaire»

Apr 05, 2011

Parmi les invités au Colloque intitulé "Armée et Pouvoir politique dans la gouvernance démocratique au Niger", le Général Sékouba Konaté, ancien Président de la transition, Président de la République par intérim, au terme de la déclaration conjointe de Ouagadougou de janvier 2010.

Il est, depuis la tenue de la présidentielle guinéenne, Haut Représentant de l'Union Africaine pour l'opérationnalisation de la Force Africaine en Attente, en charge de la Planification et de la Gestion stratégique des Opérations de Soutien à la Paix.

Dans le discours qu’il a prononcé à cette occasion, l’ex ministre de la Défense a laissé parler son cœur en étalant au grand jour son amertume vis-à-vis des nouvelles autorités.

Pour l’ex-numéro 3 de la junte qui a pris le pouvoir le 23 décembre 2008, suite au décès du Président Lansana Conté, s’il est «heureux de constater aussi que les acteurs de la transition sont couverts de tous les honneurs», il regrette un fait : « je suis mal récompensé et sers de bouc-émissaire d’une situation de crise qui n’est pas que la seule conséquence, comme on voudrait le faire croire, d’une brève période de transition, mais résultant d’un lourd héritage de différents régimes et de gouvernements successifs.» Ainsi, lâche-t-il, amer : «Au lieu d’être remercié et félicité pour les services rendus à la nation, je suis livré à la vindicte populaire.»

D’autre part, souligne l’homme, si au Niger « on n’a pas brûlé les étapes dans un parcours qui n’a été marqué ni par des lenteurs et pesanteurs douteuses ni par un empressement dangereux », le Général Sékouba Konaté se rend compte aujourd’hui, que «la transition guinéenne qui a été sans doute un espoir pour le rôle que l’Armée pourrait jouer dans une démocratisation accélérée du continent, est une œuvre inachevée.»

AfricaLog.com vous propose cette intervention du Général Sékouba, dans son intégralité:

« Mesdames et messieurs,
Honorables invités,

Je me réjouis à plus d’un titre d’être ici parmi vous au Niger, au moment où ce pays ami et frère vient d’écrire une des plus belles pages de son histoire, vient aussi d’engager un formidable pari pour l’avenir. Ici, vient de se terminer un processus de transition qui fait la fierté du vaillant peuple nigérien et force l’admiration de l’Afrique et du monde, aux yeux desquels notre hôte d’aujourd’hui se réhabilite.
Dans ce pays d’Afrique où ces dernières années l’Armée, à de nombreuses occasions et pour de maintes et diverses raisons s’est emparée du pouvoir, l’a gardé et exercé le plus souvent, le choix de l’opposant de toujours Mahamadou Issoufou comme Président de la République dans une élection libre et démocratique dont les résultats se sont imposés à tous, est en soi une révolution pacifique ; ce n’est pas seulement le triomphe d’un homme et des valeurs qu’il défend, mais c’est surtout la fin d’une époque d’instabilité politique et institutionnelle et l’espoir d’une authentique démocratie. Un grand Niger est né dans une Afrique et dans un monde en pleine mutation, où se succèdent désormais les transitions au rythme des révolutions initiées et conduites par des peuples qui ont soif de plus liberté, de justice sociale, de démocratie, de bonne gouvernance économique et politique.

Mesdames et messieurs,

Honorables invités,

A travers l’expérience nigérienne, du reste réussie et que nous célébrons ensemble, on a compris que nous les africains, les officiers militaires en particulier avons le sens de la parole donnée, avons des scrupules à respecter nos engagements personnels et publics ; et lorsque les circonstances l’exigent et les événements nous interpellent, nous sommes aussi capables de prendre nos responsabilités pour changer le cours de notre histoire personnelle ainsi que celui du destin du grand peuple d’Afrique. A cet égard , ce qui vient de se passer au Niger, comme en Guinée aussi, indique que l’Armée en Afrique sans avoir vocation à prendre et exercer le pouvoir constitue souvent un recours certain : elle est appelée dans une phase de crise au sein des institutions et d’impasse politique à se manifester pour calmer le jeu et trancher des conflits qui peuvent affecter le climat politique et social et le bon fonctionnement des institutions.
Face aux situations de blocage et de chaos dans les Etats notamment africains qui, pour la plupart, sont encore fragiles, il n’y a pas souvent d’autre alternative qu’une solution militaire considérée comme un moindre mal. C’est à ce titre que l’Armée est sollicitée pour des sorties de crises et des œuvres de médiation qui lui imposent à l’occasion, de jouer les premiers rôles en prenant les rênes de l’Etat.

