Par Emmanuel Martin
Alors que les députés de l’Assemblée nationale constituante de Tunisie rédigent peu à peu la nouvelle constitution tunisienne, une polémique a émergé jeudi dernier soir lors de l’élaboration de l’article 48 relatif aux droits et libertés. Un amendement, émanant de députés de tous horizons et énonçant que «L’État garantit la liberté du travail et la liberté de l’initiative économique» a suscité un vif débat au sein de l’Assemblée entre les «pro» et les «anti». Après une suspension de séance, un vote a eu lieu vendredi matin, aboutissant au refus de l’amendement (seules 93 voix se prononcées pour, alors que 109 étaient nécessaires).
Pour Samia Abou cet amendement reviendrait à «imposer une orientation
économique, celle du libéralisme sauvage». Mourad Amdouni a averti: «Si
vous faites passer cet article, ce serait la plus grande traîtrise faite au
peuple tunisien et à la révolution». Les poncifs éculés sont convoqués au
tribunal soi-disant «populaire».
En réalité, quand on se souvient la façon dont a été déclenchée la
révolution tunisienne, de telles réactions ne manquent pas de surprendre :
Mohamed Bouazizi petit entrepreneur ambulant vendant des fruits et des
légumes, s’est immolé précisément pour réclamer sa liberté à l’initiative
économique. Il s’était vu interdire d’exercer par les autorités et
confisquer matériel et marchandises, le ruinant sur le champ. C’est
précisément l’absence de liberté de l’initiative économique qui étouffait
Bouazizi comme l’immense majorité des tunisiens.
La liberté d’entreprendre, qui est pourtant ancrée dans la tradition de ce
peuple, serait considérée par certains réactionnaires comme une menace pour
les secteurs dont l’État a le monopole. On perçoit ici comment les tunisiens
vont se faire flouer: la Tunisie de Ben-Ali était caractérisée par un
système de copinage et de clientélisme qui risque aujourd’hui de tout
simplement changer de «patrons».
La «liberté du travail» n’empêchera pas le droit de grève, comme le
redoutent certains, puisqu’il est aussi garanti par la constitution. Par
ailleurs, le service minimum, aussi craint par les détracteurs de
l’amendement, est désormais considéré comme un impératif démocratique envers
le peuple-contribuable dans certains secteurs essentiels; et il ne remet
pas en cause le droit de grève.
Alors que la Tunisie cherche des bailleurs internationaux pour financer sa
croissance, une telle position envoie un signal particulièrement négatif. Si
la majeure partie des décideurs présidant au futur politique de la Tunisie
sont incapables de comprendre que le développement passe par l’entreprise et
l’initiative économique, la crédibilité du pays ne peut qu’en souffrir.
Les micro entreprises, qui forment 95 % du tissu économique du pays, sont
les premières concernées par la liberté d'entreprendre.
En supprimant cet amendement, l’Assemblée constituante a trahi ce pour quoi
Mohamed Bouazizi s’est battu.
Publié en collaboration avec LibreAfrique.org