«La rencontre qu’on a eue avec le Président n’était pas un dialogue, c’était une rencontre pour essayer d’ouvrir un peu les portes afin que le dialogue puisse se mettre en place.»
Apparemment, un changement se dessine au sein des médias d’Etat. Ces médias qui refusaient de donner la parole à l’opposition il y a quelques temps, se donnent aujourd’hui le plaisir d’inviter les leaders politiques sur leurs antennes, pour critiquer ou apprécier les actes qu’a posés ou devra poser le Président Alpha Condé. Le 21 novembre, l’opposant, Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines était «L’invité de la rédaction», du journal télévisé, après le passage le 18 novembre, de Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée, dans la même émission diffusée tous les soirs après le journal de 20h 30. Voici l’entretien en intégralité que le leader de l’UFR a accordé à la Télévision guinéenne.
Quel enseignement tirez-vous de la rencontre avec le Président de la République au palais Sékhoutouréya?
Sidya Touré: Nous avons considéré cela comme un début d’ouverture. Les questions qui nous préoccupent aujourd’hui sont liées à l’organisation des élections législatives, la finalisation de la transition dans notre pays. Du fait que depuis 5 mois nous voudrions rencontrer les autorités pour discuter de cette question et qu’une opportunité soit ouverte, considérons comme un pas en avant et essayons d’aller dans ce sens.
Est-ce que vous êtes sorti satisfait de cette rencontre?
Ecoutez! On est sorti de là en se disant: voilà un début de quelque chose qui doit pouvoir continuer, mais il y a d’autres questions en suspens. La rencontre qu’on a eue avec le Président n’était pas un dialogue, c’était une rencontre pour essayer d’ouvrir un peu les portes afin que le dialogue puisse se mettre en place. On sera satisfait quand les résultats seront là. Mais nous apprécions déjà le fait qu’il y ait eu cette ouverture et je pense que tous les Guinéens sont sur la même longueur d’onde, y compris le Gouvernement qui également est bloqué, dans la mesure où cette transition ne s’est pas terminée.
Mais ce n’était pas votre première fois de rencontrer le Président Alpha Condé…
Moi, j’ai eu une rencontre avec le Président de la république le 15 août, cela fait trois mois. Vous savez ce dont on a parlé. Ce sont les mêmes questions qui ont été évoquées. Si nous nous retrouvons trois mois après pour en parler, c’est que nous n’avons pas avancé. Les questions que nous avons évoquées, je les avais évoquées avec lui le 15 août. Il faut qu’on comprenne que ce dont il s’agit n’est pas un problème ni de l’opposition ni des partis politiques, c’est un problème général à notre pays. Nous ne pouvons pas avoir un pays où il y a eu un Président de la République mais où il n’y a pas d’Assemblée nationale. Sur le plan institutionnel, c’est inacceptable, sur le plan de la démocratie, c’est inacceptable, mais sur le plan également de tout ce que nous pouvons attendre de l’extérieur pour supporter le processus démocratique dans notre pays, c’est inacceptable. Ce qui fait aujourd’hui, que les financements extérieurs au niveau de l’Union européenne sont bloqués. Mais ce que les gens ne savent pas, comme ce sont les mêmes qui votent au Fonds Monétaire et à la Banque Mondiale, nous ne pouvons même pas avoir accès au PPTE. Même si on ne dit pas qu’il n’y a pas de conditionnalité politique, mais c’est l’Europe et les Etats-Unis qui déterminent si vous êtes admissible au Fonds et à la Banque dans le cadre d’un programme. Donc, personne n’a intérêt à ce que cette situation perdure. Mais il se trouve que nous avons perdu des semaines…
Mais personne n’a intérêt que ces investissements soient bloqués à l’extérieur…
Ils sont bloqués à cause des conditions de ces gens-là et non les conditions de l’opposition. L’opposition dit : allons aux élections. Les pays du G8 et autres disent : si vous n’allez pas aux élections, si vous ne finissez pas votre transition, si vous n’avez pas un consensus pour faire des élections acceptées par tous, nous n’allons pas pouvoir continuer à …
Vous pensez donc que cette rencontre que vous avez eu avec le Chef de l’Etat est un début de solution?
C’est un début pour ouvrir le dialogue.
Apparemment, c’est la fin du malentendu entre le pouvoir et l’opposition autour de l’organisation des élections législatives? D’autant qu’il a été envisagé la mise en place d’une Commission Ad hoc?
C’est une commission de facilitation, dont le rôle est de faire en sorte que le pouvoir et l’opposition s’asseyent pour examiner les problèmes qui bloquent le processus électoral, à savoir le problème de la CENI, celui du fichier électoral ainsi que le problème du retour à leurs postes, les différents conseils communaux qui ont été remplacés par ce qu’ils appellent des Délégations spéciales. Ces points, nous les avons évoqués dans un document remis au gouvernement depuis le mois de mars. Donc, je pense que c’est un début, je l’admets et je pense que cela va continuer dans ce sens.