Honorables invités,

Si dans le passé, il est arrivé que les espoirs soient déçus au point que les hommes en uniforme soient jugés suspects chaque fois que les événements les propulsent au devant de la scène, aujourd’hui, avec l’éveil des consciences démocratiques et la détermination des peuples, nous, soldats, nous nous contentons d’organiser des élections à la faveur de transitions souhaitées les plus courtes possibles pour céder la place au président élu. Dans ce domaine-là, les promesses ont été en général tenues avec certes des formules diverses. Je me félicite et me réjouis personnellement de la transition nigérienne qui est un modèle d’une transition rapide et efficace. Elle a commencé difficilement mais elle a abouti à un résultat qui a renforcé l’unité du pays et créé les conditions les meilleures pour l’enracinement de la démocratie.

Voilà une transition menée par un groupe d’officiers qui, face à la crise de régime que traversait leur pays, ont décidé de répondre à l’appel de la patrie qu’ils ont prêté serment de servir, ils ont eu tout simplement le sens de l’histoire.

Mesdames et messieurs,

La cohabitation entre une autorité militaire ferme dans la direction à suivre et les politiques portés sur les enjeux de pouvoir n’est pas toujours aisée et explique certains échecs dans les processus de transition. Le mérite de mon frère d’Armes, le Général Salou Djibo est d’avoir compris qu’il vaut mieux guider les politiques que se laisser guider par eux dans un contexte où seul gagner qui est à la fois le sens de leur engagement et la finalité dans la compétition électorale compte à leurs yeux.
En résistant à toutes les pressions et aux querelles d’état major politique, l’autorité de transition au Niger, a pu établir un calendrier et des étapes nécessaires à garantir le bon déroulement et une issue heureuse du processus électoral. Dans ce pays, on n’a pas brûlé les étapes dans un parcours qui n’a été marqué ni par des lenteurs et pesanteurs douteuses ni par un empressement dangereux. Un équilibre entre la nécessité d’aller vite et l’exigence de faire bien a pu être trouvé grâce à la fermeté des autorités de la transition et grâce aussi à la bonne compréhension et au patriotisme de tous les protagonistes de la transition. Aussi l’élection du Président de la République a-t-il mis fin au processus électoral après l’organisation de tous les autres scrutins. Au sortir de sa transition et grâce à une méthodologie et une pédagogie assimilées et acceptées par tous, le Niger a pu se doter d’institutions et de dirigeants absolument légitimes.

Mesdames et messieurs,

Je voudrais féliciter le Général d’Armée Salou Djibo, mon frère d’armes qui a été l’artisan de cette transition historique qui est un travail bien élaboré et bien achevé : une copie de soldat, propre. A travers lui, je félicite aussi tous les autres acteurs de la transition. Chacun a su dominer ses passions pour se montrer à la hauteur du défi qui était le sien.

Pour moi, c’est un bonheur de constater qu’ici au Niger, malgré les enjeux et les périls des élections, le pays est resté uni dans son destin jusqu’au bout et a surmonté tous les instincts de la violence et de la confrontation gratuites.

Je suis heureux de constater aussi que les acteurs de la transition sont couverts de tous les honneurs, on leur rend tous les hommages qu’ils méritent, la nation nigérienne leur est reconnaissante pour tous les efforts et tous les sacrifices considérables consentis pour son compte et à son service.
Il m’aurait été agréable de pouvoir dire que la Guinée qui, avant le Niger, a connu aussi une transition, observe la même sérénité, la même confiance dans son avenir, a surtout tourné cette page de son histoire.

Mais que non, la transition guinéenne qui a été sans doute un espoir pour le rôle que l’Armée pourrait jouer dans une démocratisation accélérée du continent, est une œuvre inachevée. Parce que malgré l’élection du Président de la République, d’autres étapes majeures restent à franchir, d’importants défis restent encore à relever.

D’autres élections notamment législatives restent à venir dans un climat politique et social qui souffre encore des tensions et des violences enregistrées pendant la première phase de la transition que nous avons pu franchir grâce à la maturité des guinéens et à la contribution appréciable des pays amis.
C’est le lieu pour moi de remercier Sa Majesté, le Roi Mohammed VI du Maroc qui fut à nos côtés durant toute la transition.