Est-ce que l’opposition fait partie de cette Commission?
Bien sûr ! Ce n’est pas une commission d’enquête, c’est une Commission de facilitation avec des personnes plus ou moins neutres. Mgr Gomez et d’autres personnes ont été choisis pour cela. Ils serviront d’interface entre le pouvoir et les partis politiques de l’opposition.
Si la CENI maintient la date du 29 décembre pour l’organisation des élections, est-ce que l’UFR ira à ces élections?
Je crois qu’il y a des choses qu’il faut bien clarifier. Vous avez bien dit si, parce que si vous vous souvenez bien, cette date a été fixée de façon fictive. Rien ne permet aujourd’hui à la Guinée de faire des élections le 29 décembre. Donc, il faut qu’on arrête de dire qu’il y aura les élections le 29, il n’y en aura pas. Le calendrier qui a été prévu même au mois de mars quand tout le monde s’est réuni à Kindia pour faire un séminaire sur le processus électoral en Guinée, on avait fixé mars 2012. Aujourd’hui, nous avons perdu 6 mois par rapport à cette date, pendant lesquels on a rien fait. Pour aller aux élections le 29 décembre, il faut que 70 jours avant, le Président de la République convoque les électeurs, ce qui n’est pas fait. Calculez, vous verrez que nous ne sommes pas dans les délais. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons l’opportunité de redescendre sur le terrain, de regarder de près et de se mettre d’accord pour l’organisation des élections acceptés de tous.
Pour aller à ces élections législatives, l’UFR ira-t-il avec une alliance ou compte-t-il faire cavalier seul?
Tout le monde réfléchi à cette question. Nous avons été alliés avec un parti pendant les présidentielles, aux élections communales et communautaires de 2005, nous étions alliés avec le RPG… Ecoutez chacun verra selon ses intérêts de quelle manière est-ce que nous allons régler cette question, puisque nous avons en Guinée, dans le cadre des élections législatives, des élections à l’uninominale et à la liste nationale. Donc, cela se fera au cas par cas.
Concrètement, l’UFR est-il bien implanté sur le terrain aujourd’hui?
Je crois que c’est parfaitement perceptible. Nous avons été quand même l’un des acteurs majeurs de cette élection présidentielle qui vient de se passer. Je pense que notre position s’est amélioré depuis, compte tenu de la situation que notre pays connaît aujourd’hui.
Parlons économie. Le retour de la Guinée à la légalité constitutionnelle ouvre de belles perspectives pour le pays. De nombreux s’intéressent à notre pays, de nombreuses réformes sont en cours… Comment appréciez-vous cela?
Je suis un peu moins optimiste que vous dans la mesure où quand vous êtes dans un pays et que vous créez des lignes de fractures au sein de la société, il sera extrêmement difficile de faire des réformes dans ce pays. Parce que les réformes sous-tendent qu’il y a un consensus national pour changer les choses et aller en avant. Cela est important. Il y a un deuxième phénomène que je dénonce avec beaucoup de virulence, c’est le problème de la politisation à outrance de tout le débat en Guinée. Aujourd’hui, en politisant totalement la vie publique en Guinée, vous ne permettez pas de mettre en place une classe moyenne qui, au lieu de se satisfaire des résultats qu’il va obtenir pour gagner un peu plus de possibilité pour la croissance, il va passer son temps à montrer au gouvernement son allégeance. Je souhaiterai que l’ouverture qui vient de se faire sur le plan politique et qui a forcément un impact sur le plan économique, soit la base de recherche d’un consensus national pour qu’un travail effectif puisse se faire pour profiter à la croissance dans notre pays.
Un dernier mot?
Je souhaite que tout le monde comprenne qu’après pratiquement un an de pouvoir, il est temps de s’asseoir, de parler, de permettre à notre pays de mieux bénéficier des possibilités qui nous ont été offertes par la nature mais dont on n’a pas profité depuis plus de 50 ans. Il faut comprendre que la classe politique guinéenne, que ce soit gouvernement ou l’opposition, nous avons des responsabilités vis-à-vis de notre peuple. Et franchement, je souhaiterais que nous y mettions de nous-mêmes pour que les Guinéens qui ont eu confiance en nous, qui ont lutté depuis des années, surtout ces dernières années, 2006, 2007, 2009, 2010, 2011, afin que les Guinéens qui se sont battus pour qu’on mette de côté les régimes qui n’étaient pas des régimes démocratiques et qui ont donné le pouvoir à des civils, retrouvent en nous la capacité qu’ils ont cru en nous de travailler ensemble pour que ce pays soit respecté dans la sous-région.
Propos transcrits par AfricaLog.com