Le Président du Faso, Son Excellence M. Blaise Compaoré, médiateur dans la crise guinéenne a aussi beaucoup fait ainsi que ses homologues du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, du Mali, le général Amadou Toumani Touré auxquels, il me plaît de rendre un hommage solennel. C’est le lieu également de remercier la communauté internationale, notamment la CEDEAO et l’Union Africaine ainsi que toutes les bonnes volontés.

Honorables invités,

Qu’à cela ne tienne, la transition guinéenne ne sera vraiment achevée que lorsque l’ensemble des élus auront pris fonction et que les institutions de la République auront été toutes mises en place. Un virage que j’ai souhaité avant mon départ du pouvoir que le pays négocie dans une fraternité retrouvée et dans le respect de tous les équilibres qui fondent une nation et favorisent l’unité et l’union de ses fils. Malheureusement plus que jamais la Guinée est confrontée à de nombreuses incertitudes et de profondes contradictions qui minent le pays et pèsent sur son avenir immédiat. Quoiqu’on dise, j’ai fait mon devoir. Au lieu d’être remercié et félicité pour les services rendus à la nation, je suis livré à la vindicte populaire.

Honorables invités,

Je me suis honorablement acquitté de mon obligation en restant fidèle à l’engagement sacré d’organiser des élections tout en respectant les accords de Ouagadougou. Mon souci n’était point de tout contrôler et de contrôler tout le monde, mais de respecter ma parole donnée en organisant pour la première fois de l’histoire de la Guinée des élections libres et démocratiques.

Aujourd’hui, je suis mal récompensé et sers de bouc-émissaire d’une situation de crise qui n’est pas que la seule conséquence, comme on voudrait le faire croire, d’une brève période de transition, mais résultant d’un lourd héritage de différents régimes et de gouvernements successifs.

Je pense que nous devons distinguer l’essentiel de l’accessoire, faire le choix de l’avenir dont nous pouvons partager la promesse infinie plutôt que de s’acharner à remuer le couteau dans la plaie ou à réécrire l’histoire seulement pour nourrir des frustrations et imposer une logique de confrontation gratuite.

Pour établir en Afrique une tradition de continuité de l’Etat, de paix durable, étant entendu que nulle œuvre n’est parfaite et que nous avons tous nos limites et nos faiblesses, il importe d’insister davantage sur les bons actes plutôt que les échecs. Il nous faut apprendre à reconnaitre le mérite et l’effort de chacun et de tous dans la construction de grands destins pour nos pays et dans notre marche difficile vers plus de liberté et de progrès.

A cet effet, je salue l’engagement et la sagesse des nouvelles autorités élues du Niger de ne pas frustrer les acteurs de la transition qui méritent de notre part respect, considération et reconnaissance. En s’engageant à leur reconnaitre leur juste place dans l’histoire de leur pays et aussi à les ménager dans l’avenir, les nouvelles autorités du Niger inscrivent leur action et leur mandat dans une continuité de l’histoire et de la nation qui éloignera de ce pays les vieux démons.

Honorables invités,

Les transitions n’interviennent en particulier sous l’autorité militaire que pour restaurer des valeurs perdues, la bonne gouvernance, bref lorsqu’il n’y a plus ni repères, ni direction c’est-à-dire lorsque l’Etat n’existe plus et que l’avenir est devenu incertain. C’est le cas de la Guinée dont l’Armée, comme partout ailleurs, a agi plus par nécessité devant la faillite de l’Etat et l’impuissance des élites que par ambition de façonner l’histoire ou de forcer le destin dans une tentation de pouvoir.

Il faut donc régler les problèmes de la société dans le cadre d’institutions fortes et légitimes et par des dirigeants capables, reconnus et acceptés par tous pour parer à des transitions cycliques notamment militaires et aussi pour imposer la bonne gouvernance. Ainsi l’Armée s’éloignera du pouvoir et il n’y aura pas besoin de nouvelles transitions pour redresser des situations souvent désespérées. Comme ce sera le cas dans le Niger qui vient d’émerger et il faut le souhaiter pour la Guinée nouvelle qui se profile à l’horizon.

Je vous remercie pour votre aimable attention.»

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